Dan Madesclaire, plus connu sous le pseudonyme apEX, est l’une des figures emblématiques de la scène Counter-Strike. Capitaine et in-game leader de Team Vitality, il a remporté en juin dernier le prestigieux Major d’Austin. Avec ce troisième Major en carrière, le Français devient le joueur le plus titré de l’histoire de Counter-Strike. Cette année, lui et son équipe ont décroché sept titres internationaux et signé une série remarquable de 30 victoires consécutives. Véritable pilier de l’esport français et vétéran de la scène, il revient sur son parcours, l’évolution de la discipline et les défis à relever pour structurer un écosystème encore en plein essor.
Forbes France : Tu viens de décrocher un nouveau titre avec le Major d’Austin. Qu’est-ce que cette victoire représente pour toi, après toutes ces années de carrière ?
Dan Madesclaire : Ce titre au Major d’Austin, c’est vraiment l’aboutissement d’une saison incroyable. C’est notre septième trophée, mais clairement le plus important de l’année. C’était celui qu’on voulait vraiment gagner. Gagner un Major, c’est le rêve de tout joueur de Counter-Strike. Aujourd’hui, on l’a fait, ensemble, avec cette équipe. Je pense que si on ne l’avait pas remporté, il y aurait eu des questions sur notre capacité à être là dans les grands moments. Mais on a prouvé qu’on pouvait répondre présent quand ça compte vraiment. Pour toute l’équipe, ça a été un moment unique.
Tu fais partie des rares joueurs français à avoir traversé toutes les époques de Counter-Strike. Qu’est-ce qui a le plus changé dans l’esport depuis tes débuts ?
D.M. : J’ai commencé il y a plus de 18 ans. À l’époque, les compétitions se jouaient dans des salles des fêtes, avec des tables et des chaises de camping. Je dormais sous les tables, dans un sac de couchage, parce que je n’avais pas les moyens de me payer un hôtel. Quand je regarde le chemin parcouru depuis, c’est un vrai grand écart. Aujourd’hui, je vis de ma passion et j’ai la chance de gagner ma vie grâce à ça. Tout a évolué : l’encadrement, la structuration des clubs, le professionnalisme. Quand je suis arrivé chez Team Vitality en 2018, ils étaient à peine neuf. Aujourd’hui, ils sont près d’une centaine. Ça illustre parfaitement la transformation de ce secteur.
Comment as-tu vécu, en tant que joueur, la montée en puissance de l’esport en France ? Était-ce un pari risqué à l’époque ?
D.M. : Pour moi, l’esport en France a vraiment commencé à prendre de l’ampleur vers 2014-2015. Mais ça a eu un impact sur mon parcours scolaire… J’ai redoublé, pris une année sabbatique et obtenu mon bac à plus de 20 ans. Ensuite, j’ai commencé un BTS, mais quand j’ai demandé un emploi du temps aménagé pour jouer, on m’a refusé cette possibilité. Alors, j’ai pris un risque : tout arrêter pour me lancer à fond dans CS. C’était il y a plus de 11 ans. Et aujourd’hui, je peux le dire : c’est la meilleure décision de ma vie.

À ton niveau, qu’est-ce qui te pousse encore à te dépasser aujourd’hui ?
D.M. : C’est simple : la soif de victoire et l’envie de montrer que je suis toujours là, peu importe l’âge. Je fais partie des plus vieux sur la scène, mais je crois qu’avec du travail, on peut durer. Certes, ce n’est pas toujours simple avec la vie personnelle et familiale, mais j’aime profondément ce que je fais. La compétition, c’est mon moteur.
La France est-elle vraiment devenue une « nation d’esport » selon toi ? Que reste-t-il à faire ?
D.M. : Certains jeux sont populaires ici, mais pas Counter-Strike. Le thème du jeu crée un malaise qui freine sa reconnaissance. En Scandinavie, quand une équipe gagne un Major, elle est reçue par un représentant de l’État. En France, on en est loin. Pour CS, on aurait besoin d’un soutien institutionnel clair. Cela dit, d’autres jeux comme League of Legends, VALORANT ou Rocket League participent à démocratiser l’esport.
Est-ce qu’il manque un vrai circuit semi-pro ou amateur pour faire émerger de nouveaux talents ?
D.M. : Oui, clairement. Aujourd’hui, en dehors du circuit principal, il n’y a pas assez d’équipes capables d’accompagner les jeunes. On ne peut pas tout plaquer pour se lancer sans revenus. Il faudrait un circuit structuré pour les semi-pros, ça poserait des bases solides.
Tu fais figure de vétéran. Comment envisages-tu l’après-carrière ?
D.M. : Je n’ai pas encore de date en tête. Le jour où j’arrêterai, ce sera une question de ressenti. Ce qui est sûr, c’est que je prendrai une pause. Après, pourquoi pas transmettre ou coacher de jeunes talents ? Mais je n’ai encore rien décidé, et je ne suis pas certain que mon après-carrière sera forcément dans l’esport.
Les discussions autour du burnout et de la santé mentale des joueurs progressent-elles ?
D.M. : Les clubs, oui, ils prennent ça au sérieux. Mais l’écosystème global, pas assez. Le rythme est intense, les tournois s’enchaînent et parfois ça frôle l’abus. Le public aussi minimise cette réalité en disant : « Ce ne sont que des jeux vidéo. » Mais si on perd en performance, on perd notre place, et donc notre emploi.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui rêvent de devenir pros ?
D.M. : Écouter les anciens, le staff, et ne jamais croire que tout est acquis. Devenir pro, c’est juste le début. Il faut se remettre en question chaque jour. J’aime me répéter : « J’ai envie d’être indispensable aujourd’hui, mais demain, je dois tout faire pour l’être encore. »
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