Rechercher

L’IA : gain de temps ou perte de contrôle pour les développeurs ?

Boostés par l’IA générative, les outils d’aide au code s’imposent dans les environnements de développement. Ils promettent des gains de productivité et une simplification des tâches. Mais à mesure que leur usage se banalise, une question émerge : le développeur gagne-t-il du temps…ou perd-il en maîtrise ?

Une contribution de Nathaniel Okenwa, Developer Evangelist chez Twilio.

 

La promesse de productivité, un piège silencieux.

L’adoption massive des outils d’assistance au code semble irréversible. Copilot, CodeWhisperer et autres compagnons de codage proposent des suggestions en temps réel, simplifient le prototypage, réduisent la friction. La promesse est claire : coder plus vite, avec moins d’efforts. Mais le nombre de lignes de code produites n’est pas une réussite en soi. Elle n’a de sens que si elle s’inscrit dans une intention claire, dans un objectif pensé.


En rendant le processus plus fluide, l’IA peut aussi le rendre plus opaque. Le “copilote” devient parfois le pilote sans que le développeur s’en rende compte. Ce qui est perçu comme un gain de productivité immédiat peut dissimuler une perte progressive de maîtrise, et de temps… à moins de penser cette répartition homme-machine avec exigence. Nombre de développeurs disent y gagner en qualité, en sécurité, en confort. Ils saluent une meilleure rapidité d’exécution, une réduction de la fatigue, une assistance bienvenue sur les tâches répétitives. Or, l’IA nécessite des cycles supplémentaires d’analyse, de vérification et d’ajustement qui s’ajoutent à la durée totale de la tâche. La fluidité des suggestions et la réduction de la charge mentale donnent parfois l’impression trompeuse de progresser plus vite.

Cette réalité, plus répandue qu’il n’y paraît, est illustrée par une étude menée en juillet 2025 par l’institut Model Evaluation & Threat Research (METR) qui révèle que les développeurs assistés par IA mettent en moyenne 19 % de temps en plus pour accomplir leurs tâches, tout en ayant le sentiment d’être plus rapides.

 

Moins de friction, mais aussi moins de compréhension ?

La génération automatique de code réduit les tâches répétitives. Mais elle tend aussi à détourner les
développeurs de la compréhension fine de ce qu’ils valident. Ce qui devait être un gain de temps conduit vers un appauvrissement cognitif.

Lorsque les blocs de code s’enchaînent par sélection ou simple validation, la réflexion s’efface. Les
principes d’architecture, la qualité du raisonnement algorithmique ou la rigueur syntaxique se diluent dans la surcouche de l’outil. Le développeur devient curateur de suggestions, et parfois simple opérateur de validation. Une question émerge : faut-il encore savoir coder pour coder ?

Utiliser l’IA ne signifie pas lui céder les clés. Coder reste un acte d’intention, pas de simple validation. Chaque ligne générée doit être relue, questionnée, comprise. Il ne s’agit pas seulement de produire du code fonctionnel, mais de porter du sens.

Le développeur devient superviseur d’un système qui suggère, mais ne pense pas. Cela implique une montée en exigence : savoir interrompre l’IA, reformuler un besoin, comparer les chemins possibles, refuser ce qui ne cadre pas avec la vision projet. L’IA ne remplace ni la créativité, ni la responsabilité, ni les capacités à coder du développeur . Elle les oblige à s’affirmer davantage.

À ce titre, l’IA est en train de transformer le développement logiciel, avec l’émergence du « vibe coding » comme nouvelle compétence, où les utilisateurs décrivent les problèmes en langage naturel et les modèles génèrent le code. L’IA devient alors un partenaire plus qu’un simple outil, et qui apporte cohérence et créativité aux résultats. Cependant, lorsque ces systèmes prennent de l’ampleur, les compétences traditionnelles des développeurs restent essentielles : guider, tester, affiner, sécuriser et garantir une utilisation éthique.

La collaboration entre les humains et l’IA doit être considérée comme une formation mutuelle : à mesure que les modèles progressent, les compétences humaines doivent également évoluer, en se concentrant sur l’évaluation critique et la résolution de problèmes. Cette évolution crée de nouvelles opportunités et de nouveaux profils professionnels, où l’empathie, l’intuition et la créativité gagnent en valeur à mesure que l’IA prend en charge les tâches de bas niveau. Les développeurs tireront de plus en plus parti de leur expertise technique approfondie pour canaliser ces perspectives propres à l’être humain.

 

Repenser les compétences clés du développement

Selon le Developer Survey 2025 publié par Stack Overflow, 84 % des développeurs utilisent désormais des outils d’IA dans leur processus de développement, contre 76 % un an plus tôt. L’usage grandit tandis que, dans le même temps, près de la moitié d’entre eux déclarent ne pas faire confiance à l’exactitude des réponses générées. Ce décalage entre usage et adhésion révèle une chose : la compétence ne réside plus uniquement dans la capacité à produire du code, mais dans la capacité à en juger la pertinence, la sécurité, la robustesse, surtout quand il est généré.

Le métier de développeur évolue : à la maîtrise du code s’ajoute celle du prompt, dans un dialogue constant avec un outil statistique dépourvu de compréhension métier. Les développeurs doivent comprendre les limites de ce partenariat entre la machine et l’humain, car ce changement repositionne leur valeur. Celles et ceux qui savent expliciter, cadrer, documenter, transmettre, deviennent essentiels. Parce que là où l’IA ne fait que suggérer, il faut des profils capables de décider. Là où elle exécute sans contexte, il faut une vision d’ensemble. Là où elle génère à la volée, il faut des garde-fous.

Le développement ne se joue plus seulement dans l’écriture. Il se joue dans la conscience de ce que l’on valide, dans l’explication de ce que l’on construit, dans la souveraineté du raisonnement. La vraie compétence n’est pas dans la vitesse d’exécution, mais dans la capacité à garder le cap. Et cette compétence-là est, plus que jamais, humaine.

 


À lire également : Déployer l’IA, oui, mais pour quoi faire ? 

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC