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Anouchka Delon : « Préserver la mémoire, c’est prolonger la vie »

Un hommage grandeur nature à Alain Delon, porté par une exposition à ciel ouvert, intitulée Delon & elles, dans la ville qui l’a révélé, célébré et tant aimé. C’est à Cannes qu’il a reçu, en 2019, une Palme d’or d’honneur, dans un moment d’émotion encore gravé dans les mémoires. Cannes l’a vu naître en tant qu’acteur. Cannes l’a vu devenir une icône. Aujourd’hui, Cannes lui rend hommage en grand à l’occasion du 78e Festival de Cannes. Imaginée par Rosalie Mann, qui en signe la direction artistique, et portée par Anouchka Delon, avec le soutien du Humann Prize, de la Ville de Cannes et des Parfums Christian Dior, cette exposition monumentale s’affiche sur les murs de la ville et le long de la rue d’Antibes. Un dialogue visuel entre l’homme et le mythe, entre l’intime et l’histoire du cinéma.

Un article issu du numéro hors-série Forbes Sustainability

 

Qu’est-ce que cela représente pour vous d’orchestrer aux côtés du Humann Prize et de la Ville de Cannes cet hommage monumental à votre père dans les rues de Cannes ?


Anouchka Delon : C’est beaucoup d’émotion. Voir mon père affiché en grand dans les rues de Cannes, cité du cinéma qui l’a tant accompagné, c’est à la fois vertigineux et profondément juste. C’est un projet magnifique qui permet de lui rendre un hommage à sa hauteur. Ce projet, je le vis comme un acte d’amour, une reconnaissance à la hauteur de ce qu’il a incarné – pour le public, pour le cinéma, pour moi. C’est un hommage monumental, mais aussi un geste profondément humain.

 

Cette exposition est aussi un geste de transmission : que souhaitez-vous transmettre du regard que vous portez sur votre père au public d’aujourd’hui ?

A.D. : J’aimerais transmettre le regard d’une fille pour son père. Un regard posé non seulement sur l’acteur immense qu’il a été, mais aussi sur l’homme, sur sa force, ses failles, sa sensibilité. Il m’a transmis une manière d’être au monde, un regard sans concession sur notre métier, une exigence, une liberté.

 

Votre père a reçu une Palme d’or d’honneur en 2019. Cette exposition à ciel ouvert semble prolonger cet hommage. En quoi cette reconnaissance publique est-elle aussi une reconnaissance intime ?

A.D. : C’est une façon de prolonger sa présence au-delà de l’écran, une façon de laisser son empreinte dans le temps. De ne pas l’oublier. Voir son visage dans les rues de Cannes, sentir que les gens pensent encore à lui, qu’ils se souviennent, c’est bouleversant. C’est plus qu’un hommage public : c’est une reconnaissance intime. Une manière de dire qu’il continue d’exister dans le regard des autres, dans la mémoire collective.

 

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Parmi les images exposées, y en a-t-il une qui vous touche particulièrement, et pourquoi ?

A.D. : Elles me touchent toutes dans leur singularité. Nous avons passé beaucoup de temps avec Rosalie Mann à les sélectionner. Il se dégage une émotion, une couleur propre dans chacune, comme si chaque photo avait sa propre respiration, sa propre âme. Comme une personnalité à part entière. Mais celle tirée du film Le Professeur résonne particulièrement en moi. C’est un de mes films préférés, du cinéma italien à l’état pur : contemplatif, profond et nostalgique. On y retrouve cette image de solitude noble que mon père incarnait si intensément. Cette photo dit tout sans un mot. Elle me bouleverse.

 

Pensez-vous que l’image de Delon, aussi forte qu’intemporelle, a quelque chose à dire à une nouvelle génération ?

A.D. : Je le crois, et je l’espère profondément. Pendant un temps, j’avais le sentiment que la jeune génération ne le connaissait pas. Depuis sa disparition, de plus en plus de jeunes viennent me parler de La Piscine, de Plein Soleil, de Monsieur Klein, de lui, de leurs films préférés. Ils découvrent, s’approprient, aiment l’acteur. Cela me touche. L’image de Delon, par sa force, son mystère, son intensité, traverse le temps.

 

Cette exposition s’inscrit dans le cadre du Humann Prize et du Festival de Cannes, mais aussi dans un moment crucial pour notre planète, avec la Conférence des Nations unies sur l’océan qui se tiendra sur la Côte d’Azur en juin. Selon vous, quel lien peut-on tisser entre culture, mémoire et engagement pour l’avenir ?

A.D. : Culture, mémoire et engagement sont, à mes yeux, les trois fils d’un même tissage. Ce que nous transmettons, ce que nous honorons, forge ce que nous sommes capables d’imaginer pour demain. La mémoire est une boussole : elle nous empêche d’errer sans racines. La culture donne chair à nos émotions, elle fait passer les idées. Et l’engagement, porté par la jeune génération, trouve là un socle solide. Quand un film, une photographie ou un récit réveille une conscience, alors il y a espoir. Ce dialogue entre passé et avenir est essentiel, et cette exposition, à sa manière, en est un pont. C’est une belle connexion à établir.

 

Votre père disait : « En dehors du public, je dois ma carrière aux femmes. » Aujourd’hui, dans cette exposition Delon & elles, à votre tour, vous honorez ces femmes. Est-ce aussi une manière de rappeler que les récits d’hommes ne peuvent exister sans les femmes qui les accompagnent, les défient, les révèlent ?

A.D. : Évidemment que les récits d’hommes ne seraient rien sans les femmes ! Les femmes sont à mes yeux l’alter ego de l’homme. L’un ne va pas sans l’autre. Au même titre que Nadal ne peut pas jouer comme il le fait sans un Federer en face, Alain Delon brille comme il le fait parce qu’une partenaire en face l’éclaire, le porte.

 

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Votre père a toujours été perçu comme insaisissable, presque sauvage, magnétique. Qu’est-ce que le public ne sait pas de lui et que vous aimeriez qu’il comprenne à travers cette exposition ?

A.D. : Je crois que le public pressent déjà beaucoup de choses : son hypersensibilité, sa profonde solitude. Mais au fond, ce qui fait sa force, c’est justement ce qui échappe. Il faut accepter de ne pas tout dévoiler. Le mystère est une part essentielle de sa vérité. Il ne s’est jamais offert totalement, ni à la caméra, ni aux regards. Et c’est peut-être cela qui le rend si magnétique. Cette exposition ne prétend pas tout dire de lui. Elle invite plutôt à ressentir, à deviner, à entrevoir l’homme derrière la légende, sans le capturer.

 

Vous rendez hommage à une figure immense du 7e art, mais vous le faites avec pudeur, tendresse et audace. Est-ce une manière de construire un pont entre l’intimité et la légende ?

A.D. : J’essaie comme je peux de garder vivant ce lien invisible qui relie l’homme à la légende. Ce que mon père a choisi de révéler, comme ce qu’il a décidé de taire, fait partie de cette alchimie unique qui a nourri sa légende. Je ne fais que prolonger ce geste avec sincérité, sans rien forcer. Son mystère lui appartient. Moi, je suis juste là pour lui offrir un écrin de lumière, à la mesure de ce qu’il a été.

 

Quel message aimeriez-vous que les passants de Cannes, en levant les yeux vers ces photos,
emportent avec eux ?

A.D. : J’aimerais simplement que les gens se souviennent de lui encore longtemps. Je souhaite que ces images murmurent encore à ceux qui les croisent. C’est pour lui que c’est important. Pour que sa mémoire continue de vivre, dans les rues, les cœurs, les regards. J’aimerais que ces images rappellent à chacun que les légendes ne sont pas faites pour être figées, mais pour éclairer notre présent, inspirer nos choix et raviver en nous le courage d’être pleinement vivant.

 


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