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Souveraineté numérique : le virage est pris, il faut maintenant construire les ponts

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Souveraineté numérique : le virage est pris, il faut maintenant construire les ponts

« On n’a pas à se laisser manger par les prédateurs » lançait Clara Chappaz lors de la soirée Souveraineté Numérique à Bercy. Quelques semaines plus tard, Emmanuel Macron affirmait qu’il n’y avait « pas de vassalité heureuse ». Voilà, c’est dit. Et c’est entendu : la souveraineté numérique n’est plus un tabou. Elle s’est installée dans les discours politiques, les feuilles de route stratégiques, les appels à projets, les comités de pilotage. Le mot est devenu familier, presque consensuel. Tant mieux. Reste une question autrement plus rugueuse : et maintenant, on fait comment ?

Une contribution d’Alain Garnier, CEO et cofondateur de Jamespot

 

Une dynamique enclenchée, mais encore inégale

 


Depuis quelques années, des signaux forts émergent. L’Europe avance, à un rythme inégal, mais réel. L’exemple le plus marquant, ces derniers mois, est celui de l’Allemagne. Longtemps discrète sur le sujet, elle s’est engagée de manière concrète et offensive. Nextcloud, solution allemande de cloud collaboratif, a été retenue comme brique de base pour les ministères. Matrix, une messagerie sécurisée et décentralisée, est en cours de déploiement dans les administrations. Et les acteurs de la cybersécurité bénéficient d’un soutien politique et financier de long terme.

Ce virage a contribué à libérer le positionnement français. Ici aussi, les lignes bougent : Cloud de confiance, IA générative, alternatives à Microsoft… C’est plus qu’un frémissement. Mais ces avancées restent fragiles. Certaines institutions donnent l’impression de regarder en arrière. La DINUM, notamment, semble privilégier des logiques centralisées et réinventer la roue, là où la souveraineté, entendue comme autonomie stratégique, repose avant tout sur la liberté de choix et s’appuyer sur l’écosystème existant.

 

Le piège de l’attentisme

 

Du côté des entreprises, les freins sont d’une autre nature, mais tout aussi puissants. Les DSI sont souvent enfermées dans des contrats pluriannuels verrouillés. La formation aux alternatives reste marginale. Et surtout, la prise de risque n’est ni valorisée en interne, ni encouragée dans les politiques publiques. Choisir une solution souveraine, est encore trop souvent vu comme un acte militant, plutôt que comme un acte stratégique. Résultat : beaucoup de décideurs sont convaincus sur le fond… mais paralysés dans l’action.

Et c’est là qu’émerge une tension majeure pour l’Europe : faut-il miser sur un champion unique — « l’Airbus du cloud » — ou laisser chaque pays développer ses propres forces, quitte à fragmenter l’écosystème ?

 

Une voie plus féconde : des filières connectées

 

La vérité, c’est que cette opposition est mal posée. Il ne s’agit pas de choisir entre un Airbus du cloud ou le chaos. Ni entre l’unicité ou la cacophonie. Une troisième voie existe, plus réaliste et plus fertile : celle des filières connectées. Un champion européen sur chaque brique stratégique (cloud, IA, bureautique, cybersécurité, demain quantique), adossé à trois ou quatre champions nationaux, solides, spécialisés et interopérables. Un peu comme un réseau ferroviaire : chaque pays garde ses lignes, ses gares, ses trains… mais tout fonctionne ensemble. L’enjeu n’est pas d’uniformiser mais d’harmoniser.

 

Passer à l’action, sans attendre le plan parfait

 

Pour que ce modèle tienne la route, quelques décisions simples mais structurantes s’imposent. D’abord, accompagner les regroupements entre acteurs souverains, y compris jusqu’à la fusion. Pas pour faire joli dans les slides, mais pour construire des masses critiques. Ensuite, récompenser la prise de risque, dans les appels d’offres, dans les critères d’évaluation, dans les politiques de formation. Et surtout, cesser d’attendre un plan parfait venu d’en haut. Les briques sont là. Les acteurs aussi. Ce qu’il manque, c’est la volonté de relier les points.

Et certains ont déjà pris les devants. L’initiative EuroStack montre la voie : en fédérant une pile technologique 100% européenne — du cloud à la bureautique — elle propose une alternative cohérente et industrialisable, avec des briques déjà en production portées par des éditeurs indépendants et éprouvés. Cette approche modulaire et interopérable prouve que l’Europe peut innover sans calquer les modèles américains.

 

Le moment est venu de relier les points

 

L’Allemagne a pris le virage. La France aussi. C’est une dynamique collective, pas une course de côte. L’Europe a su mettre des milliards dans la défense et la recherche. Pourquoi ne pas faire de même dans le numérique de confiance, celui qui structure la vie des entreprises, des administrations, des citoyens ?

 

Ce qu’il faut maintenant, ce n’est pas un nouveau slogan. C’est une série d’alliances de bâtisseurs, de celles qui permettent de passer de la souveraineté proclamée à la souveraineté affirmée. Celle qui ne se contente pas d’exister… mais qui s’impose.

 


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