Le 2 août dernier sont entrées en application les premières obligations de l’AI Act pour les modèles d’IA à usage général. Il devient alors plus que jamais nécessaire de marquer une pause pour interroger le déploiement de l’intelligence artificielle. Présente dans toutes les sphères de notre quotidien, de la vie privée aux usages professionnels, l’IA séduit par ses promesses de productivité et de réduction des coûts. Mais cette efficacité repose sur des systèmes complexes, loin d’être infaillibles. En comprendre les rouages, en encadrer l’usage, ce n’est pas ralentir l’innovation : c’est en poser les fondations, pour une performance plus juste, plus durable, et réellement maîtrisée.
Une contribution de Jeanne Fourcade, Manager Senior au sein du cabinet de conseil Bartle.
Mettre de la confiance dans l’IA pour gagner en performance
Rendre les systèmes explicables et maîtrisables permet de s’assurer qu’ils produisent des décisions fiables, cohérentes, alignées avec les objectifs métiers, et garantir que l’IA agit dans un cadre clair et reproductible, ce qui est essentiel pour des résultats justes et opérationnellement solides. Une IA bien conçue et gouvernée réduit les erreurs, évite les retouches, diminue ainsi les coûts et améliore la performance à long terme. En témoigne The Digital Economist qui affirme que « Les entreprises qui intègrent des audits d’éthique de l’IA enregistrent un retour sur investissement deux fois supérieur à celles qui ne le font pas, démontrant ainsi que les gains financiers peuvent aller de pair avec des considérations éthiques solides. » (1).
Pour atteindre cette confiance, il est nécessaire d’assurer une collaboration entre les équipes techniques et les fonctions conformité, juridique ou éthique. Leurs approches diffèrent souvent – agilité et expérimentation d’un côté, rigueur et précaution de l’autre (même si cette idée est loin d’être une généralité), mais leur coopération est essentielle. Loin d’un compromis par défaut, ce dialogue permet de concevoir des systèmes à la fois performants, sûrs et durables, conditions nécessaires à des IA utiles, adoptées et responsables.
Un cadre réglementaire en mouvement ne dispense pas d’agir
Certes, le cadre européen de l’IA est en mouvement. L’AI Act, récemment adopté, entre en application de façon progressive, et plusieurs éléments concrets (standards, lignes directrices) restent encore à préciser. Dans ce flou relatif, certains appellent à reporter les échéances, voire à alléger les exigences. D’autres préfèrent attendre que les règles se stabilisent pour agir.
Mais cette posture attentiste repose sur une idée erronée selon laquelle rien ne pourrait être fait sans une loi parfaitement fixée. Naturellement, les entreprises ont besoin de précisions quant à l’interprétation de certaines dispositions de la réglementation, mais les principes de l’IA de confiance, transparence, gouvernance des données, gestion des biais, supervision humaine, sont déjà largement reconnus et opérationnalisables. D’ailleurs, de nombreuses entreprises ont déjà engagé des démarches solides dans ce sens, bien avant l’adoption du texte européen. Naturellement, ces entreprises ne font pas partie des signataires de la lettre ouverte demandant un moratoire de 2 ans. Pour ces entreprises, la marche est basse : elles disposeront d’un avantage stratégique clair demain, face à celles qui auront choisi d’attendre.
Encadrer, c’est aussi affirmer sa vision du monde
L’IA ne se résume pas à une brique technologique parmi d’autres car elle reconfigure les rapports humains, influence les décisions, automatise des activités parfois sensibles. En faire un outil de performance implique d’en maîtriser les conséquences sociales, éthiques, environnementales, ainsi qu’en matière de souveraineté. Cela signifie intégrer son développement et son usage dans une démarche RSE cohérente et crédible.
Anticiper, ce n’est donc pas “aller plus vite que la loi”, mais adopter une posture responsable, fondée sur la transparence, la prévention des risques, l’inclusion et la redevabilité. Il s’agit de reconnaître que la gouvernance de l’IA fait désormais partie intégrante de la responsabilité sociétale des entreprises : on doit pouvoir mesurer l’impact d’un système, que ce soit sur l’écologie ou la société. C’est finalement refuser le profit à tout prix pour du profit responsable permettant de renforcer la confiance de ses salariés et de ses clients.
L’IA n’est pas un outil neutre : elle reflète les choix de celles et ceux qui la conçoivent et l’utilisent. Encadrer son usage, c’est affirmer notre vision du progrès.
(1) The ROI of AI Ethics – The digital Economist
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