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Le journalisme indépendant s’éteint peu à peu en Russie

RussieLa répression contre quiconque tente de s’opposer à la version officielle du Kremlin sur la guerre en Ukraine s’intensifie en Russie. | Source : Getty Images

RUSSIE | Alors que Vladimir Poutine a renforcé la répression contre tout journaliste communiquant des informations contraires à celles du Kremlin sur la guerre en Ukraine, de nombreux reporters occidentaux quittent la Russie.


 

Mardi 8 mars, dans un message adressé au personnel, le directeur adjoint de la rédaction du New York Times, Michael Slackman, a confirmé que le journal rejoignait un nombre croissant d’organismes de presse occidentaux retirant leurs reporters de Russie pour le moment. Le même jour, un journaliste d’investigation du Times, Michael Schwirtz, a déploré cette situation, évoquant « un triste jour pour le journalisme et un triste jour pour la Russie. »

Michael Slackman a pointé du doigt la nouvelle loi russe dite sur les « fake news », que le président russe Vladimir Poutine a rapidement signée ces derniers jours après son adoption par la Douma. Cette loi donne aux autorités russes un large pouvoir pour emprisonner les journalistes dont le travail est jugé déplaisant ou embarrassant. « Cette nouvelle loi », déplore Michael Slackman dans sa lettre aux employés du Times, « pourrait rendre criminel le fait de rapporter fidèlement les nouvelles sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, y compris en appelant la guerre une “guerre”. Elle punit les contrevenants d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. »

 

Le directeur adjoint de la rédaction du Times ajoute que le journal déplace pour l’instant son personnel hors de la Russie : « nous continuerons notre couverture en direct et solide de la guerre, et nous avons la ferme intention de maintenir nos reportages rigoureux sur l’offensive de la Russie en Ukraine ainsi que sur les tentatives d’étouffer le journalisme indépendant ».

Conséquence de la répression du journalisme indépendant par le Kremlin, la fermeture temporaire du premier journal américain en Russie est intervenue le jour même où le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est adressé au Parlement britannique. Dans son discours, le dirigeant ukrainien s’est inspiré de Churchill : « je m’adresse à tous les citoyens du Royaume-Uni… Nous n’abandonnerons pas. Nous ne perdrons pas. Nous nous battrons jusqu’au bout. En mer, dans les airs… Nous nous battrons dans les forêts, dans les champs, sur les rivages, dans les rues ».

 

Néanmoins, cette volonté courageuse a un coût élevé. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré que depuis le début de l’invasion russe le 24 février, plus de deux millions de personnes ont fui l’Ukraine.

Selon un général américain, pas moins de 4000 soldats russes ont été tués jusqu’à présent dans les combats. En conséquence des actions de la Russie, des dizaines de grandes entreprises occidentales, dont Starbucks, Apple, Netflix, McDonald’s ou FedEx, ont déclaré suspendre leurs activités en Russie ou y mettre fin, alors que le pays est de plus en plus ostracisé. Cette situation, à laquelle s’ajoutent l’embargo américain sur le pétrole russe, les sanctions contre Vladimir Poutine et les oligarques russes ainsi que le découplage de la Russie du système SWIFT, a entraîné le retrait d’un nombre croissant de médias occidentaux de Russie.

 

Déplorant la série d’évènements qui entourent la répression du journalisme en Russie, le correspondant en chef du New York Times à la Maison-Blanche, Peter Baker, s’est dit surpris de la situation incompréhensible dans laquelle se trouve l’Ukraine déchirée par la guerre et qui pourtant est un endroit plus sûr pour les journalistes par rapport à une Russie de plus en plus répressive.

Il n’y a pas que les reporters occidentaux qui fuient la Russie. Les journalistes russes quittent également le pays ou voient leurs propres médias indépendants fermés. C’est le cas de TV Rain, la dernière chaîne de télévision indépendante sur Internet encore présente en Russie avant sa fermeture il y a quelques jours.

 

Le personnel de TV Rain, jeune et largement libéral, qui critiquait fréquemment le Kremlin, est sorti de son studio alors qu’une émission était encore en cours, le tout au son du Lac des cygnes de Tchaïkovski, un choix délibéré étant donné que cette musique était diffusée sur les ondes de la télévision soviétique en 1991, lors que la tentative de coup d’État contre Gorbatchev. Entre-temps, une grande partie du personnel de TV Rain aurait quitté la Russie.

Évidemment, alors que la Russie réprime le journalisme à l’intérieur de ses frontières, les pertes s’accumulent en Ukraine, à tel point que certains experts du renseignement estiment que les jours les plus sombres du conflit sont peut-être encore à venir.

 

L’exode des reporters et des agences de presse de Russie se poursuit inexorablement. Parmi les départs l’on trouve Dotdash Meredith, propriétaire du magazine People ainsi que d’Entertainement Weekly. « Nous avions des activités commerciales très limitées en Russie et ces relations ont été rompues ou sont en passe de l’être », a déclaré un porte-parole de Dotdash Meredith à NBC News.

Condé Nast, qui publie les magazines The New Yorker, Vogue et Vanity Fair, a fait une déclaration similaire. « Avec des journalistes et des équipes éditoriales dans le monde entier, il est primordial que nous puissions produire notre contenu sans risque pour la sécurité et la sûreté de notre personnel », a annoncé mardi 8 mars le PDG de Condé Nast,Roger Lynch. « Récemment, le gouvernement russe a adopté de nouvelles lois de censure qui nous empêchent désormais de faire notre travail. À cette fin, nous avons décidé de suspendre toutes nos opérations d’édition avec Condé Nast Russie pour le moment. »

 

D’autres diffuseurs, dont CNN, ABC et CBS, avaient déjà annoncé des décisions similaires. Pendant ce temps, les journalistes en Ukraine essuient de plus en plus de tirs, échappant de justesse à la mort, tout en s’efforçant de couvrir un conflit qui semble se diriger vers un tourbillon de chaos. Personne, ni les journalistes qui couvrent le conflit, ni les soldats, ni les réfugiés, ni les politiciens, héroïques ou despotiques, ne semble en mesure de déclarer, avec un certain degré de finalité ou de confiance, quand ou comment la folie s’arrêtera.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Andy Meek

<<< À lire également : Guerre en Ukraine : au moins deux millions de réfugiés affluent en Europe >>>

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