Ambassadeur, Olivier Poivre d’Arvor a été choisi par le président de la République comme envoyé spécial à la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC). Un sommet qui doit à ses yeux mener à des décisions fortes et concrètes afin de mettre en œuvre une exploitation durable, une gouvernance juste et une protection vitale de cet océan indispensable à notre espèce et à notre planète.
Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability
L’océan est au cœur d’enjeux existentiels, géopolitiques, économiques, humanitaires. À quelques mois de la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) organisée à Nice, vous alertez sur une réalité que le monde peine encore à regarder en face : celle de la montée des eaux et de la disparition d’États.
OLIVIER POIVRE D’ARVOR : L’élévation du niveau des océans est souvent perçue comme un problème futur. Or, cela nous concerne tous dès à présent. Ce n’est plus un phénomène lointain. C’est notre génération qui verra disparaître des territoires entiers. D’ici 2100, des États souverains comme les Tuvalu, Kiribati, Nauru, ou les îles Marshall pourraient ne plus exister. physiquement. L’ONU évoque déjà près de 600 000 réfugiés climatiques issus de ces zones. Le cas de Kiribati est emblématique : ses dirigeants envisagent de devenir une nation numérique afin de préserver sa souveraineté, sa citoyenneté, et ses droits fonciers, même après la submersion de son territoire. C’est une mutation inédite du concept d’État-nation.
L’élévation du niveau des mers est-elle inéluctable ?
O.P-D-A : Elle est désormais engagée. Les dernières études scientifiques montrent qu’on s’oriente vers une hausse de 1,10 à 2 mètres d’ici 2100, bien au-delà des anciennes estimations du GIEC. Cette montée est due pour moitié à la dilatation thermique des océans et pour l’autre moitié à la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Or, aujourd’hui, même les glaciers de l’Est antarctique – jusqu’ici stables – commencent à vêler.
La cryosphère s’effondre et ce phénomène touche aussi les glaciers himalayens, menaçant l’approvisionnement en eau de centaines de millions de personnes.

Comment alerter les gouvernements et les populations, alors que la conscience océanique reste si faible ?
O.P-D-A : Nous avons initié l’UNOC parce qu’il y a une conscience de l’océan qui est très absente. Au cours de la même année vont avoir lieu la troisième UNOC et la 30e COP Climat. Il y a une véritable différence de traitement et on a toujours considéré que l’océan était à mettre dans les COP Climat. L’océan reste trop souvent relégué au second plan dans les discussions climatiques, alors qu’il devrait y occuper une place centrale.
C’est justement tout l’enjeu de l’UNOC 2025 à Nice. Nous voulons faire de ce sommet l’équivalent de la COP21 pour l’océan, un moment pivot, porteur d’annonces structurantes, mais aussi d’une vision positive. L’océan souffre, mais il a cette formidable capacité de régénération si on agit à temps. Contrairement au climat ou aux conflits armés, sur lesquels nous avons peu de leviers à court terme, l’océan est un espace où des solutions existent et peuvent être rapidement mises en œuvre.
Justement, quelles sont les grandes avancées attendues à l’UNOC 2025 ?
O.P-D-A : D’abord, une gouvernance internationale renforcée. Nous allons proposer, avec nos partenaires – UE, Inde, Norvège, Mexique, peut-être Chine et Japon –, le lancement de la Mission Neptune (2025-2040) : un programme mondial d’exploration des océans mobilisant agences océanographiques, spatiales, scientifiques et fonds publics et privés.
Ensuite, la création d’un « GIEC des océans », pour produire une expertise continue, et la sortie annuelle de l’indicateur Starfish, qui donnera un état de santé de l’océan en open data.
Enfin, nous allons essayer de faire de la Méditerranée un laboratoire de ce que sera ou serait un engagement des pays pourtour pour supprimer le plastique, avec un accord entre les 25 pays riverains de la méditerranée qui vont passer à Nice.
Le Président et d’autres chefs d’État vont essayer de faire entendre la voix de la raison par rapport au plastique. La France milite pour un véritable traité mondial sur la pollution plastique, que nous espérons ambitieux, même si les négociations sont aujourd’hui ralenties.
Vous évoquez souvent l’océan comme une source d’opportunités. Peut-on concilier protection et développement ?
O.P-D-A : Absolument. L’océan n’est pas qu’un sujet d’alerte, c’est une promesse. Même pour ceux qui ne jurent que par l’économie, il est temps de comprendre que l’océan serait la cinquième puissance mondiale s’il était un pays (chiffres OCDE). Il y a des ressources, des emplois, des innovations à en tirer, à condition d’instaurer une gouvernance sérieuse : lutte contre la surpêche, contre la carbonisation du transport maritime, encadrement de l’extraction minière.
Et surtout, partage des bénéfices issus des ressources génétiques en haute mer, comme le prévoit le Traité BBNJ que nous espérons ratifier à Nice.
Beaucoup de sommets accouchent de belles promesses. Comment éviter que l’UNOC ne soit perçu comme du « bla-bla » de plus ?
O.P-D-A : C’est une remarque fréquente, souvent formulée par ceux-là mêmes qui ne proposent rien et « blablatent ». Mais ici, nous changeons d’échelle. Jusqu’ici, l’océan était la « piscine », selon la belle image de la Convention sur le droit de la mer (1982). Nous allons enfin parler du bassin, de sa profondeur, de sa gouvernance et de son avenir commun.
Nous réunirons à Nice 500 maires et gouverneurs représentant 1 milliard d’humains vivant en zones côtières, pour créer une coalition internationale des villes littorales et travailler ensemble sur l’adaptation, les financements et des réponses concrètes.
Et surtout, nous allons faire de l’océan une priorité politique, scientifique et économique mondiale, ce qu’il n’a encore jamais été.
Un mot pour conclure ?
O.P-D-A : L’espace nous fascine. L’océan devrait nous fasciner tout autant. Parmi les 8 milliards d’humains que compte la planète, environ 7,7 milliards savent et peuvent marcher. Mais à peine un tiers sait nager. Ce simple constat en dit long sur le lien que nous avons perdu avec ce qui recouvre pourtant 71 % de la surface de notre planète. L’océan est notre passé, notre avenir et notre nouvelle grande frontière. Il est temps d’en faire une chance universelle.
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