Thierry Frémaux revient sur l’hommage bouleversant rendu à Delon en 2019 et évoque avec émotion l’héritage, la fidélité et la grandeur d’un homme libre.
Un article issu du numéro hors-série Forbes Sustainability
Quel souvenir gardez-vous de la Palme d’or d’honneur remise à Alain Delon en 2019 ?
THIERRY FRÉMAUX : Comme tous ceux qui étaient présents, je conserve un grand souvenir de cet hommage. D’abord de la montée de marches au son de la musique de Morricone ; de Delon, seul sur le tapis, ému, sachant que ça serait peut-être la dernière fois. Puis la cérémonie elle-même fut un moment rendu très particulier par la sincérité incroyable d’Alain Delon, par la présence de sa fille Anouchka à ses côtés dont on sentait qu’elle le rassurait. Car il était humble aussi, il a abordé tout cela avec une infinie modestie. Une certaine solitude émanait de lui. Il aura été le samouraï melvillien, jusqu’au bout. Delon a toujours su mesurer la force et la gravité des choses, et c’était magnifique de le voir prendre cette Palme d’or avec tant de hauteur, tant de dignité. J’étais à ses côtés sur scène – j’étais ému, comme toute la salle.
Cette année, l’exposition Delon & elles rend hommage à ses grandes partenaires féminines à l’écran. Comment voyez-vous cette relation entre Delon et « Elles » dans la construction de sa légende ?
T.F. : Delon a toujours montré un extraordinaire respect pour ceux avec qui il a travaillé : les réalisateurs, ses partenaires masculins (je me souviens de l’hommage qu’il avait rendu à Serge Reggiani en présentant Le Guépard) et bien sûr les actrices qui l’ont accompagné. Derrière ses rôles, derrière la réputation de séducteur, il y avait chez Delon une grande fidélité. Parce qu’il était un homme d’une grande droiture. À l’image, il amenait ses partenaires à sa hauteur.
En 2019, Alain Delon avait choisi de projeter Monsieur Klein. Que vous avait-il dit à propos de ce choix ?
T.F. : Choisir ce film n’était pas anodin de sa part. Monsieur Klein était son projet. Il l’a produit et a choisi de tourner avec Joseph Losey, un réalisateur communiste qui a fui le maccarthysme dans les années 1950 – ça, beaucoup d’observateurs un peu hâtifs l’ignoraient. Delon a toujours dérouté ceux qui tentaient de lui coller une étiquette politique. Parce que c’était un homme libre.
Le Palm Beach a récemment choisi de baptiser Salle Alain Delon le salon où se déroulera le dîner d’ouverture du Festival de Cannes. En quoi ce lieu fait-il écho à la mémoire et à la légende d’Alain Delon ?
T.F. : En 2023, soixante ans après le tournage de ce film, Alain a donné son accord pour que cette salle porte son nom. C’est d’ailleurs la dernière fois que nous avons été en contact avec lui, par l’intermédiaire d’Anouchka. Le film de Verneuil, Mélodie en sous-sol, reste l’exemple parfait de ces films français qui réunissaient une belle mise en scène, de grands comédiens et un succès gigantesque auprès du public. Le film a été tourné en partie à Cannes, il se termine dans la piscine du Palm Beach. Normal que ce soit l’endroit choisi pour qu’on se souvienne de Delon, sur la trace de ses plus beaux souvenirs.
Que pensez-vous qu’Alain Delon nous ait laissé ? Qu’est-ce qui, selon vous, survivra de lui ?
T.F. : La conviction, la force de caractère, la fidélité aux grandes personnalités. L’humour aussi, et ça peut surprendre. On s’amusait beaucoup, et lui riait aussi de lui-même. Ce qui me frappait toujours, outre son intelligence qui empêchait qu’on le prenne au dépourvu, c’est son indépendance d’esprit. Quand nous avons annoncé qu’il allait recevoir l’hommage du Festival, quelques voix se sont élevées pour multiplier les clichés, ceux qui lui collaient à la peau. Sa prétendue arrogance, sa manière d’être, son autorité, ses idées. J’avais répondu que je ne partageais pas toutes ses idées, mais qu’il ne m’avait jamais demandé de penser comme lui. Il nous a laissé ça, aussi, l’exemple d’un homme qui en a vu assez pour penser qu’il faut laisser tous les autres vivre en paix.
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