Alors que Nice accueillera en juin 2025 la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), Christian Estrosi, maire de la ville et président de la Métropole Nice Côte d’Azur, président délégué de la Région Sud-Provence, Alpes, Côte d’Azur, partage sa vision d’un sommet historique. Entre création des Accords de Nice pour l’océan, lutte contre la pollution plastique, gouvernance des eaux internationales et mobilisation des territoires côtiers, il appelle à une action concrète, coordonnée et durable. Pour lui, l’UNOC ne doit pas être un sommet de plus, mais un tournant géopolitique et écologique mondial.
Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability
Nice a été choisie pour accueillir l’UNOC 2025, une reconnaissance forte de son engagement pour la préservation des océans. Qu’est-ce que cela représente pour la ville et pour vous en tant que maire ?
CHRISTIAN ESTROSI : C’est un moment historique pour Nice mais ce n’est pas un hasard : c’est une reconnaissance forte, une validation internationale de la politique que je mène avec détermination depuis seize ans. Nice n’est pas seulement une ville tournée vers la mer, c’est une ville engagée pour sa protection pour le XXIè siècle. Accueillir l’UNOC, c’est être la vitrine mondiale d’une transition écologique ambitieuse et concrète. Ici, nous ne parlons pas d’écologie à court terme ou d’effet d’annonce. Nous agissons. Cette année, nous porterons haut les couleurs de la Méditerranée. Nice parlera au nom des villes côtières du monde
entier, avec un message clair : la préservation de l’océan est un devoir universel, et nous sommes prêts à montrer la voie.

Quel modèle proposez-vous pour garantir que l’UNOC ne soit pas simplement un « sommet de plus » ?
C.E. : Nous n’oublions pas qu’accueillir l’UNOC 2025 est un immense honneur, mais surtout une responsabilité. Nous ne voulons pas d’un sommet de plus. Nous voulons faire date. Et pour cela, je propose un modèle clair et ambitieux : lancer à Nice l’équivalent des Accords de Paris pour l’océan. Les Accords de Nice, c’est une initiative forte pour structurer les engagements des États autour d’une protection commune, équitable et durable de notre bien commun planétaire : l’océan.
Les océans sont un bien commun universel, mais leur protection est fragmentée entre États souverains aux intérêts souvent divergents. À l’ère des tensions géopolitiques croissantes et de la militarisation de certaines zones maritimes, quel serait, selon vous, l’engagement clé qui ferait de cette conférence un véritable changement de cap pour les océans ?
C.E. : Faire de l’UNOC 2025 le moment où l’Humanité reprend enfin soin de son océan. Ce sommet ne doit pas être une parenthèse, mais un tournant.
Un sursaut mondial. Et pour cela, plusieurs engagements clés doivent voir le jour à Nice. D’abord, la ratification du traité BBNJ. C’est l’objectif central. Il permettrait d’organiser pour la première fois des COP de l’océan, comme il en existe pour le climat, pour gouverner en commun nos eaux internationales, ces 60 % de l’océan aujourd’hui sans réelle protection.
Depuis la conférence de Mar del Plata en 1977, puis celle de Montego Bay en 1982 qui a jeté les bases du droit de la mer, très peu a été fait pour réguler et protéger les eaux internationales, c’est-à-dire tout ce qui échappe à la souveraineté territoriale. Ce vide juridique a laissé place à une fragmentation dangereuse, à des intérêts concurrents, voire à des logiques de militarisation.
Ce n’est donc pas simplement un texte écologique. C’est aussi un instrument de stabilité géopolitique. Et cela explique pourquoi, par exemple, la Chine observe avec attention ce processus : elle y voit une opportunité d’avoir un siège à la table des discussions sur les grands équilibres maritimes dans le Pacifique, l’océan Indien ou la mer de Chine.
Dans un contexte où l’on voit resurgir des formes d’isolationnisme extrême aux États-Unis, il est crucial de préserver un espace de régulation collective.
Ensuite, je crois profondément à la force du local au service du global. C’est pourquoi je lancerai à Nice la Coalition des villes et régions côtières, pour donner aux territoires les moyens d’agir, de partager des solutions concrètes et de peser dans les négociations internationales. Mais cela ne suffira pas sans avancées concrètes sur le traité international contre la pollution plastique, qui menace la santé, les écosystèmes et le climat.
Puis, nous avons besoin d’annonces fortes sur la mobilisation des financements, sur la décarbonation du transport maritime, sur le développement d’aires marines protégées en ville comme nous le faisons ici à Nice. Tout cela forme un écosystème d’engagements, cohérent, structurant. C’est un combat. Il est vital. La France a un rôle moteur à jouer, comme deuxième puissance maritime mondiale, elle peut peser dans la construction de cette gouvernance mondiale. Elle peut être cette force d’équilibre, cette plateforme de dialogue entre puissances rivales. C’est cela l’enjeu de l’UNOC à Nice : faire émerger un multilatéralisme océanique concret, structuré, légitime. L’océan ne peut plus être une zone de non-droit. Il doit devenir un terrain de coopération stratégique, au service de la paix, de l’environnement, et des générations futures.
Parmi les priorités de l’UNOC, la lutte contre la pollution marine est un enjeu central. Pouvez- vous nous en dire un peu plus ?
C.E. : Bien sûr que la pollution marine est un enjeu central. Mais soyons lucides : le vrai combat, c’est le plastique. Tant que nous produirons massivement du plastique, il finira tôt ou tard dans l’océan. C’est pourquoi, à mes yeux, l’UNOC 2025 doit être un moment décisif pour briser l’hypocrisie mondiale sur ce sujet. Il faut avoir le courage de dire les choses : réduire la pollution plastique implique de réduire la production de plastique, et donc de convaincre les grands pays producteurs, souvent producteurs de pétrole également, de s’engager. Cela touche à leur modèle économique, mais aussi à la santé de leurs populations.
À Nice, nous avons décidé d’agir, sans attendre. Nous avons fait le choix d’être une ville zéro plastique. Nous avons investi 700 millions d’euros dans une usine de traitement des eaux, capables d’éliminer 99,8 % des microplastiques. Une première mondiale. Et ce n’est pas tout : j’ai initié la création d’une Coalition internationale, que j’aurai l’honneur de présider. Nous avons déjà engagé des collaborations avec des chercheurs à Hong Kong, qui vont mettre à disposition des outils numériques pour suivre en temps réel la pollution des deltas fluviaux. Ce n’est qu’un début. Nous avançons. Ensemble. Mais soyons clairs : Rome ne s’est pas faite en un jour. C’est un combat de longue haleine. Un combat pour l’ océan, pour le climat, pour la santé publique, et pour notre avenir commun.
La question du financement des actions océaniques est un enjeu clé de l’UNOC. Selon vous, comment mobiliser davantage d’investissements pour soutenir des initiatives concrètes en faveur des océans ?
C.E. : On ne sauvera pas l’océan uniquement avec de belles déclarations. Il faut des moyens. Et donc il faut parler financement, sans tabou. Le Blue Economy & Finance Forum à Monaco rassemblera l’ensemble des acteurs clés de la finance bleue. Ce sommet doit déboucher sur des annonces fortes. L’idée est de mettre face à face les porteurs de solutions et les détenteurs de capitaux. Dans la Coalition des villes et régions côtières, que je pilote dans le cadre de l’UNOC, nous avons également mis en place un groupe de travail consacré au financement, piloté par le Fonds mondial pour le développement des villes (ONU), avec des partenaires comme l’OCDE, la Banque européenne d’investissement (BEI), la BERD, ou encore la New York Climate Exchange, qui nous a récemment rejoints.
Notre objectif est clair : permettre aux villes et régions côtières d’émettre des obligations bleues, sur le modèle des obligations vertes, mobiliser des fonds issus des banques multilatérales et attirer des financements privés en créant des instruments innovants. L’économie bleue n’est pas un rêve, c’est un secteur d’avenir. Mais pour qu’il décolle, il nous faut inventer des outils financiers adaptés, accessibles, et transparents. Et cela commence ici, à Nice, lors de l’UNOC.
Quelles stratégies seront mises en place pour s’assurer que la finance soit véritablement mobilisée pour la conservation des océans et non pour leur exploitation accrue ?
C.E. : Il ne s’agit pas de financer la destruction des océans, mais leur régénération. C’est une question essentielle. Parce que oui, il y a un risque : celui que les financements bleus soient détournés de leur vocation pour alimenter des projets d’exploitation industrielle, au lieu de soutenir des solutions de régénération. C’est précisément pour cela que nous avons voulu donner un cadre exigeant à cette mobilisation. Le Blue Economy & Finance Forum (BEFF) à Monaco jouera un rôle central. Il servira de plateforme de dialogue, mais aussi de vigilance, entre institutions financières, gouvernements, ONG et acteurs de terrain. L’objectif est de fixer des critères clairs, des garde-fous, et de s’assurer que la finance bleue rime avec impact positif mesurable. Le message est clair : la finance bleue doit financer la transition, pas la destruction. Et cela nécessite des standards, une gouvernance transparente, et une volonté politique forte. L’UNOC 2025 sera le moment pour le prouver.
Face à la montée des eaux, faut-il repenser l’aménagement urbain et imposer des standards internationaux plus stricts pour les villes côtières ?
C.E. : Oui, il faudra repenser profondément l’aménagement urbain dans les décennies à venir. Mais il ne faut pas imposer un modèle unique au monde entier. La montée des eaux ne touche pas de la même manière Lagos, Jakarta, Tuvalu ou New York. Les solutions ne peuvent pas être les mêmes.
C’est tout le sens de la Coalition des villes et régions côtières, que nous allons officiellement lancer le 7 juin à l’occasion de la Journée mondiale de l’océan. Ce que nous voulons construire, c’est une plateforme internationale de coopération entre élus locaux, où les expériences s’échangent, les solutions s’adaptent, et les moyens s’unissent. Quelques exemples frappants suffisent à comprendre l’urgence et la diversité des situations : À Lagos, au Nigéria, 250 000 personnes vivent dans des bidonvilles voués à être inondés d’ici 2035. À Jakarta, un quart de la ville risque d’être submergé. Le gouvernement envisage de déplacer la capitale, mais que fait-on pour les populations côtières ? À Saint-Pierre-et-Miquelon, même le cimetière a déjà dû être déplacé. À New York, le sud de Manhattan pourrait avoir les pieds dans l’eau d’ici 2050. Cela implique une reconfiguration urbaine majeure, en intégrant la montée des eaux dans chaque décision d’aménagement. Et à Tuvalu, l’un des exemples les plus poignants : l’archipel risque de disparaître sous les eaux d’ici 2040. En janvier 2024, le pays a signé une convention avec l’Australie pour préserver la culture, les institutions et accueillir demain ses habitants. C’est un exemple puissant de solidarité climatique.
Ce que je défends, c’est une approche décentralisée, respectueuse des spécificités locales. Donnons les outils aux élus, gouverneurs, maires des territoires côtiers, et accompagnons-les. Ne leur dictons pas depuis des bureaux climatisés ce qu’ils doivent faire. La transition territoriale face à la montée des eaux sera le grand défi du XXIe siècle. Et c’est localement, avec les bonnes échelles de décision, que se construiront les vraies réponses.
Au-delà de la conférence, quels impacts durables souhaitez-vous que l’UNOC 2025 laisse à Nice et en Méditerranée ?
C.E. : L’UNOC ne doit pas seulement passer par Nice. Elle doit y rester, dans les esprits et dans les actes. Mon ambition est claire : je veux que l’UNOC 2025 laisse un héritage tangible, durable, populaire et méditerranéen. À Nice, plusieurs projets concrets incarneront cet héritage. D’abord, le « Pavillon de la mer », un lieu emblématique que nous construirons pour symboliser l’engagement de notre ville envers l’océan. Il sera baptisé par les Niçois eux-mêmes, pour que chacun s’approprie cet héritage. Ce pavillon deviendra un centre de sensibilisation, de formation, et d’innovation dédié à la protection maritime.
Nice poursuivra son engagement en tant que ville zéro plastique. Nous allons aussi renforcer l’aire marine protégée urbaine, unique en Méditerranée, pour préserver la biodiversité dans notre baie et favoriser une exploitation raisonnée des ressources marines. Et enfin, nous avons souhaité que le siège des villes et régions côtières soit implanté à Nice. Cela fera de notre territoire un hub permanent d’innovation, de dialogue et de coopération entre territoires maritimes du monde entier. Ce que je souhaite, c’est que Nice devienne une capitale méditerranéenne de l’engagement pour l’océan. Que les générations futures puissent dire : « C’est ici que les choses ont commencé à changer. »
Comment envisagez-vous la collaboration entre villes côtières du monde entier pour créer un réseau d’engagements concrets et partagés sur la protection des océans ?
C.E. : Pour protéger l’océan, il faut un multilatéralisme des territoires. On ne construira pas l’avenir de l’océan sans les territoires qui vivent à son contact quotidien. Les villes côtières, les régions littorales, les États insulaires sont en première ligne face aux effets du changement climatique, à la montée des eaux, à l’érosion, aux pollutions. Ce sont eux qui inventent les solutions. C’est pourquoi nous réunirons 500 maires et gouverneurs du monde entier pour cette première Coalition mondiale de villes et régions cotières. Cette Coalition reposera sur une charte d’engagements clairs, que chaque ville ou région signera. Elle sera abritée sous pavillon des Nations unies, et nous y travaillons activement avec nos partenaires institutionnels. J’en serai le président fondateur. Le chef Raoni nous a fait l’honneur d’accepter d’être le parrain de cette Coalition, assurant le lien symbolique et politique entre l’UNOC3 à Nice et la COP30 à Belém, en Amazonie. Nous avons d’ores et déjà lancé 6 groupes de travail structurés, dont le premier est spécifiquement dédié à l’échange de bonnes pratiques, de solutions locales et d’innovations entre les villes et régions membres. Et surtout : ce réseau vivra dans la durée. Entre deux UNOC, tous les trois ans, les élus se retrouveront chaque année pour faire avancer les engagements et coordonner les actions. Ce que nous bâtissons, c’est une forme de multilatéralisme territorial, incarné, concret. Parce que protéger l’océan, ce n’est pas qu’une affaire de sommets entre chefs d’État, c’est une mobilisation collective des villes, des femmes, des hommes, des solutions locales.
Enfin, si vous aviez un message à adresser aux citoyens de Nice et du monde entier sur leur rôle dans la préservation des océans, quel serait-il ?
C.E. : L’océan est notre avenir commun. Ce combat, nous devons le porter ensemble. Je veux m’adresser aux Niçoises, aux Niçois, et à toutes celles et ceux qui, à travers le monde, se sentent concernés par l’avenir de notre planète bleue. L’océan n’est pas une frontière. C’est ce qui nous relie. C’est notre mémoire, notre respiration, notre climat, notre avenir. Mais aujourd’hui, il étouffe, sous le poids du plastique, de la surexploitation, du dérèglement climatique. Et il ne se relèvera que si nous nous levons collectivement pour lui. Rien ne sera possible sans l’engagement des citoyens. Car protéger l’océan, c’est aussi repenser nos gestes du quotidien, notre consommation, notre rapport au vivant. C’est refuser le fatalisme. C’est croire en la force du collectif. Ce combat, c’est celui de notre siècle. Et nous le mènerons ensemble. Depuis Nice, pour la Méditerranée et pour le monde entier.
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