Ces dernières années, plusieurs start-ups d’IA en vue, pourtant appuyées par des investisseurs de renom, ont connu de sérieux revers. Derrière des débuts prometteurs et des valorisations spectaculaires, certaines ont fini par accumuler des pertes colossales, parfois chiffrées en centaines de millions de dollars.
Ces revers en série sonnent comme un avertissement pour l’ensemble de la communauté des investisseurs en intelligence artificielle. Dans un secteur porté par une innovation fulgurante et une médiatisation intense, les méthodes classiques de due diligence ne suffisent plus. L’écosystème de l’IA, en particulier, s’avère de plus en plus vulnérable aux effets d’annonce et au battage technologique. Certaines jeunes pousses, aux ambitions affichées, ont ainsi largement surestimé leurs capacités, dissimulant parfois derrière des promesses d’autonomie totale des armées de développeurs humains. Distinguer les vraies percées technologiques des slogans marketing devient crucial pour tout investisseur soucieux de bâtir une valeur durable.
Pour les acteurs majeurs du financement de l’IA — des géants de la tech aux fonds institutionnels en passant par les capital-risqueurs —, cette période agit à la fois comme un signal d’alerte et comme un appel à la réinvention. Investir dans l’IA ne peut plus se faire à l’aveugle : cela requiert désormais une évaluation plus fine, alliant expertise technique, discernement stratégique et coopération renforcée. Les fortunes fluctuantes de certaines stars du secteur rappellent qu’un passage de l’investissement réactif à une approche proactive et rigoureuse est devenu indispensable.
Face à un secteur en mutation rapide, nous identifions trois approches prospectives pour aider les investisseurs à mieux saisir les opportunités et à se prémunir contre les risques dans l’écosystème mouvant de l’intelligence artificielle.
Stratégie n°1 : réduire le syndrome FOMO grâce à l’appui d’experts indépendants en IA
Dans un univers où l’innovation avance plus vite que la capacité d’analyse des investisseurs, il devient crucial d’adopter une approche plus rigoureuse. Certains investisseurs explorent désormais des stratégies d’investissement assistées par des experts tiers : il ne s’agit plus seulement d’injecter du capital dans des start-ups d’IA prometteuses, mais aussi de s’entourer d’experts tiers — ingénieurs, chercheurs ou auditeurs spécialisés — chargés d’évaluer, de manière continue et indépendante, la solidité technologique des entreprises ciblées.
Le soutien d’investisseurs prestigieux peut apporter une certaine légitimité, mais il ne remplace en rien une diligence fondée sur des preuves concrètes. Ces analyses doivent couvrir des domaines clés comme le traitement automatique des langgues (NLP), les opérations de machine learning (MLOps), la robustesse des modèles, ou encore leur efficacité à l’échelle produit. Une telle vigilance technique permet de séparer l’innovation réelle de la simple narration séduisante.
Dans l’univers surmédiatisé de l’IA, la peur de manquer une opportunité — ou FOMO — pousse nombre d’investisseurs à se précipiter sur les levées de fonds les plus visibles, surtout lorsqu’elles sont associées à des figures influentes du secteur. Cette dynamique, alimentée par l’effet de halo, se fait souvent au détriment d’une évaluation approfondie de la viabilité technologique.
Pour contrer ce biais, une approche plus disciplinée s’impose : investir parallèlement dans une expertise technique indépendante capable de mener des audits réguliers. Ce processus permet d’aller au-delà des pitchs séduisants et d’ancrer les décisions dans une analyse objective du potentiel réel d’une start-up sur le long terme.
Un exemple inspirant se trouve du côté d’Entrepreneurs First (EF), l’accélérateur mondial qui a bouleversé les codes du capital-risque en pariant d’abord sur les individus. EF investit dans des talents bruts — avant même qu’ils ne forment une équipe ou ne définissent un projet — et les accompagne dans la création de start-ups. Résultat : plus de 600 jeunes pousses fondées, valorisées collectivement à plus de 11 milliards de dollars à l’horizon 2025.
Dans le même esprit, la stratégie défendue ici ne consiste pas seulement à financer des entreprises, mais aussi à investir dans des garde-fous techniques : des partenaires tiers capables de garantir une évaluation impartiale et continue tout au long du cycle de vie d’un investissement en IA. Une manière de sécuriser les paris technologiques à long terme, sans céder aux emballements.
Stratégie n°2 : établir un canal de communication dédié aux investisseurs
Dans un secteur aussi mouvant que l’intelligence artificielle, où les cycles d’innovation dépassent souvent le rythme des vérifications traditionnelles, la transparence des fondateurs ne suffit plus. Une coordination active entre investisseurs devient cruciale. Mettre en place un canal de communication structuré – via des points d’étape réguliers, des due diligences partagées et des groupes d’expertise – permet de combler les asymétries d’information, de recouper les affirmations techniques des start-ups et d’optimiser l’allocation du capital.
Un tel réseau, fondé sur la coopération et la vigilance collective, peut améliorer la détection des signaux faibles, limiter les erreurs de financement et mutualiser les ressources d’analyse technique. C’est une approche de plus en plus plébiscitée, notamment à la lumière de l’émergence de figures anonymes comme Arfur Rock, le compte X (ex-Twitter) surnommé la Gossip Girl de la tech californienne, qui divulgue des informations confidentielles sur les start-ups, souvent absentes des circuits formels d’échange.
Si ce type de source informelle répond à une soif croissante de transparence dans la tech, il souligne surtout l’absence d’un cadre structuré pour les investisseurs syndiqués. En réponse, des plateformes privées d’échange entre fonds pourraient favoriser des décisions plus éclairées, fondées sur des données techniques vérifiées, plutôt que sur le storytelling des pitchs.
Stratégie n°3 : miser sur la transparence technique et le dialogue direct avec les ingénieurs en IA
L’intelligence artificielle, par sa nature complexe et souvent opaque, représente un véritable défi d’évaluation pour les investisseurs non techniques. Dans un écosystème saturé de promesses spectaculaires et de discours bien rodés, distinguer une percée réelle d’un simple storytelling exige bien plus que l’écoute d’un pitch. Cela passe par un accès clair à la documentation technique, aux performances des modèles, et à des données concrètes sur les déploiements en conditions réelles.
Pour mesurer avec justesse la viabilité et la scalabilité d’une start-up, les investisseurs doivent dépasser le cadre des fondateurs et aller à la rencontre des ingénieurs, des équipes produit et, lorsque possible, des premiers utilisateurs. Ce lien direct permet d’évaluer non seulement la technologie, mais aussi la capacité d’exécution.
L’exemple de Nvidia illustre parfaitement cette dynamique. Son ascension dans le secteur de l’IA s’est appuyée sur une stratégie de R&D rigoureuse et une transparence continue autour du développement produit. Les investisseurs qui ont collaboré étroitement avec ses équipes techniques ont pu anticiper son potentiel et suivre de près l’évolution de son pipeline technologique. Une démonstration que l’expertise technique, couplée à une immersion active, peut faire toute la différence dans la prise de décision.
Conclusion : pour une discipline stratégique dans l’investissement en IA
L’intelligence artificielle transforme à vive allure les industries et les rapports de force économiques. Face à cette dynamique aussi prometteuse que risquée, un simple afflux de capitaux ne suffit plus. Ce moment appelle à une discipline stratégique accrue. Dans un environnement où les récits séduisants abondent, les investisseurs – qu’il s’agisse de fonds institutionnels, de grandes entreprises technologiques, de family offices ou de capital-risqueurs – doivent aller au-delà de la conviction pour adopter une posture fondée sur la rigueur, l’expertise technique et la transparence.
Investir dans l’IA aujourd’hui, c’est accepter une complexité nouvelle : celle d’un secteur où le battage médiatique peut masquer les fragilités technologiques. Cela exige non seulement des outils d’évaluation plus précis, mais aussi une capacité à dialoguer avec les talents derrière les modèles et à s’appuyer sur une diligence continue et collaborative.
En définitive, l’avenir de l’intelligence artificielle ne sera pas façonné uniquement par ceux qui rêvent en grand, mais par ceux qui investissent avec lucidité. Dans ce marché à haut potentiel mais à risque élevé, seuls les capitaux accompagnés d’une vision disciplinée et responsable résisteront à l’épreuve du temps.
Une contribution de Sahar Hashmi pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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