Rechercher

Diriger à l’ère de l’IA : comment l’intégrer durablement et mobiliser les équipes

Diriger à l’ère de l’IA : comment l’intégrer durablement et mobiliser les équipes / Crédits : Westend61
Diriger à l’ère de l’IA : comment l’intégrer durablement et mobiliser les équipes / Crédits : Westend61

L’intelligence artificielle s’impose dans l’entreprise comme une transformation incontournable. Pour les dirigeants, la question n’est plus seulement de l’adopter, mais de l’incarner, de l’adapter aux métiers, et surtout de la faire accepter en interne. Flavien Chervet, analyste en prospective, livre ici des clés concrètes pour accompagner ce changement en profondeur.

 

Lorsqu’on parle d’IA en entreprise, les discours tournent souvent autour de la productivité, de l’automatisation et des gains opérationnels. Cette vision fonctionnelle — faire de l’IA un outil d’efficacité — domine encore les approches managériales.

Mais aujourd’hui, ce cadre ne suffit plus. L’intelligence artificielle ne relève plus d’une simple option technologique : elle devient une infrastructure invisible mais structurante de notre société. Comme Internet ou l’électricité, elle façonne en profondeur les usages, les compétences, les attentes… et donc, l’identité même des organisations.

Adopter l’IA, pour une entreprise, ce n’est pas juste prendre le train de l’innovation : c’est rester en phase avec le monde qui change. Encore faut-il savoir comment, où et avec qui la déployer.

 

Adapter la stratégie métier par métier

Il n’existe pas une seule manière d’utiliser l’IA, mais une diversité d’usages selon les fonctions de l’entreprise. Toutes ne seront pas touchées de la même façon, ni avec la même intensité.

Les métiers créatifs seront profondément bouleversés, voire redéfinis. Dans le marketing, par exemple, toute la chaîne de valeur peut bénéficier d’apports directs de l’IA générative : automatisation de la production de contenus, scénarisation plus fine, démultiplication des formats… Loin de tuer la créativité, l’IA peut au contraire la catalyser.

À l’inverse, les fonctions quantitatives ou mathématiques, comme celles appliquées aux opérations de l’entreprise, seront transformées plus lentement. Elles requièrent rigueur, précision, et peu de marge d’erreur — des qualités que l’IA ne maîtrise pas encore totalement, en raison de son penchant pour les réponses approximatives ou fantasmées. Dans ces cas, les entreprises auront tendance à s’appuyer sur des solutions IA sur mesure, fournies par des cabinets externes. Ces outils devront être testés à partir de jeux de données simulés, avant toute application réelle. Cette différence d’impact implique d’adapter la stratégie à chaque métier.

 

Les dirigeants doivent initier et incarner le changement

L’IA impose un changement de paradigme dans notre rapport aux outils. Contrairement aux précédentes révolutions numériques, elle n’est pas un simple prolongement de l’ordinateur. C’est une technologie d’un nouveau genre, dont il faut comprendre les logiques, les potentialités et les limites. Pour un dirigeant, cela suppose d’abord de l’adopter personnellement, en fonction de ses propres usages.

« Encore une fois, c’est une transformation complètement systémique de la façon de travailler. Donc les dirigeants qui ne vont pas, dans les trois prochaines années, utiliser l’IA au cœur de leur métier de dirigeant, ils vont être complètement sous-optimales. Ce n’est pas suffisant, mais c’est absolument nécessaire que les dirigeants soient power users sur l’IA. », souligne Flavien Chervet.

Comme le souligne Flavien Chervet, il ne s’agit pas d’imposer un outil uniforme à toute l’entreprise. Chaque département, chaque fonction sera touchée différemment. Les dirigeants doivent donc devenir des utilisateurs actifs, capables de tester eux-mêmes, d’identifier les zones de création de valeur, les limites, et les besoins réels. L’implication du top management est essentielle pour donner du sens et garantir la cohérence du changement.

 

Fédérer des communautés internes pour diffuser l’IA par capillarité

Une fois cette première phase d’appropriation entamée, vient le moment d’embarquer les équipes.

« Il y a dans toutes les entreprises des gens qui voient l’IA comme le truc révolutionnaire du millénaire et qui sont à fond, et qui utilisent déjà à fond, sans le dire à l’entreprise, ils font ce qu’on appelle du “shadow AI”. Il faut miser sur ces personnes qui sont un peu le moteur du changement. »

Une stratégie efficace consiste à s’appuyer sur un noyau de collaborateurs déjà sensibilisés ou passionnés. Ces profils, parfois situés à des niveaux intermédiaires de l’organisation, peuvent devenir des relais internes puissants. En formant des communautés apprenantes, en animant des ateliers ou en partageant leurs expérimentations, ils incarnent un changement horizontal, concret et diffus.

« Je vois beaucoup d’entreprises qui se mettent à fonctionner avec ce genre de communauté interne parce que ça marche bien. Ça fait un niveau intermédiaire. Ce n’est pas que le codir qui porte le changement. »

 

Intégrer l’IA dans la culture d’entreprise en la rendant désirable et accessible

Le véritable enjeu est de faire entrer l’IA dans la culture de l’entreprise, dans les habitudes, les représentations et les désirs. Cela suppose d’abord de désamorcer les peurs. L’IA charrie un imaginaire fort, parfois anxiogène, nourri par la science-fiction et les discours alarmistes. Elle touche à notre vision du travail, de la place de l’humain, et même de notre identité.

« Il y a une dimension émotionnelle. La science-fiction nous a préparés à des choses là-dessus qui ne sont pas réconfortantes. […] Ça vient toucher au cœur de notre humanité. […] Il y a quelque chose de très émotionnel. »

Mais les craintes sont aussi sociales : elles concernent l’avenir du travail, l’évolution des compétences ou la disparition de certains métiers. Les dirigeants doivent avoir le courage d’aborder ces questions de manière ouverte, sans les minimiser.

« Je pense que les gens ont intérêt à ouvrir le débat avec les collaborateurs sur l’usage de l’IA, et parler des sujets qui fâchent, en fait. […] Les collaborateurs sentent qu’on leur vend un truc tout rose, tout beau, ils n’y croient pas. »

En parallèle, il est possible de montrer le potentiel positif de l’IA. Une manière efficace d’y parvenir est de proposer des ateliers créatifs, sans lien direct avec le travail.

« Dès qu’ils se mettent à jouer avec, ils développent une curiosité et pouf, tout d’un coup, “ah mais en fait, c’est génial, c’est trop bien”, ça leur donne du pouvoir d’agir et donc, ça leur fait du bien. »

Explorer l’IA de manière ludique, en dehors de toute pression de résultat, permet aux collaborateurs de s’approprier l’outil de façon libre et motivante. En découvrant par eux-mêmes ce qu’elle permet, ils développent une curiosité active. « L’objectif est de leur faire découvrir l’envergure des possibles », explique Flavien Chervet. Transformer l’IA en source d’émerveillement, et non en menace, est l’un des meilleurs leviers pour l’ancrer durablement dans les pratiques.

 


À lire aussi : Management et incertitude : comment prendre des décisions éclairées dans un monde incertain

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC