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“Innover, c’est résister à l’ancien monde”

Dix ans après l’Accord de Paris, et alors que l’édition 2025 de ChangeNOW vient de s’achever, Santiago Lefebvre dresse un constat clair : les lignes ont bougé, mais pas assez vite. Le fondateur du plus grand sommet mondial consacré aux solutions pour la planète revient sur les avancées réelles, les blocages persistants, et l’urgence de repenser nos modèles à la racine. Entre diplomatie, entrepreneuriat et engagement citoyen, il plaide pour une innovation systémique, portée par l’action collective, et revendique une forme de résistance : celle d’un nouveau monde qui s’invente face aux inerties de l’ancien.

Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability

 

Alors que l’Accord de Paris célèbre ses dix ans, quel bilan personnel tirez-vous de ces années de transition ? La trajectoire vous semble-t-elle encourageante ou inquiétante ?


SANTIAGO LEFEBVRE : Il y a un avant et un après Accord de Paris. Toute une génération d’acteurs de la transition est née dans son sillage, et ChangeNOW en fait partie. Le constat est clair : le monde dans lequel nous vivons est très différent de celui d’il y a huit ans, lorsque nous avons organisé notre première édition. La transition écologique et l’entrepreneuriat à impact étaient alors des sujets mineurs ; ils sont devenus aujourd’hui des caps majeurs de nos sociétés. Une fois cela dit, nous n’avançons pourtant pas assez vite, et les attaques contre l’écologie, la science et la démocratie à l’échelle mondiale tentent de nous faire revenir des décennies en arrière.

 

Vous avez lancé ChangeNOW en 2017. Quel a été le déclic ? Et comment avez-vous transformé une idée en événement de référence à l’échelle mondiale en moins de dix ans ?

S.L. : C’était avant tout une quête de sens. Je cherchais à allier carrière et utilité sociale. En découvrant les premiers entrepreneurs à impact il y a dix ans, comme Boyan Slat ou Joséphine Goube, j’ai eu une révélation : « C’est ce type d’entrepreneur que je veux être », pour apporter la puissance de l’entrepreneuriat au service de la planète. Mais tous ces acteurs n’avaient pas l’écosystème nécessaire pour se développer (investisseurs, talents, médias…) ; il fallait donc créer une plateforme pour favoriser les bonnes rencontres : le sommet ChangeNOW. Ensuite, il a fallu rassembler une équipe, mettre beaucoup de travail, prendre parfois des risques, et avoir aussi un peu de chance.

 

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Santiago Lefebvre, fondateur de ChangeNow

 

Comment avez-vous fait évoluer le sommet depuis ses débuts pour qu’il reste pertinent, impactant, et tourné vers la mise en avant des solutions et un changement de récit ?

S.L. : C’est une quête permanente, qui répond à une seule question que nous nous posons chaque jour : comment peut-on avoir un impact plus important ? L’impact est notre boussole. En fonction de l’évolution des grands enjeux, nous faisons les choix éditoriaux et stratégiques nécessaires. C’est parce qu’il y avait une montée du populisme lors des élections européennes de l’année dernière que nous avons organisé le premier débat électoral télévisé de l’histoire consacré à la transition écologique. Ou encore, c’est après la sortie des États-Unis que nous avons fait de l’édition 2025 un lieu de défense de l’Accord de Paris.

 

Quels sont, selon vous, les systèmes qui ont le plus résisté au changement malgré les alertes successives ? Et à l’inverse, où observez-vous une vraie bascule ?

S.L. : L’industrie fossile reste le plus grand frein à la transition. Cela doit être notre priorité. Il faut sortir d’un système qui repose encore en grande partie sur le pétrole, le charbon et le gaz. L’agriculture aussi doit évoluer, et la majorité des agriculteurs souhaite ce changement s’ils sont bien accompagnés. Or, les alternatives et solutions existent déjà : énergies renouvelables, agriculture régénératrice, économie circulaire…

 

En huit éditions de ChangeNOW, comment avez-vous vu évoluer la façon dont les entreprises, les collectivités ou les ONG s’emparent de la transition ?

S.L. : Aujourd’hui, le nombre de personnes engagées dans la transition a énormément augmenté. Dans les entreprises, cela relevait souvent exclusivement de l’équipe RSE. Désormais, cela concerne souvent tous les salariés, soit parce qu’ils ont été formés, sensibilisés, soit parce qu’ils se mobilisent d’eux-mêmes en interne, comme avec l’association Les Collectifs. Ce que nous avons constaté le plus, c’est la diversification des acteurs engagés. Pour donner un exemple : en 2017, nous avions accueilli 50 investisseurs, tous liés à l’impact investing. Aujourd’hui, ils sont plus de 1 200, représentant toutes les catégories d’investissement.

 

Quel type d’innovation (tech, sociale, artistique, financière) vous semble aujourd’hui indispensable pour catalyser le changement à grande échelle ?

S.L. : L’innovation doit être systémique. Ce n’est pas une question de choisir entre la tech, le social ou le financier : il faut tout réinventer en même temps. La technologie a un rôle à jouer, à condition qu’elle soit alignée sur les limites planétaires. Les innovations sociales et culturelles sont tout aussi cruciales, car changer les outils sans changer les mentalités ne suffira pas. Nous devons passer d’une innovation qui accélère la consommation et le gaspillage à une innovation qui restaure, régénère et répare. Aujourd’hui, innover, c’est autant résister à l’ancien monde que créer le nouveau.

 

Des projets ou des solutions vus lors des premières éditions de ChangeNOW ont-ils connu une croissance ou un impact   inattendu ?

S.L. : Oui, plusieurs projets que nous avons mis en lumière dès les débuts de ChangeNOW ont aujourd’hui un impact majeur. PlanetCare, par exemple, est une solution qui capture les microplastiques dans les lave-linges. Depuis 2025, grâce à une rencontre ministérielle réalisée à ChangeNOW, toutes les nouvelles machines à laver intègrent cette technologie. Ou encore l’équipementier sportif Nolt, qui a fait ses débuts à ChangeNOW il y a trois ans et qui, cette année, a présenté sa technologie unique au monde pour recycler les maillots.

 

Pensez-vous qu’un événement comme ChangeNOW puisse désormais produire plus d’impact concret que les grandes conférences climatiques traditionnelles ?

S.L. : Les grandes conférences jouent un rôle diplomatique clé. Elles fixent de grands objectifs, et le multilatéralisme est essentiel pour la paix. Mais forcément, quand on veut mettre 196 pays d’accord, cela prend du temps. ChangeNOW, c’est l’inverse : on accélère avec ceux qui veulent avancer dès maintenant. Ce n’est pas un sommet d’annonces, c’est un sommet d’actions concrètes. Nous rassemblons ceux qui construisent, dès aujourd’hui, les fondations du monde d’après.

 

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Comment articulez-vous l’influence de ChangeNOW entre acteurs économiques, politiques, société civile et culture ?

S.L. : Le changement ne viendra pas d’un seul secteur. Il faut connecter toutes les forces vives. À ChangeNOW, nous cassons les silos : start-up, grands groupes, ONG, artistes, activistes, chercheurs, institutions… Tous ont leur place pour construire des coalitions inédites. Parce qu’en 2025, le pouvoir n’est plus uniquement entre les mains des politiques ou des grands patrons : il est partout où il existe une démarche collective.

 

Quel est, à vos yeux, le plus grand impact concret généré par ChangeNOW depuis sa création ?

S.L. : L’impact de ChangeNOW est énorme et prend deux formes principales. D’une part, les retombées très concrètes : levées de fonds, lois influencées, projets déployés à l’international, changements de carrière… Le plus grand fonds d’investissement mondial dédié à l’océan, Sven Blue Ocean, a trouvé ses tout premiers millions à ChangeNOW. L’entreprise de vrac Jean Bouteille s’est développée dans 25 pays grâce à un partenariat noué chez nous avec L’Occitane. Et d’autre part, un impact essentiel : l’espoir et la capacité d’action. À l’entrée de ChangeNOW, 54 % des visiteurs se sentaient capables d’agir ; à la sortie, ils étaient 82 %.

 

Et si vous deviez formuler un souhait fort pour l’année 2030, ce serait lequel ?

S.L. : L’un de mes rêves est de voir, de mon vivant, et si possible dès 2030, la date du jour du Dépassement reculer. Là, nous saurons que nous avons remis le monde sur une bonne trajectoire.

 

Y a-t-il une rencontre ou une solution présentée à ChangeNOW qui vous a profondément transformé ?

S.L. : Oui, plusieurs. Que ce soit Satish Kumar, Jane Goodall, le chef Raoni… Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils cherchent à développer, non pas seulement l’intelligence, mais surtout la sagesse humaine. Et je crois que c’est ce qui nous manque le plus : avoir la sagesse de l’humilité, de l’amour, du respect du vivant, et de chercher à être, au fond, la meilleure version de nous-mêmes, la plus humaine possible.

 

Dans les moments de doute, qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?

S.L. : La certitude que nous tous, acteurs de la transition, nous tous, artisans de la paix et défenseurs d’une certaine idée de l’humanité, faisons ce qui est juste, et que nous allons réussir à améliorer ce monde. Maintenant… et pour de bon.

 


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