Si l’on en croit les médias, depuis quelques mois, un vent d’euphorie semble souffler sur les entreprises françaises. L’intelligence artificielle générative, jusqu’ici cantonnée à quelques usages expérimentaux, s’impose désormais comme un levier stratégique dans de nombreux secteurs. Rédaction de contenus, coaching interne, onboarding, analyse d’offres commerciales, réponse à appels d’offres : l’IA ne se contente plus d’assister. Elle agit, remplace, automatise.
Une contribution d’Arnaud Gilberton, président et co-fondateur d’Idoko
Dans un contexte économique sous tension, où la recherche d’économies devient vitale, cette promesse technologique séduit. Sur scène, dans les tribunes, au micro des conférences, les dirigeants affichent un enthousiasme assumé : il faut prendre le train en marche, ne pas rester à quai, entraîner les équipes, montrer qu’on innove.
Mais en coulisses, le ton est plus grave
La vérité, c’est que beaucoup de dirigeants s’interrogent. Car si les gains de productivité sont bien réels, les conséquences humaines le sont tout autant — et plus profondes qu’on ne veut bien l’admettre.
L’IA générative ne remplace pas seulement des tâches simples : elle attaque le cœur du travail qualifié, celui qui formait les jeunes recrues (comptes rendus, recherches, analyses), et celui qui valorisait les experts (rédaction stratégique, arbitrages complexes). Que restera-t-il demain du sentiment de progression, de la fierté professionnelle, de l’apprentissage par la pratique ?
En réalité, l’IA générative va entraîner une révision profonde des repères qui structurent la progression et du développement professionnel des salariés : les modèles de compétences actuels sont en train de devenir obsolètes, ce qui signifie repenser l’évaluation de la performance individuelle, les parcours de carrières, les formes de transmission et d’apprentissage.
Les impacts sur l’emploi sont déjà visibles. On parle reconversion, mobilité, plans de départs. Non par cynisme, mais parce que la pression sur les coûts ne laisse pas d’autre choix. Personne ne veut détruire des emplois, mais tout le monde sait que cela pourrait arriver.
Les directions des ressources humaines sont au pied du mur et de nombreux DRH sont préoccupés. Car cette transformation ne relève pas uniquement du système d’information. Elle touche à la cohésion d’équipe, au sens du travail, à la santé mentale.
Comment former, quand les tâches de formation ont été automatisées ? Comment fidéliser, quand les collaborateurs sentent que leurs compétences deviennent obsolètes ? Comment faire cohabiter humains et agents IA sans fracture sociale ni perte d’humanité ? Quels seront les impacts sur la santé mentale d’échanges prolongés avec des agents IA dont certains seront des collègues plus respectueux et efficaces que les humains ? D’autant que la bascule est déjà là. Dans certaines entreprises, les échanges entre IA et IA deviennent la norme sur des sujets clés (réponses automatisées à des appels d’offres complexes, scoring intelligent d’opportunités commerciales…). Quel directeur stratégique osera encore aller à l’encontre de la recommandation d’une IA, si celle-ci est devenue l’interlocuteur principal de ses clients ?
Retrouver une lucidité collective
Le propos n’est pas d’alimenter un catastrophisme technophobe. Il s’agit d’appeler à une responsabilité collective.
Loin des discours enchantés, nos entreprises ont besoin d’un débat éthique de fond sur le rôle que nous souhaitons donner à l’IA générative. La pression économique et l’incertitude politique et géopolitique qui domine actuellement ne pousse pas à la prise de hauteur, d’autant que de nombreux groupes de conseil et entreprises issues de la tech poussent fortement pour accélérer l’adoption de l’IA, par intérêt commercial. Pourtant, à ne pas anticiper ces questions, les entreprises et organisations publiques risquent de payer une facture sociale lourde dans quelques années. En réalité, c’est dès à présent qu’un réel dialogue doit s’engager dans les entreprises sur le sujet, associant pleinement toutes les parties prenantes de nos entreprises, y compris représentants du personnel et salariés. Quelques questions pourraient être adressées :
- Comment éviter une perte massive de repères professionnels ?
- Comment maintenir des parcours d’apprentissage en entreprise, et valoriser l’expérience humaine ?
- Comment préserver le lien social mais également l’engagement et la santé des collaborateurs ?
- Et surtout : comment accompagner les transformations sans les subir ?
Car à trop glorifier l’IA générative sans penser ses conséquences, nous risquons de payer une facture sociale explosive — et bien plus vite que prévu. Les entreprises ont un rôle fondamental à jouer. Et les DRH, plus que jamais, doivent reprendre la main sur le débat.
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