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Le grand retour de Björk à Cannes, une ode à l’art, à la liberté, à la planète

Vingt-cinq ans après avoir bouleversé la Croisette avec son prix d’interprétation pour Dancer in the Dark, Björk signe un retour aussi puissant qu’émouvant au Festival de Cannes. La muse islandaise sera honorée du Humann Impact Prize pour sa vision artistique unique et son engagement pour la planète, avant de présenter la projection exceptionnelle de Cornucopia, œuvre monumentale mêlant musique, art visuel et conscience écologique. Un moment rare, à l’image d’une artiste inclassable, toujours en quête d’harmonie entre l’âme, la nature et la création.

Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability

 

Votre œuvre a toujours été profondément en résonance avec la nature. Alors que la planète devient de plus en plus fragile, comment ce lien évolue-t-il, et comment influence-t-il votre processus créatif ?


BJÖRK : En ce qui concerne l’équilibre entre l’urbain et le rural, je pense que l’Islande n’a pas tellement changé depuis mon enfance. Même si Reykjavík est une capitale européenne, je vis sur une plage, et à tout moment, je suis à seulement 45 min de route d’une nature totalement intacte. Je passais auparavant un tiers de mon temps à Londres ou Brooklyn, mais toujours deux tiers en Islande, donc je n’ai jamais perdu ce lien. Maintenant, cela fait cinq ans que je vis ici à 100 % et je l’aime un peu plus chaque jour. Il est normal pour les Islandais de mener une vie où l’on équilibre nature et style de vie techno du XXIe siècle… donc pas de grand changement de ce côté-là. Mais les villes devenant de plus en plus polluées, je dois dire que j’apprécie l’Islande davantage chaque année.

 

Vous venez d’Islande, une terre d’extrêmes élémentaires. Comment cette géographie unique a-t-elle façonné votre conscience écologique et votre relation au vivant ?

B. : Comme je l’ai dit, je ne connais rien d’autre. J’ai récemment discuté avec mes amis japonais, et nous partageons une adoration pour les volcans, les bains de forêt et une sorte de respect shintoïste pour les tremblements de terre. Nous avons aussi en Islande une culture des bains thermaux similaire aux onsen du Japon. Donc, beaucoup de points communs. Je ne pense pas que ce soit si unique – on retrouve des similitudes en Indonésie, à Taïwan, aux Canaries, et ailleurs.

 

Votre art ressemble à une forme d’activisme intuitif, émotionnel, poétique, presque mythologique. Pensez-vous que l’art puisse raviver notre lien à la Terre et inspirer une transformation réelle ?

B. : Merci… je prends cela comme un compliment. Je ne sais pas si je dois raviver ce lien, car j’ai le sentiment que je ne l’ai jamais perdu. Je pense que les personnes vivant en dehors de « l’Occident » partagent ce lien naturel. Par exemple, les peuples du Nord comme au Groenland, les Inuits du Canada, les Sâmes en Scandinavie, les Mongols, etc. Également dans le sud de l’Amérique du Sud et dans de vastes régions d’Afrique et d’Asie.

“Il est important de se rappeler que le récit de l’Amérique et de l’Europe dite « civilisée » n’est pas l’unique histoire existante. La majorité des habitants de la Terre vivent encore de manière rurale, en harmonie avec la nature.”

 

À l’ère de l’hyper-technologie et du consumérisme, imaginez-vous un futur où musique et innovation pourraient servir la planète plutôt que le profit ?

B. : Oui, cela existe déjà. Peut-être pas aux États-Unis, mais dans de nombreux autres pays.

 

Votre voix, vos métamorphoses scéniques, même vos silences semblent vibrer d’une présence organique. Créez-vous pour guérir, pour éveiller, ou pour rêver ?

B. : J’écris des mélodies depuis que je suis enfant, c’est donc naturellement tissé dans mon rythme physique. Comme pour la plupart des auteurs-compositeurs-interprètes, c’est émotionnellement connecté à ce qui s’est passé ce mois-là. C’est un peu comme développer une pellicule photo : cela influence le tempo, la texture et la couleur sonore.

 

En tant qu’artiste femme, farouchement libre et inclassable, quelles formes de conditionnement avez-vous dû briser pour préserver votre voix singulière ?

B. : Je pense que j’ai été consciente du chant dès mon enfance. Quand votre corps est votre instrument, vous apprenez à le lire en permanence. Il change beaucoup, comme si vous étiez un musicien dont l’instrument passerait sans cesse de la mandoline au violon, puis au biwa. Cela dépend du climat, des voyages, de la nourriture, de l’âge… La transformation de la voix humaine est spectaculaire et demande beaucoup de sensibilité.

 

Considérez-vous l’intuition comme une forme supérieure d’intelligence, peut-être même un chemin vers la libération ?

B. : Oui, cela peut l’être. Je pense qu’en unissant constamment les sens, le corps, les émotions, l’âme, l’esprit, avec le calendrier et les êtres aimés, on peut atteindre un certain équilibre. Je me sens la plus libre lorsque tout cela est en harmonie.

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Cornucopia est sans doute votre projet scénique le plus ambitieux à ce jour. Quelle en a été l’étincelle initiale, et comment avez-vous cherché à tisser ensemble musique, technologie et conscience écologique ?

B. : C’est probablement mon projet le plus ambitieux en termes de nombre d’écrans, de structures physiques et de main-d’œuvre pour le monter. Mes autres tournées étaient tout aussi ambitieuses, mais d’une manière différente. Cornucopia est né de l’envie de mettre en scène mon album Utopia. Après Biophilia et Vulnicura, avec des formats d’album-app ou en réalité virtuelle, il était temps de revenir à une scène du XIXe siècle, physique, respirante. Je voulais garder la sensation circulaire développée en VR : ainsi, pour Cornucopia, nous avons installé des écrans LED, des projecteurs, des rideaux et des toiles en arc de cercle autour des musiciens, comme une sorte de lanterna magica digitale. Je voulais donner une impression d’abondance, un peu comme une overdose d’écrans façon Times Square.

 

Le spectacle intègre un discours de Greta Thunberg. Selon vous, quel rôle l’art et l’activisme doivent-ils jouer ensemble à ce moment crucial de notre histoire commune ?

B. : Je pense qu’il existe des milliers de façons de combiner art et activisme, et aucune n’est juste ou fausse. Le silence peut être punk aussi. Je crois qu’il est vital de préserver la liberté de choisir sa manière d’agir dans le monde. Je soutiens toutes les formes de résistance idiosyncratiques !

 

Si vous pouviez envoyer une seule respiration de votre œuvre vers l’avenir (un son, une image, un geste), que choisiriez-vous pour symboliser votre vœu pour la Terre ?

B. : Le silence.

 


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