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Charlotte Dauphin : « Le cinéma, c’est le lieu sans lieu, le lieu qui contient tous les lieux »

Charlotte Dauphin fait entendre une voix singulière dans le paysage du cinéma contemporain. À l’occasion de la 10e Semaine du Cinéma Positif à Cannes, elle revient sur le tournage de Bienvenue à Melpomène, son second long-métrage tourné dans le sud de la France il y a quelques semaines, dans lequel architecture, nature et psyché humaine s’entrelacent. Dans cet entretien, elle évoque sa vision d’un cinéma comme acte de résistance et d’écoute.

Un article issu du numéro hors-série Forbes Sustainability

 

Votre second long-métrage Bienvenue à Melpomène a été tourné récemment dans le sud de la France. En quoi ce territoire a-t-il façonné l’âme du film, tant sur le plan narratif qu’esthétique ?


CHARLOTTE DAUPHIN : Les paysages singuliers de Théoule-sur-Mer, où la nature sauvage se mêle aux créations architecturales surréalistes d’Antti Lovag et Jacques Couëlle, ont inspiré ce film. Architectures difformes, rues tordues : ce désordre visuel m’évoque un monde en chute libre, un chaos de perceptions et de sensations. Inspirée par cette ambiance troublante, j’ai écrit ce film qui met en scène Marthe – que j’interprète –, partie dans le sud de la France pour élucider les circonstances mystérieuses de la mort de sa mère. Mais les lieux, aussi beaux qu’étranges, dissimulent une réalité instable. Les architectures façonnent sa perception du monde et participent pleinement à la narration.

 

Le récit aborde des thèmes puissants : la transmission, la mémoire, la santé mentale… Quelle a été l’étincelle originelle ?

C.D. : J’avais le désir de faire un bon fi lm avant tout. J’ai pu observer dans ma vie comment un même événement peut être interprété de multiples façons en fonction des intérêts, des blessures. Les dissonances qui contournent la vérité peuvent altérer la santé mentale, surtout lorsqu’il s’agit d’histoires de famille. C’est un sujet universel que l’on expérimente tous.

 

Vous avez réuni une distribution exceptionnelle – Andie MacDowell, Marisa Berenson, Pascal Greggory, Finnegan Oldfield, Anouk Grinberg, Marie-Agnès Gillot… Qu’est-ce qui vous a guidée dans le choix de ces artistes ? Quelle résonance particulière ont-ils avec votre cinéma ?

C.D. : C’est un choix très intuitif. Andie, Pascal et Finnegan sont des personnalités nuancées, intelligentes. Il y a une infinité de couleurs en eux. Marisa était parfaite pour le rôle.

Marie-Agnès Gillot et Anouk Grinberg sont déjà des partenaires artistiques avec qui je travaille régulièrement. Il y a eu une adhésion très forte au scénario de la part de chacun d’entre eux.

 

Vous sentez-vous aujourd’hui accompagnée dans cette quête d’un cinéma plus lent, plus vivant, plus conscient ?

C.D. : Je crois qu’il y a beaucoup de résistants. Beaucoup plus qu’on ne croit. Et de résistantes aussi. Fort heureusement. Ils sont les garants d’une forme de liberté qui profite à tous.

 

Vous êtes également coproductrice du film de Scarlett Johansson, sélectionné à Cannes cette année. Que représente cette collaboration pour vous, en tant qu’autrice, réalisatrice et productrice ?

C.D. : Scarlett est une femme et une artiste complète. Et je dois dire que j’ai beaucoup aimé le scénario d’Eleanor, The Great, qui décrit les conséquences et l’engrenage du mensonge du personnage principal qui s’approprie, invente une histoire qui n’est pas la sienne pour se donner de l’importance. Bien sûr, ce mensonge révèle une blessure, un manque d’attention et on a une forme de tendresse pour le personnage. Scarlett et moi avons évidemment des sensibilités différentes, mais je pense qu’il y a une démarche similaire dans notre travail. Nous exerçons le même métier et j’ai voulu élargir l’horizon de mes productions internationales en collaborant avec une artiste américaine.

 

Pour la seconde année consécutive, vous avez conçu les statuettes des Humann Prize qui seront remis à Cannes durant la dixième Semaine du Cinéma Positif. Quel sens souhaitez-vous insuffler à cet objet symbolique ?

C.D. : Cet objet représente pour moi une forme de simplicité et d’évidence que devrait également revêtir notre engagement pour un humanisme qui exclut toute violence, toute agressivité. Mon dernier film parle de cela.

 

En quoi le cinéma peut-il être un lieu où l’on peut ralentir, entendre le silence, faire exister l’inexprimé ?

C.D. : Le cinéma, c’est le lieu sans lieu, le lieu qui contient tous les lieux. Chaque voix est unique et a le droit d’exister. C’est le cinéma qui m’intéresse. Et pour cette raison, j’ai décidé de participer activement à la cérémonie des Humann Prize. Je pense en effet que le cinéma permet d’exprimer, de formuler plutôt, et de formaliser des choses autrement difficiles à dire.

 

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Charlotte Dauphin, réalisatrice, actrice, plasticienne et productrice, avec Finnegan Oldfield

 

Le rythme du film, la place accordée au corps, à la lumière naturelle, au silence… Est-ce une manière de réconcilier l’humain avec son propre souffle, son propre rythme ?

C.D. : La lumière naturelle est une chose qui a pris une place centrale dans mon travail, tout comme les décors naturels. En tant qu’interprète, tourner dans des environnements authentiques, avec une lumière non artificielle, permet de capter une forme de vérité. C’est cette recherche de sincérité et de dépouillement qui m’anime aujourd’hui.

 

La santé mentale reste un tabou dans de nombreux récits. Comment l’avez-vous abordée dans ce projet ?

C.D. : Ce film aborde frontalement ce sujet. Je souhaitais aborder cette question dans toute sa complexité. Et j’ai fait beaucoup de recherches pour m’y préparer.

 

La mémoire – intime, familiale, collective – est souvent un territoire instable. Comment avez-vous navigué dans cette zone de trouble, entre oubli, blessure et transmission ?

C.D. : De façon très intuitive dans la construction du récit. Ce sont mes conclusions qui sont intuitives, les rouages de la dramaturgie. Je me suis vraiment documentée pour aborder certains sujets, en particulier la schizophrénie. Ça a été une écriture douloureuse, éprouvante émotionnellement. La construction du personnage aussi. Mais le tournage a été différent, joyeux.

 

Dans un monde traversé par des crises multiples – sociales, psychiques, environnementales – que peut encore le cinéma ? Peut-il recréer du lien, de l’écoute, du sens ?

C.D. : Bien sûr. C’est en reconnaissant chez l’autre ce que l’on porte en soi que l’on crée du lien. C’est en s’immergeant dans des vies éloignées de la nôtre que l’on crée de l’écoute. C’est la force du cinéma ! Il humanise.

 


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