Il y a quelque chose de paradoxal à continuer de dépenser plus, alors même que tout rapporte moins.
Une contribution de Lionel Cuny, Président Agence Insign
Jamais les marques n’ont autant investi pour capter l’attention. Et jamais l’attention n’a été aussi volatile. Les audiences fuient, les canaux se fragmentent, les formats s’accumulent, les algorithmes imposent leur loi… Pendant ce temps, les budgets marketing s’amenuisent et la pression au ROI augmente. Tout le monde veut faire mieux, avec moins. Mais peu s’en donnent vraiment les moyens.
Qui s’inquiète d’un marché publicitaire français multiplié par 10 en 20 ans ? C’est 10 fois plus de pubs pour chacun d’entre nous et 3 fois plus d’annonceurs. En parallèle, les audiences sur tous les médias baissent et les prix augmentent, ce qui économiquement est une hérésie. Sans compter l’attention publicitaire qui se réduit drastiquement.
Le marché est saturé
Saturé de messages, de stimuli, d’intentions. Saturé de promesses brandies à coups de campagnes XXL, qui peinent à émerger. Une étude de WARC le montre : l’efficacité publicitaire est en déclin depuis plus de dix ans. Pis : seulement 15 % des assets publicitaires sont distinctifs, selon une étude de JKR et Ipsos. Rapporté au marché mondial, ce sont près de 4 milliards de dollars dépensés… pour rien.
Et malgré cela, on continue de multiplier formats, supports, campagnes. Comme si le volume allait compenser le désintérêt. C’est une fuite en avant. Et un gaspillage massif. Un gavage des citoyens. Et une animosité croissante envers les métiers de la communication.
À force de tirer dans tous les sens, on ne vise plus personne. Des budgets entiers s’évaporent dans des dispositifs mal calibrés, des canaux mal choisis, des messages mal dosés. Résultat : des performances en berne, une fatigue des audiences, un désalignement croissant entre discours et perception. Dans un monde en “perma crise”, chaque ressource compte. Il est temps de tourner la page d’un marketing de la saturation pour entrer dans l’ère de l’efficience. Non pas faire moins, mais faire mieux. Non pas réduire l’ambition, mais recentrer les efforts là où ils comptent vraiment.
Arrêter de gaspiller. Commencer à piloter
Ce virage, beaucoup peinent encore à l’opérer, par manque d’outils autant que de culture. On ne pourra pas inventer un nouveau modèle avec les réflexes de l’ancien.
Prenons une analogie : dans l’alimentaire, lutter contre le gaspillage est devenu une évidence. On optimise, on réalloue, on rationalise. Des plateformes permettent aux producteurs et distributeurs de limiter les pertes. Pourquoi pas en publicité ? Pourquoi accepter encore que des dizaines de milliers d’euros partent dans des campagnes non mesurées, mal ciblées, peu regardées ?
Réduire le gaspillage publicitaire, ce n’est pas affaiblir les marques. C’est les aider à être plus justes, plus fortes, plus crédibles. Et à dépenser juste.
Un levier d’efficience radicale
Parmi les leviers de cette transformation, le Marketing Mix Modeling (MMM) s’impose comme une réponse lucide. À ne pas confondre avec le Media Mix Marketing, le MMM adopte une approche systémique. Il ne s’agit plus d’évaluer un média, mais de comprendre ce qui a généré de la performance.
Être performant en pleine canicule quand on vend des boissons fraîches ne prouve pas l’efficacité d’un plan marketing. Ce que le MMM permet, c’est de modéliser ce qui se serait passé sans investissement, en prenant en compte tous les paramètres : climat, inflation, saisonnalité, concurrence, confiance…
En croisant données business et signaux contextuels, on éclaire les arbitrages : quels canaux convertissent ? Quels leviers fonctionnent selon les saisons, les zones, les produits ? Cette approche remet du discernement. Fini les décisions au doigt mouillé : le MMM permet de simuler, tester, anticiper. Et souvent, les résultats bousculent les idées reçues.
Remettre la performance au cœur du jeu
Ce n’est pas un luxe. C’est une nécessité. Les marques n’ont plus les moyens d’improviser. Elles ont besoin d’outils robustes, de décisions informées, d’arbitrages assumés. D’efficacité, mais aussi de clarté, d’alignement, de sens.
Célébrer la créativité, oui. Mais pas la créativité qui ne rapporte pas. Et encore moins la créativité falsifiée, comme le prouve le récent scandale du Grand Prix à Cannes, retiré après attribution.
La performance utile, ce n’est pas la performance à tout prix. Ce n’est pas celle qui broie les équipes ni pousse à l’obsession du court terme. C’est celle qui permet d’atteindre ses objectifs sans gâcher ses ressources. Celle qui aligne moyens, messages et impacts. Celle qui rend les marques plus fortes, plus cohérentes, plus respectées.
Et si c’était cela, le vrai luxe aujourd’hui : dire juste ce qu’il faut, aux bonnes personnes, au bon moment… et pour de bonnes raisons.
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