De Téhéran à Paris, de l’enfance silencieuse à la parole qui éclaire, Golshifteh Farahani a transformé l’exil en cri, la douleur en beauté, la résistance en élégance. Lauréate du Humann Peace Prize 2024 à Cannes pour son engagement sans relâche en faveur des femmes iraniennes, elle incarne aujourd’hui bien plus qu’une actrice : une sentinelle de la mémoire, une combattante de la dignité, une femme debout. Rencontre avec une âme libre et en vie.
Un article de Rosalie MANN, issu du numéro hors-série Forbes Sustainability
« Mon premier engagement ? D’être créée, pas seulement d’être née. »
« Je suis née engagée. Pas par choix, par nécessité. Ce n’était pas que je voulais être engagée, c’était juste que c’était dans ma nature, dans mon ADN de ne pas accepter les “non”, de refuser, de dire “Je vais le faire, je vais faire ce que je veux”. »
Dès les premiers mots, Golshifteh Farahani déjoue les conventions. L’engagement n’est pas un moment de bascule, il est, pour elle, une condition organique. Une conscience forgée dès l’utérus. Être née fille, en Iran, c’était déjà résister. « Je ne savais pas que j’étais engagée, je savais seulement que je ne voulais pas céder », confie-t-elle avec cette intensité calme qui brûle à l’intérieur. Son frère avait plus de libertés, son père l’autorisait à faire davantage ; elle, refusait de rester à l’écart. Elle voulait tout. Et elle l’a eu. Non pour braver, mais pour exister pleinement.
« Je suis née pour être libre et j’ai rêvé d’être domestique. »
Paradoxe fondateur. Son rêve d’enfant n’était pas d’être actrice ou guerrière. Il était simple, presque déroutant : devenir femme au foyer, avoir cinq enfants, faire des gâteaux. Un rêve doux, domestique, aux antipodes de ce qu’elle est devenue : « Un rhinocéros » comme elle dit dans un éclat de rire lucide – une force qui trace sa route, sans qu’aucun obstacle ne l’arrête, une machine qui travaille, indépendante, forte.
Mais ce rêve d’enfant contenait déjà un amour immense. Celui de la transmission. Celui d’une liberté à inventer, même dans les recoins les plus ordinaires. Ce rêve, elle ne l’a pas trahi, elle l’a transcendé.
« Mon premier acte militant : crier contre le plastique. »
Bien avant que la planète entière ne s’éveille à la crise écologique, Golshifteh, elle, souffrait du plastique. En Iran, où elle voyageait, aimait, s’enracinait, le plastique devenait partout insidieux, permanent. « C’était une obsession. Une douleur », raconte-t-elle. Elle décrit les paysages de son enfance, les vallées devenues décharges, les gestes devenus habitudes. « Ce n’est pas qu’un problème de jeter dans la nature, c’est un problème de consommation et d’éducation aussi. »
Sa prise de parole aujourd’hui se déploie dans une réflexion rare : comment créer un langage qui parle à la masse, pas uniquement aux convaincus ? Comment transformer l’utopie en récit audible ? Elle regrette le fossé entre l’élite écologiste et le reste du monde. Elle cherche à bâtir des ponts. « Si on ne crée pas une histoire, on ne touche pas les cœurs. »
« L’exil m’a tout pris. Et m’a tout donné. »
En choisissant de dénoncer l’oppression des femmes en Iran, Golshifteh Farahani a tout risqué : sa carrière, sa liberté, son pays. Elle a connu la prison, puis l’exil. Aujourd’hui, elle vit à Paris. Et elle parle, pour toutes celles qui n’ont pas de micro, pas de scène. « Je suis devenue un pont entre l’Iran et le monde. Je ne peux pas me battre sur tous les fronts. J’ai choisi, ou plutôt je n’ai pas eu le choix, donc j’ai choisi. »
Son regard se fixe, intense, lorsqu’on évoque l’espoir d’un retour. Elle évoque ses amis iraniens dispersés, sa mémoire floue de Téhéran, ses racines déconnectées. Et pourtant : « Je crois que chaque pas nous rapproche du sommet. Même si on ne l’atteint pas. L’important, c’est de ne pas renoncer. »
« J’ai perdu un pays. J’ai gagné le monde. »
Parmi les exilés, on ne parle pas de politique. On vit. On cuisine. On pleure. On rit. On partage la douleur en silence. « On apprend les noms des fromages français, les chansons ringardes. » Elle ne connaît plus Téhéran, mais elle connaît ses blessures. « Je suis un Iran qui bouge », dit-elle.
Ni tout à fait française, ni tout à fait iranienne, elle est de partout. « C’est l’une des choses les plus étranges de l’exil : on est vraiment de nulle part. » Elle est de là où elle pose ses pas, de là où elle fait pousser son potager. Car c’est cela, aussi, Golshifteh : une femme que rend heureuse une tomate qu’elle a plantée. Une étoile qui brille plus fort quand elle est seule, sur sa colline, avec le vent.
Et maintenant ?
Son souhait le plus intime ? La liberté. Pas seulement celle de l’Iran. Celle des corps, des âmes, des rêves. « Exister pour résister. Tant qu’on existe, on est les lumières, on est les bougies dans le noir », affirme-t-elle. Tant qu’il y aura des femmes debout, tant que sa voix portera, dans un rôle, dans un discours, dans un geste, alors l’espoir ne sera pas mort.
Golshifteh Farahani ne papillonne pas entre les causes, elle s’enracine. Et de ce choix, elle fait jaillir une eau rare : celle de la vérité.
À 14 ans, elle était déjà indépendante. À 17, elle quittait la maison. À 40, elle incarne une génération. Elle est le chant des femmes sans voix. Elle est une lumière dans la nuit.
Et quand on lui demande si elle rentrera un jour en Iran, elle répond : « Peut-être pas. Mais chaque pas m’y ramène. J’ai perdu un pays, mais j’ai gagné le monde. Et mon pays est dans mon ventre pour toujours. »
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