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Transparence des rémunérations : mythe de modernité ou vrai levier de transformation ? 

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Transparence des rémunérations : mythe de modernité ou vrai levier de transformation ? 

Longtemps perçue comme un tabou, la rémunération entre dans une nouvelle ère. Sous la pression des évolutions règlementaires et sociétales, la transparence n’est plus une option, elle devient un levier stratégique pour attirer, engager et gouverner autrement. 

Une contribution de Sofia Sefrioui, experte rémunération et gouvernance, dirigeante de Harold Consulting 

 

Longtemps perçue comme un tabou, la rémunération entre dans une nouvelle ère. Sous la pression des évolutions règlementaires et sociétales, la transparence n’est plus une option, elle devient un levier stratégique pour attirer, engager et gouverner autrement. 


Alors que les exigences de transparence salariale se multiplient, portées notamment par la directive européenne sur la publication d’informations non financières (CSRD) et la directive dite « transparence », ainsi que par une attente grandissante des collaborateurs, investisseurs et société civile, la diffusion d’informations salariales apparaît aujourd’hui moins comme une contrainte réglementaire qu’un défi stratégique majeur pour les entreprises. 

 

Une évolution réglementaire : entre pression externe et transformations internes 

Au niveau européen, l’adoption de la Directive sur la Transparence (2014/95/UE) puis son renforcement avec la Directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), élargissent le périmètre des informations non financières à publier, incluant désormais des données sur l’égalité salariale, les écarts de rémunération entre genres, et la politique globale de rémunération des dirigeants. Ces obligations ne sont plus réservées aux grandes entreprises cotées : elles s’élargissent également aux ETI et PME de taille significative. 

En France, la loi « Rixain » sur l’égalité salariale impose des mesures de transparence associées à des pénalités en cas de non-respect, soulignant la pression réglementaire forte qui s’exerce sur les entreprises. 

Ce contexte légal pousse les entreprises à déployer des politiques salariales plus visibles, obligeant à revisiter non seulement la documentation des données, mais aussi la narration autour des mécanismes et critères de fixation des rémunérations.

 

Transparence des rémunérations : quels impacts réels ? 

Les recherches en économie comportementale et en psychologie du travail offrent un éclairage varié, parfois paradoxal de la transparence. 

  • Impact positif sur la motivation  

Des études comme celles de Edward P. Lazear et Sherwin Rosen (1981) sur la théorie des incitations suggèrent qu’une certaine visibilité sur les rémunérations au sommet (transparence verticale), ou le fait de savoir ce que gagne le “meilleur”, structure fortement les incitations au sein de l’entreprise. Ces études ne traitent pas explicitement de la transparence horizontale moderne (chaque salarié connaissant le salaire de ses pairs), ni des lois actuelles obligeant à la publication détaillée des rémunérations. Leur approche relève de la transparence stratégique à certains niveaux hiérarchiques pour structurer la concurrence interne, et non du partage généralisé des informations salariales. 

  • Impact positif de la justice procédurale et distributive sur l’engagement  

De même, Colquitt et al. (2001), qui a mené une méta-analyse pour examiner les liens entre justice et comportements organisationnels souligne que la perception de justice procédurale (équité des processus utilisés pour prendre des décisions) et distributive (équité perçue dans la détermination des salaires, augmentations, promotions) participe à l’engagement des collaborateurs. 

  • Effets contre-productifs d’une transparence mal orchestrée 

Toutefois, une transparence mal orchestrée peut générer des effets négatifs : jalousie, frustration, désengagement, voire fuite des talents. Les observations de Michaël Bamberger et Boris Belogolovsky (2017) montrent qu’un partage trop large de l’information salariale peut entraîner des conflits internes, en particulier s’il n’est pas accompagné d’une communication adaptée à la culture de l’organisation et si les critères de différenciation ne sont pas perçus comme équitables 

 

La réalité du terrain : l’expérience des entreprises accompagnées 

Dans mon accompagnement des entreprises, j’observe que la transparence salariale fait émerger plusieurs enjeux-clés : 

  • La culture managériale : la confiance entre managers et équipes est cruciale pour assurer une communication et pédagogie adaptées sur les rémunérations et leurs processus de gestion. Sans management authentique et formé, la communication sur les salaires peut provoquer de l’incompréhension, voire une certaine frustration. 
  • La clarté des critères : plus les règles d’attribution sont lisibles, objectives et acceptées, plus la transparence produit un effet positif. 
  • L’équité réelle : seuls des diagnostics précis et des plans correctifs réguliers crédibilisent la démarche auprès des salariés. 
  • La gouvernance : impliquer le conseil d’administration, la direction générale et les parties prenantes dans la réflexion garantit une stratégie et démarche cohérentes. 

 

Transparence stratégique : vers une nouvelle forme de reconnaissance 

Dans un contexte où la rémunération devient un levier majeur d’attractivité et d’engagement, la transparence ne doit pas se limiter à un reporting formel. Elle devient un outil précieux pour : 

  • Valoriser les talents et leurs contributions de manière équitable et visible, 
  • Renforcer la confiance interne et externe autour d’une politique salariale lisible, 
  • Soutenir la marque employeur en montrant un engagement réel contre les inégalités, 
  • Faciliter le dialogue social et la co-construction d’une politique de rémunération durable. 

 

En conclusion 

La transparence des rémunérations, loin d’être un simple mythe de modernité, est un levier puissant de transformation — à condition d’être pensée et mise en œuvre avec sincérité, rigueur et pédagogie. Les dirigeants et conseils d’administration ont un rôle clé pour piloter cette évolution avec discernement, et inscrire la rémunération dans une logique de confiance et de performance durable. 

La question réside dans la façon dont les organisations vont s’emparer de ce sujet pour en faire une vraie opportunité pour revisiter leurs pratiques et donner du sens à l’équité, clé pour créer plus d’engagement. 

 

Pour aller plus loin (sources et références) : 

  • Directive 2014/95/UE, intégrée dans la Directive CSRD (2022) – Commission Européenne 
  • Loi Rixain n°2021-1774 du 24 décembre 2021 – égalité professionnelle femmes-hommes 
  • Lazear E., Rosen S. (1981), “Rank-Order Tournaments as Optimum Labor Contracts”, Journal of Political Economy 
  • Colquitt J.A., Conlon D.E., Wesson M.J., Porter C.O., Ng K.Y. (2001), “Justice at the millennium: a meta-analytic review of 25 years of organizational justice research”, Journal of Applied Psychology 
  • Bamberger P., Belogolovsky E. (2017), “The Impact of Pay Transparency on Employees’ Behaviors, Attitudes, and Perceptions: A Review and Research Agenda”, Journal of Management 

 


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