Alors que plus d’une entreprise française sur deux a déjà engagé une stratégie autour de l’IA générative, de nombreuses zones d’ombre subsistent quant à son déploiement : sécurité des données, maîtrise des usages, impacts environnementaux. Reprendre le contrôle sur l’arrivée de ces technologies implique de structurer leur adoption, d’encadrer leur utilisation, et de replacer l’humain comme acteur central de la transformation.
Une contribution de Xavier Garonnat – Expert IA, Architecte solution chez COSMO CONSULT
L’arrivée de l’IA générative a fait naître une inquiétude légitime, alimentée par la confusion entre les modèles gratuits, les solutions professionnelles, et le flou autour de la manière dont les données sont traitées. Pour dissiper ces craintes, il est essentiel d’expliquer comment ces systèmes fonctionnent réellement.
Perte de données : la gouvernance reste le meilleur bouclier
“L’aspiration des données” figure en tête des inquiétudes exprimées par les collaborateurs et décideurs face à l’introduction de l’intelligence artificielle dans les processus métier. Cette crainte est en grande partie nourrie par la méconnaissance du fonctionnement réel des IA. Il est donc fondamental de rétablir une vérité technique et de recentrer le débat sur les véritables enjeux : les défaillances internes en matière de gouvernance.
Avec les services IA grand public ou les solutions professionnelles comme ceux proposés par Microsoft, les données exploitées dans le cadre d’une requête restent dans un périmètre contrôlé. Elles sont anonymisées, stockées de façon temporaire et non utilisées pour entraîner des “modèles larges linguistiques” (“LLM”). Microsoft s’est également engagé à traiter les données des clients situés dans l’Union européenne exclusivement au sein de l’Union européenne, dans le cadre de son initiative EU Data Boundary.
Le véritable risque vient donc du manque de gouvernance interne sur les données de l’entreprise accessible par l’IA. D’où la nécessité de politiques de sécurité rigoureuses, d’audits réguliers, de restrictions d’accès bien configurées, notamment dans les plateformes collaboratives et documentaires (segmentation fine des droits, partage encadré, contrôle rigoureux des accès et traçabilité des échanges, niveau de confidentialité).
Agents IA : l’humain reste aux commandes
Une autre confusion, assez fréquente, provient aussi de la méconnaissance du rôle des différentes IA intégrées dans les outils du quotidien. L’IA générative peut assister un utilisateur individuel, dans ses tâches d’analyse, de rédaction ou de synthèse — via un prompt. Un agent IA correspond à toute autre chose : il s’inscrit dans un processus métier comme un utilisateur additionnel qui se voit déléguer des tâches répétitives en interagissant avec un ou plusieurs systèmes.
L’utilisation d’un agent IA bien configuré ne met pas en danger les données sensibles : l’avènement de nouveaux protocoles comme le MCP (“Model Context Protocol”) va permettre aux entreprises d’exposer de manière contrôlée des composants de leurs systèmes d’information afin de les rendre découvrables et utilisables par un agent.
Les cas d’usage sont déjà concrets : un agent peut très bien interpréter un mail entrant provenant d’un client afin d’initier une discussion avec ce dernier en intégrant des informations provenant de différents systèmes (base de produit/PIM, niveau de stock, éléments marketing, …) tout en étant monitoré et contrôlé par l’humain. Dans ces processus orchestrés par l’IA, l’utilisateur final gardera le contrôle : il contrôlera les éléments de réponses fournis par l’IA avant de les réinjecter dans un ERP ou un CRM par exemple.
Une opportunité de transformation… dialoguer avec l’IA
Comme pour toute avancée technologique, les craintes de remplacement de l’humain sont récurrentes. L’histoire a montré que l’automatisation transforme les métiers plus qu’elle ne les efface. L’IA générative suit cette logique : elle ne remplace pas un utilisateur, elle le déleste des tâches répétitives pour permettre aux collaborateurs de se recentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.
Elle impose cependant une nouvelle compétence-clé : savoir dialoguer avec l’IA. Le prompt engineering devient une capacité différenciante. Savoir formuler une demande, structurer l’information, contextualiser une requête, juger de la qualité de la réponse proposée pour l’adapter… deviennent des savoir-faire essentiels qui s’apprennent, et qui placent l’utilisateur au centre de la valeur générée.
C’est également en formant les collaborateurs à la gouvernance des outils d’IA qu’on limite les dérives. Les plus gros risques ne viennent pas des modèles eux-mêmes, mais des mauvaises pratiques : il est important de pouvoir classifier et contrôler les données utilisables par l’IA sous peine de perdre le contrôle d’accès à des informations sensibles ou classées. Il ne s’agit donc pas seulement de maîtriser une interface, mais de comprendre ce que fait — et ne fait pas — une IA générative avec les données d’une entreprise.
Et l’IA responsable dans tout ça ?
Enfin, difficile de parler d’IA sans évoquer son empreinte environnementale. Un prompt consommerait en moyenne l’équivalent de sept verres d’eau pour le refroidissement des data centers. À l’échelle mondiale, l’explosion des usages impose une réflexion globale sur l’exploitation des ressources naturelles.
Mais là aussi, des leviers existent : optimiser les prompts, réduire les appels inutiles, mutualiser les infrastructures, favoriser l’edge computing, développer des modèles plus sobres… Sans oublier l’importance de sélectionner des fournisseurs qui publient leurs indicateurs de performance énergétique.
Il faut accepter le paradoxe : l’IA permet d’optimiser, mais elle consomme. C’est donc à nous, utilisateurs, décideurs, intégrateurs, d’en faire un usage responsable, pour l’utiliser intelligemment — et poser les bases d’une IA plus sobre.
Reprendre la main sur l’IA, c’est choisir la façon dont on l’intègre dans son métier. Former, cadrer, sécuriser : voilà les clés pour un usage utile et responsable. L’IA ne remplace pas l’humain, elle l’accompagne — à condition de l’utiliser avec discernement.
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