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“L’eau est devenue un enjeu stratégique”

Dans un monde confronté à la rareté croissante de l’eau et à l’effondrement du vivant, Kering franchit une nouvelle étape décisive. Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles, dévoile la « Stratégie eau » publiée par le Groupe en avril, pensée pour restaurer les écosystèmes et agir sur dix bassins prioritaires à travers le monde d’ici 2050. Dans cette interview, elle revient sur l’approche « climat- nature-eau » qui guide cette transformation et sur le rôle moteur que le luxe doit jouer à l’aube de l’UNOC 2025.

Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability

 

Votre parcours est unique, entre cabinets ministériels et direction de grandes entreprises. Qu’avez- vous conservé de l’action publique qui continue de guider vos décisions dans le monde privé ?


M-C.D. : L’intérêt général reste ma principale boussole. J’ai appris dans la sphère publique que les transformations profondes ne se font jamais seules : elles exigent vision, courage et coalition. Chez Kering, cela se traduit par une approche systémique, de long terme, qui place les enjeux sociaux et environnementaux au cœur de la stratégie, comme leviers de résilience.

 

Vous dites souvent : « Rien ne pourra se dénouer si les acteurs publics et privés ne marchent pas main dans la main. » Qu’est-ce qui manque, selon vous, pour que cette collaboration devienne structurelle, notamment autour des ressources comme l’eau ?

M-C.D. : Ce qui fait encore défaut, c’est une gouvernance véritablement partagée des ressources. L’eau en est un exemple emblématique : elle est vitale, mais sa gestion reste morcelée. Nous avons besoin d’indicateurs communs, de transparence et d’un cadre de responsabilité intersectoriel. Le secteur privé a un rôle à jouer dans la mesure, l’innovation, l’investissement, mais, sans coordination publique ambitieuse, nous resterons dans une logique de réparation, pas de transformation.

 

Votre engagement pour l’environnement remonte à l’enfance, nourri par votre lien avec le vivant, le végétal et l’animal. Comment cette sensibilité initiale continue-t-elle à influencer vos choix stratégiques chez Kering aujourd’hui ?

M-C.D. : Cette appétence pour le vivant dès mon plus jeune âge m’a appris que ce que nous détruisons met du temps à se régénérer. Cela m’amène à défendre une approche environnementale à la fois exigeante et pragmatique. Chez Kering, nous construisons des trajectoires fondées sur la science, la traçabilité et l’intégration de la nature dans les modèles économiques. Ce n’est pas une posture, c’est une gestion rigoureuse des risques à long terme.

 

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Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles de Kering

 

Pourquoi l’eau est-elle devenue un axe stratégique pour Kering ?

M-C.D. : Aucun produit de luxe ne peut exister sans eau : culture des matières premières, tannage, teinture… Or, cette ressource devient chaque jour plus rare, plus chère, plus convoitée. Avec notre stratégie dédiée à l’eau, nous voulons réduire notre empreinte, régénérer les écosystèmes et soutenir la gouvernance locale. L’eau douce est souvent absente des bilans, mais elle est centrale pour la durabilité. Notre ambition est de la rendre visible, mesurable et régénérable. On ne protège que ce que l’on est capable de mesurer.

 

Quels sont les objectifs concrets de cette « Stratégie eau » ? Et sur quels territoires agissez-vous ?

M-C.D. : Notre ambition est d’avoir un impact positif net sur l’eau d’ici 2050 en travaillant sur trois leviers :

Réduction : améliorer l’efficience hydrique des procédés.

Régénération : restaurer des écosystèmes aquatiques dans les zones critiques.

Engagement local : soutenir les communautés qui gèrent ces ressources.

Nous déployons déjà des actions en Italie, en Inde et en Afrique du Sud, des territoires clés pour nos matières premières.

 

Comment mesurez-vous votre « empreinte eau » dans les matières premières ?

M-C.D. : Grâce à notre outil Environmental Profi t & Loss (EP&L), nous sommes en mesure de tracer, quantifier et monétiser notre impact à chaque étape. Il s’agit d’un outil de transformation autant que de pilotage, car il permet de dialoguer avec les directions financières et industrielles, en objectivant l’impact. Seul, aucun acteur ne relèvera les défis du siècle. Le succès viendra de l’open source et du collectif. La réglementation doit être envisagée comme un moteur ; nous l’anticipons comme une opportunité stratégique. L’innovation est un levier clé pour réinventer la matière. C’est tout le sens de notre Material Innovation Lab basé en Italie, par exemple, et des 250 start-ups avec lesquelles nous interagissons.

 

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À l’approche de l’UNOC3, quelles sont les ambitions de Kering pour l’océan ?

M-C.D. : La performance de demain sera régénérative ou ne sera pas. Nous voulons aller au-delà de la réduction d’impact : il faut restaurer, réparer. Le luxe a le devoir d’ouvrir la voie. Sa capacité d’entraînement est précieuse pour faire évoluer les pratiques. Notre dépendance à l’eau douce est liée à la santé des océans. Avec le Fashion Pact par exemple, nous œuvrons à des engagements communs pour préserver les écosystèmes marins, réduire les pollutions plastiques et chimiques, et soutenir la régénération des littoraux.

 

Kering a été pionnier sur les « objectifs fondés sur la science pour la nature ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M-C.D. : Les objectifs fondés sur la science (Science-Based Targets for Nature, SBTN) nous permettent de dépasser les déclarations d’intention et de construire des trajectoires compatibles avec les limites planétaires. C’est une approche rigoureuse, structurée, indispensable. Ce qui ne change pas, ce sont les réalités physiques de la planète. Il faut s’y confronter avec méthode.

 

Comment vos Maisons intègrent-elles concrètement les enjeux liés à l’eau, aux matériaux et à la biodiversité ?

M-C.D. : Dans le cadre de la stratégie de développement durable du Groupe, applicable à l’ensemble de nos Maisons, chaque Maison suit une feuille de route personnalisée. Mon équipe, au niveau Corporate, met à leur disposition des outils communs, tels que la bibliothèque de tissus responsables et durables gérée par notre Material Innovation Lab en Italie.

 

À quoi ressemble un storytelling durable inspirant dans le luxe ?

M-C.D. : Il valorise les progrès, mais partage le chemin qu’il reste à parcourir avec transparence ; il reste humble tout en se fixant des objectifs ambitieux pour entraîner les autres acteurs dans son sillage. Le luxe de demain ne pourra plus se raconter sans transparence ni ancrage éthique. C’est une question de confiance – et de désirabilité.

 

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