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Future of Sustainability | Températures record, croissance en berne : quand le climat fait dérailler l’économie

Les vagues de chaleur se multiplient. Plus fortes, plus longues, plus précoces. Juin 2025 a été le deuxième mois de juin le plus chaud en France depuis 1900, juste derrière la canicule historique de 2003. Pourtant, jamais la réalité de la crise climatique n’a semblé aussi mise à distance, jamais les politiques environnementales n’ont affiché un tel recul. À toutes les échelles : nationale, européenne, internationale. 

Une contribution de Thomas Guyot, Chief Strategy Officer chez Tennaxia

 

En France, la loi Duplomb prévoit de réautoriser certains néonicotinoïdes pourtant interdits depuis 2018, au mépris des alertes scientifiques sur leurs effets dévastateurs pour les pollinisateurs. En Europe, les réglementations ESG sont attaquées ou vidées de leur substance : CSRD, Green Claims, devoir de vigilance, toutes ces avancées essentielles sont fragilisées. Dans un monde en tension, où les priorités géopolitiques et industrielles paraissent toujours écraser l’intérêt commun, les acteurs engagés pour la transition sont dans le creux de la vague et peinent à faire entendre leur voix. 


Alors comment remobiliser ? Peut-être en parlant le seul langage encore audible : celui de l’économie. 

 

Des pertes de PIB bien concrètes 

Les catastrophes climatiques ne sont pas des alertes théoriques pour les décennies futures. Elles sont là, et elles coûtent déjà. En France, selon une étude menée par Allianz Trade, les vagues de chaleur du mois de juin 2025 ont déjà entraîné une perte estimée à 0,3 point de PIB. Soit la bagatelle de 9 milliards d’euros. Ces pertes sont liées à la baisse de productivité des salariés ainsi qu’à celle des rendements agricoles. Car non seulement notre économie est directement touchée par le changement climatique, mais nous peinons à mettre en place de véritables politiques d’adaptation à celui-ci. 

La perte de la biodiversité représente également un danger économique dantesque. La Banque centrale européenne, dans une étude de 2024, estimait que 72 % des entreprises non financières de la zone euro dépendent de manière critique d’au moins un service écosystémique. 75 % des prêts bancaires seraient ainsi exposés à la dégradation de ces écosystèmes. Or la méditerranée a atteint en ce début de juillet la température la plus élevée jamais enregistrée sur cette période, mettant en grave danger tous les écosystèmes qui y vivent. Quand une forêt disparaît ou qu’un sol s’appauvrit, ce sont des chaînes d’approvisionnement entières qui vacillent. 

 

Des chaînes de production fragilisées 

En 2024, les inondations en Allemagne ont forcé l’arrêt temporaire de plusieurs lignes de production chez Porsche. Son fournisseur d’aluminium avait vu ses usines submergées, provoquant des pénuries de matériaux. Audi, Mercedes et BMW ont été touchés à leur tour, mettant en lumière la vulnérabilité du tissu industriel européen face aux aléas climatiques. Les plans de continuité d’activité ne suffisent plus : il faut désormais penser résilience systémique et mettre en place des plans d’adaptation prenant en compte l’ensemble de sa chaîne de valeur. 

Ce type d’événement n’a plus rien d’exceptionnel. Il est le symptôme d’un monde qui se dérègle, et où chaque point de stress climatique devient un facteur de ralentissement économique. L’inflation alimentaire en 2022, liée à la sécheresse et aux vagues de chaleur, avait fait bondir les prix de 0,4 à 0,9 points de pourcentage, selon la BCE. L’institution monétaire européenne vient par ailleurs d’annoncer qu’elle tiendra compte du lien entre climat et stabilité des prix ainsi que de la dégradation de la nature dans ses futures décisions de politique monétaire. Une révolution silencieuse, mais significative. 

 

L’autre coût : celui du renoncement 

Le plus inquiétant, c’est que les émissions de gaz à effet de serre n’ont toujours pas atteint leur pic au niveau mondial et continuent d’augmenter années après années. Après un recul lié à la pandémie et à la crise énergétique, les indicateurs s’inversent. En France, la baisse des émissions, qui devait s’accélérer, ralentit dangereusement. Et pendant ce temps, les investissements dans les énergies fossiles repartent à la hausse, portés par des intérêts court-termistes et un discours sécuritaire. 

La Banque centrale américaine, de son côté, refuse toujours d’intégrer les enjeux climatiques dans son mandat. Une position assumée par Jerome Powell, président de la Fed, qui renvoie les décisions climatiques au seul champ politique. Une posture qui tranche avec celle de la BCE, plus proactive. Cette différence d’approche est révélatrice : dans certaines sphères, on préfère encore ignorer les risques plutôt que d’en anticiper les conséquences. 

 

Changer de logiciel économique 

Si la transition écologique est une exigence morale et démocratique, elle est aussi — et surtout — une nécessité économique. Le coût de l’inaction dépasse largement celui de l’action. Selon le Forum Économique Mondial, chaque dollar investi dans la résilience climatique rapporte entre 2 et 19 dollars à moyen terme. Ce n’est pas un sacrifice, c’est une stratégie. 

Pour sortir de l’impasse, il faut changer de logiciel. Ne plus opposer compétitivité et écologie, mais reconnaître que la soutenabilité est la condition même de la performance. Il faut aussi faire de l’économie un levier d’adhésion. Ce n’est pas en culpabilisant qu’on convainc, mais en montrant qu’un autre modèle est non seulement possible, mais préférable. 

La crise écologique n’est pas qu’une menace environnementale. C’est déjà une crise économique. À nous d’en tirer toutes les conséquences. 

 


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