Une tribune écrite par Jonathan GOZARD, expert en recrutement au MERCATO DE L’EMPLOI
Quand les algorithmes s’affrontent
D’un côté, les ATS (Applicant Tracking Systems) ou logiciels de gestion de candidatures intègrent des algorithmes toujours plus sophistiqués capables de filtrer les CV en repérant des mots-clés et de calculer un score de pertinence. 99% des entreprises du classement Fortune 500 utiliseraient déjà ces systèmes, avec pour objectif de gérer un volume massif de candidatures. De l’autre, les candidats ne restent pas inactifs. Eux aussi mobilisent l’intelligence artificielle pour générer facilement des CV, reformuler leurs expériences ou insérer artificiellement les termes attendus par l’annonce. En quelques secondes, leur profil devient “optimisé” pour franchir la barrière algorithmique des ATS. Le résultat ? Un duel automatisé, souvent imperceptible : une machine qui filtre, une autre qui s’efforce de contourner le filtre. Dans ce jeu d’ajustement permanent, certains candidats brillants peuvent se retrouver écartés, simplement parce que le vocabulaire généré par leur IA n’a pas trouvé écho dans celui de l’ATS. Cette bataille algorithmique révèle ses failles : d’après une étude récente de Select Software Reviews, 88% des employeurs admettent que leurs ATS éliminent des candidats qualifiés à cause de problèmes de formatage ou de mots-clés manquants. Il faut tout de même rappeler que tous les ATS n’intègrent pas de filtres IA. Certains se contentent d’être de véritables tableaux de bord centralisant les candidatures. Seule une partie intègre des fonctions de tri automatique. L’IA n’est donc pas systématique, mais elle se développe face à l’explosion du volume de candidatures… consécutive à l’IA elle-même !
L’émergence de nouveaux défis : deepfakes et fraude à l’embauche
Mais cette guerre algorithmique va bien au-delà des simples mots-clés. Une nouvelle dimension inquiétante émerge avec l’arrivée des deepfakes dans le recrutement. Selon une étude récente de Resume Genius, 17% des responsables RH américains rapportent avoir rencontré de faux candidats utilisant des avatars IA lors d’entretiens vidéo. Face à cette menace grandissante, les entreprises développent des outils de détection toujours plus sophistiqués : Persona, leader dans la vérification d’identité, a bloqué 75 millions de fausses candidatures en 2024. Cette escalade technologique révèle un paradoxe troublant : pendant que l’IA promet d’optimiser le recrutement, elle génère simultanément de nouvelles formes de fraude qui obligent les entreprises à investir massivement dans des contre-mesures. Les biais algorithmiques s’ajoutent à cette complexité, car les systèmes d’IA reproduisent et amplifient souvent les discriminations historiques présentes dans leurs données d’entraînement, créant de nouveaux obstacles pour la diversité et l’inclusion.
Préserver l’essence humaine
Tous ces phénomènes nous confrontent à une question essentielle : voulons-nous réduire le recrutement à une bataille de mots-clés entre logiciels, ou préserver l’essence de ce métier – la rencontre avec un parcours, des compétences et aspirations humaines ? La vérité se situe dans l’équilibre. L’IA demeure une alliée précieuse pour fluidifier les processus et révéler des correspondances invisibles. Mais elle doit rester un outil, pas un juge. Le recruteur doit assumer la responsabilité finale et considérer ce que la machine ne capte pas : personnalité, potentiel, motivation. Au fond, ce match IA contre IA peut devenir une opportunité s’il est maîtrisé : libérer du temps aux recruteurs, aider les candidats à valoriser leur parcours, et réaffirmer que même à l’ère algorithmique, l’intelligence humaine doit garder le dernier mot et rester la juge de paix !

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