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Future of Tech | Transhumanisme : des technologies à encadrer.

 
Notre cerveau sera-t-il bientôt relié à un ordinateur ? C’est le rêve d’un nombre croissant de milliardaires de la Silicon Valley. Ils veulent « réparer » l’homme voire l’«augmenter », dans une quête éperdue de puissance et d’immortalité. 

Qui veut jouer les cobayes et se faire poser un implant cérébral connecté ? En septembre 2023, la start-up Neuralink d’Elon Musk annonçait qu’elle recherchait des volontaires pour tester ses implants cérébraux connectés sur des humains. « Lève-toi et marche ! » aurait dit un jour Jésus à Lazar. Le milliardaire veut, peu ou prou, faire la même chose : en reliant le cerveau d’un patient paralysé à un ordinateur, il espère pouvoir lui rendre l’usage de ses jambes… Aux aveugles, il promet de rendre la vue, aux malades atteints d’Alzheimer, toutes leurs capacités cognitives et intellectuelles, et aux dépressifs leur joie de vivre. Quel pari fou ! Neuralink a été créée en 2016. Elle a attendu longtemps le feu vert de la FDA, l’administration américaine chargée d’autoriser ou d’interdire la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis, pour mener des essais non plus seulement sur les animaux, mais sur des humains. C’est désormais chose faite. La société peut à présent mener les premiers essais cliniques dans un hôpital sur des volontaires atteints de quadriplégie due à une lésion de la moelle épinière ou encore de la maladie de Charcot.

Terminé l’homme malade, diminué ou empêché 

Terminé l’homme malade, diminué ou empêché : les nouvelles technologies seront capables de « réparer » l’homme blessé. En soi, c’est déjà le cas : les neurotechnologies sont de plus en plus utilisées pour soigner ou réparer les handicaps grâce aux avancées impressionnantes dans la connaissance du cerveau et de ses 100 milliards de neurones et, plus globalement, du fonctionnement du système nerveux. Ainsi certaines personnes handicapées peuvent désormais piloter leur fauteuil roulant par la pensée et des personnes amputées d’un membre peuvent ordonner à leur main robotique d’attraper un verre.À Lausanne, en Suisse, un jeune homme paraplégique a même pu retrouver, pour la première fois et après douze ans d’immobilité, un contrôle naturel de la marche par la pensée, grâce au couplage de deux technologies rétablissant une communication entre le cerveau et la moelle épinière. La start-up américano-australienne Synchron a développé un implant baptisé Stentrode qui évite de recourir à une chirurgie « à ciel ouvert » en permettant une insertion via un stent positionné dans une veine à l’arrière du cou. Une fois placé dans le cortex moteur, le dispositif se déploie pour placer ces électrodes sur les parois des vaisseaux sanguins où il peut capter les signaux neuronaux qui sont ensuite transmis à une unité de décodage externe qui va traduire ces signaux en actions, pour contrôler un bras robotisé par exemple. « Si le cerveau fonctionne, nous pouvons capter ses informations et les utiliser pour contrôler des fonctions que les patients auraient perdues, indique le fondateur de Synchron. L’objectif est qu’ils puissent retrouver un usage le plus normal possible de leur corps ».

Implants cérébraux : demain, tous pucés ? 

Elon Musk n’est pas le seul à investir dans l’espoir d’être le premier à donner naissance à un surhomme, aussi appelé « l’humain+ », à savoir un homme dont le cerveau serait relié à un ordinateur et fusionnerait ainsi avec la machine. D’autres start-ups y travaillent aussi, à l’image de Synchron qui a levé en 2022 75 millions de dollars lors d’un tour de table incluant les fonds des milliardaires Jeff Bezos et Bill Gates. Aux États-Unis, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence de recherche du Pentagone, finance plusieurs organisations susceptibles de développer des implants cérébraux à coups de dizaines de millions de dollars. La start-up texane Paradromics, qui espère aider les personnes atteintes de troubles de la parole à communiquer, est l’une d’entre elles. Mais les investissements s’avèrent également massifs dans la recherche en vue d’applications non médicales.

Car certains ne se contentent pas de vouloir « réparer » l’homme, comme la médecine l’a toujours fait. En véritables démiurges, ils rêvent de l’« augmenter » : l’homme verrait dans l’obscurité, ne connaîtrait plus la fatigue et ne se casserait pas le col du fémur en glissant… Ses capacités intellectuelles seraient décuplées et sa mémoire prodigieuse. Équipé d’un exosquelette intelligent, doté de puces dans le cerveau, ce super-homme deviendrait plus performant et plus créatif.
Le fantasme du projet transhumaniste, quirelève encore largement de la science-fiction à ce stade, ne s’arrête pas là. Ce mouvement philosophique et politique – et j’ajouterais économique – ambitionne purement et simplement de redéfinir la nature même de notre espèce. Le but ultime ? Soustraire l’homme au vieillissement et lui assurer une éternelle jeunesse.« Vivre 300 ans, ce sera un jour possible », titrait L’Express en 2016, en écho au livre La révolution transhumanistedu philosophe Luc Ferry. Les adeptes de ce mouvement nous promettent « la mort de la mort », c’est-à-dire une forme d’immortalité par régénération du corps et téléchargement (« uploading ») de nos consciences sur ordinateur. Ils aimeraient transférer l’esprit, les émotions, le sens critique, l’humour ou l’analyse de la pensée d’autrui depuis le cerveau vers un ordinateur. Et même notre mémoire !Elon Musk a mis au point une puce connectée qui ambitionne de rendre possible le stockage de souvenirs sous forme numérisée. Dotée de la technologie Bluetooth, équipée de milliers d’électrodes, elle fait la taille d’une petite pièce de monnaie et se recharge la nuit par induction. « Potentiellement, nos souvenirs pourront être téléchargés dans un autre corps ou dans un robot » a-t-il lancé avant d’ajouter : « Le futur va être bizarre ». Et comment…Dès lors, le champ des possibles s’avère infini : pourra-t-on un jour littéralement effacer des mauvais souvenirs de notre cerveau ?
 
Des enjeux éthiques colossaux
 
Face aux géants de la tech qui promettent de guérir les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, de cécité ou de paralysie, la communauté scientifique émet à juste titre de nombreuses réserves. Sur le plan purement médical d’abord, avec le risque d’effets secondaires car l’implantation d’électrodes dans le cerveau peut causer des infections, des hémorragies ou des dysfonctionnements cérébraux. Les stimulations électriques ou magnétiques peuvent provoquer des crises d’épilepsie et modifier les capacités de plasticité du cerveau. Sur le plan éthique également : un implant cérébral peut interférer avec les pensées, les émotions voire le libre arbitre du patient. L’utilisation des neurotechnologies a un impact sur le cerveau, soit comme but recherché, soit en tant qu’effet secondaire, et la personnalité du patient ou de l’utilisateur peut être altérée, faisant par exemple survenir dépression ou euphorie.
 
Les politiques aussi s’emparent du sujet. Dans une note scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le député Patrick Hetzel explique que les enjeux éthiques sont croissants et plaide pour une régulation de ces technologies. Selon lui, de nombreuses initiatives se multiplient en ce sens au niveau international. L’OCDE a formulé, fin 2019, neuf principes en vue d’encadrer l’innovation en neurotechnologies. Cette recommandation, première norme internationale dans le domaine, se déclinera sur un plan national. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a présenté fin 2022 une charte pour un développement responsable et éthique des neurotechnologies en France. Elle a été mise au point avec de nombreux acteurs publics et privés. « À long terme, estime le député, la vigilance doit être de mise face au projet transhumaniste d’homme augmenté : les neurotechnologies doivent, d’abord et avant tout, servir à guérir et à réparer ». Il faudra en outre, assure-t-il, « définir un cadre législatif protecteur » sans pour autant « décourager la recherche et réduire notre compétitivité ».

 

Protéger les droits de notre cerveau
 
Sans cela, le risque de dérives est colossal. En Chine, selon plusieurs experts auditionnés par l’Office parlementaire, des expériences seraient menées pour surveiller les ondes cérébrales des élèves et des ouvriers grâce à des implants cérébraux, de manière à lutter contre les états émotionnels défavorables à la concentration.
 
De nombreuses voix s’élèvent pour encadrer de manière très ferme le développement des neurotechnologies. Il faudra garantir notamment la reconnaissance des droits des patients et des utilisateurs. Garantir aussi la protection des données cérébrales, la fiabilité, la sûreté et la sécurité des dispositifs.
 
Il est donc urgent d’encadrer les développements de toutes ces technologies si nous voulons conserver ce qui fait l’essence de l’être humain : la dignité et la singularité.
 
Certaines initiatives vont même plus loin que les droits habituels des patients (dont la dignité, l’intégrité du corps humain, le principe du consentement éclairé, le droit à l’information) et portent sur la protection de la personnalité et le respect du libre arbitre.
 
C’est le sens du rapport réalisé en 2022 par le Comité international de bioéthique de l’UNESCO : il appelle d’urgence à créer un nouvel ensemble de droits de l’homme, appelés « neurodroits », tels que l’intimité mentale ou le libre arbitre.
 

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