Le Royaume-Uni a annoncé investir 163 millions d’euros dans Eutelsat, renforçant le plan de sauvetage de 1,5 milliard d’euros destiné à relancer le champion européen du satellite. Un soutien financier et politique qui fait écho à l’implication croissante de Paris dans le redressement de ce fleuron technologique désormais jugé stratégique. Retour sur l’histoire mouvementée d’une entreprise devenue un levier clé de la souveraineté européenne en matière de télécommunications spatiales.
Créée en 1977 sous l’impulsion de dix-sept États membres du Conseil de l’Europe, Eutelsat naît dans un contexte de dépendance croissante à l’égard des technologies de télécommunication américaines. Dès l’origine, cette organisation intergouvernementale s’est donnée pour mission de doter l’Europe d’une infrastructure satellitaire autonome, couvrant la télévision, la radiodiffusion et les données. Le lancement du satellite Eutelsat I-F1 en 1983 marque une avancée décisive, propulsant l’Europe dans l’ère de la connectivité souveraine. Eutelsat s’impose alors comme un contrepoids stratégique à la domination d’Intelsat, l’acteur américain historique, incarnant l’ambition d’indépendance des communications civiles européennes grâce à un réseau spatial contrôlé depuis le continent.
Avec sa transformation en société anonyme en 2001, l’entreprise amorce sa mue commerciale, tout en conservant son rôle de bras armé technologique de l’Europe. Basée à Paris, Eutelsat opère aujourd’hui une flotte de plus de 35 satellites couvrant près de 95 % de la population mondiale. Un tournant décisif intervient en 2023 avec la fusion avec OneWeb. L’opérateur combine alors satellites géostationnaires et satellites en orbite basse, calquant sa stratégie sur celle de Starlink. Cette hybridation technologique devient un outil central pour fournir une couverture internet haut débit, y compris dans les zones les plus isolées. Face aux cybermenaces et à l’instabilité géopolitique, la maîtrise de cette souveraineté spatiale devient un impératif. L’intégration d’Eutelsat-OneWeb au programme IRIS², la constellation souveraine européenne sécurisée, en est la preuve.
Turbulences financières
Mais ce rapprochement ambitieux avec OneWeb fragilise rapidement les équilibres financiers du groupe. Au premier semestre de l’exercice 2024-2025, Eutelsat enregistre une perte nette de 315 millions d’euros, une rupture brutale par rapport aux exercices précédents. Cette dégradation s’explique par un environnement macroéconomique tendu, des retards dans le déploiement des satellites OneWeb, et le poids comptable de la fusion. Résultat : l’action chute de plus de 40 % en un an. Face à cette dégringolade, l’État français intervient pour éviter qu’un acteur stratégique ne vacille. Un plan de soutien est déclenché, mobilisant près d’un milliard d’euros, dont 717 millions pour deux augmentations de capital successives.
« Eutelsat est le seul acteur qui est non américain et non chinois et qui dispose d’une constellation en orbite basse et d’une telle offre. C’est un enjeu de souveraineté pour nous tous », avait martelé le président français Emmanuel Macron lors du Salon du Bourget de 2025.
Cet engagement traduit l’importance stratégique d’Eutelsat pour la souveraineté numérique européenne. À ce jour, l’entreprise reste la seule, hors États-Unis et Chine, à disposer d’une constellation LEO (Low Earth Orbit) opérationnelle, ciblant à la fois les marchés institutionnels et professionnels. Dans un contexte où l’autonomie sur les infrastructures critiques devient vitale, une faillite d’Eutelsat aurait signifié un recul majeur face aux géants que sont SpaceX et Amazon.
Montée en puissance de l’État
Depuis janvier 2025, l’implication de l’État français s’est intensifiée. En plus des augmentations de capital, le gouvernement prévoit de racheter les parts de Bpifrance (13,59 %) afin de renforcer son contrôle stratégique. Emmanuel Macron qualifie Eutelsat de « trésor stratégique », soulignant son rôle unique d’opérateur occidental -hors États-Unis- à maîtriser une constellation LEO à usage B2B et gouvernemental. Ce soutien s’inscrit dans une vision plus large : le plan France 2030, où les infrastructures spatiales figurent parmi les priorités. L’objectif est de porter à 648 le nombre de satellites OneWeb en orbite d’ici fin 2025, assurant une couverture mondiale répondant aux besoins civils, militaires et diplomatiques.
L’investissement britannique de 163 millions d’euros, annoncé en juillet 2025, vise non seulement à renforcer la recapitalisation d’Eutelsat, mais également à maintenir la participation de Londres à 10,9 %, avec une « golden share » via OneWeb. Ce droit de veto stratégique traduit l’intérêt du Royaume-Uni à rester impliqué dans la gouvernance de l’opérateur, désormais au cœur d’un projet européen structurant.
Répondre au défi de l’ “America First”
Cette stratégie industrielle prend un relief particulier dans un contexte géopolitique incertain. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ravive le besoin d’autonomie européenne face à l’ “America First”, tandis que la militarisation croissante de l’espace rend plus cruciale que jamais la maîtrise des infrastructures critiques. La recapitalisation d’Eutelsat à hauteur de 1,5 milliard d’euros, dont 750 millions par la France et 163 millions par le Royaume-Uni, s’inscrit dans cette dynamique. Il s’agit de sécuriser un maillon essentiel du programme IRIS², tout en réduisant la dépendance aux opérateurs américains omniprésents dans le conflit ukrainien, tant pour la défense que pour les communications civiles.
Mais au-delà du redressement financier, c’est une ambition politique qui se dessine. En confiant les rênes du groupe à Jean-François Fallacher, ex-PDG d’Orange France, et en transférant les parts stratégiques à l’Agence des participations de l’État, le gouvernement réaffirme sa volonté de piloter l’avenir du “Starlink européen”. À terme, l’exécutif ambitionne de faire d’Eutelsat un vecteur de coopération renforcée avec le Royaume-Uni, notamment sur les usages militaires et diplomatiques des satellites. Ce recentrage stratégique consacre l’espace non plus comme un simple enjeu industriel, mais comme un levier décisif de puissance européenne.
Lire aussi : “Ursula von der Leyen survit à la censure, mais affaiblie par sa propre majorité”

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits