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Attention, la crise agricole n’est pas mondiale, mais européenne !

Une crise alimentaire serait au cœur de l’agenda médiatique. Mais, comme la crise énergétique, elle ne tombe pas du ciel, mais est la conséquence d’absurdes orientations politiques et idéologiques.

Contrairement aux idées reçues, rien ne permet d’augurer une crise alimentaire dans le monde. Car à la suite des accords conclus à Istanbul, les risques de défaut d’approvisionnement que couraient les pays dépendant des exportations de céréales et d’oléagineuses russes et ukrainiennes depuis de la mer Noire se sont atténués. Et selon la FAO, la production mondiale de céréales de la saison 2022/23 s’établira à un niveau similaire à celui des années précédentes. Par ailleurs, le scandale permanent du milliard de personnes souffrant de malnutrition dans le monde n’a pas sa cause dans un manque de production agricole.

Mais quid d’une crise alimentaire en Europe ? Les inquiétudes montent à juste titre car les prix des denrées ont augmenté en parallèle avec ceux des intrants – engrais, semences, phytosanitaires, énergie – eux-mêmes corrélés avec les coûts du pétrole et du gaz qui réveillent l’inflation. Ceci n’est pas une crise alimentaire mais plutôt une situation de crise économique plus générale qui n’affecte pas en soi l’approvisionnement.

Bien que sérieuses, ces excursions conjoncturelles doivent être distinguées des conditions stratégiques qui sont mises en place sur notre continent. Et en ces temps incertains, la politique européenne pourrait bien se transformer en une semence de discorde et de crise vitale pour le secteur agro-alimentaire.

Une crise structurelle s’annonce, fruit de choix politiques

Devenue écologiste profonde, la Commission européenne a publié son intention de mettre en place une stratégie « de la ferme à la fourchette » dont les points les plus importants – extension du bio, jachères, mises en réserves naturelles, réduction des substances de synthèse – vont à l’envers du bon sens écologique et économique. La Commission et ses agences se torturent par des envies de rendre l’agriculture moins productive sans être capable d’expliquer pourquoi, mise à part une soumission à des diktats d’écolos des villes qui ne savent plus d’où proviennent leurs denrées. Entre temps et subrepticement, la France, pays leader de l’agroalimentaire, voit diminuer sa balance commerciale dans ce domaine qui a passé en dix ans de 7,4 à 4,7 milliards d’euros.

En quoi une politique agricole orientée vers la préservation de la nature est-elle mal embouchée ? Une première réponse est que, en Europe du moins, l’environnement est d’ores et déjà un parc aménagé depuis des millénaires par la main de l’homme et que la biodiversité que l’on peut y observer n’a rien à voir avec la sauvagerie d’une nature indomptée. Ce qui est jardiné n’a pas à être préservé en son état mais entretenu avec soin et amélioré. Une autre réponse est que rechercher à tout prix l’inefficience agronomique que suppose le passage à des méthodes peu productives mobilise des millions d’hectares qui, au contraire, pourraient vraiment rester des havres de biodiversité. N’étant pas à une contradiction près, les écologistes radicaux s’infligent donc un but contre leur camp.

Cette politique n’apparaît donc pas pavée de bonnes intentions. Au contraire, elle reflète une orientation de repli, d’abandon du progrès et d’endoctrinement.

Les commissaires de l’UE doivent donc impérativement prendre un virage de 180° afin d’aménager un cadre réglementaire stable qui gère les vrais risques pour la santé et l’environnement, sans a priori doctrinaires, tout en assurant les conditions d’un approvisionnement suffisant et de la souveraineté alimentaire.

Cependant, la Commission fait preuve d’un peu de discernement en s’apprêtant à abandonner la généralisation du Nutri-score, cet indicateur nutritionnel destiné à promouvoir une bonne diète mais largement critiquable car sanctionnant des produits agricoles traditionnels et épargnant des produits ultra-transformés, laissant entendre que l’on pourrait donc s’en gaver. Autre rare lueur de discernement en matière agricole, la levée d’un tabou vieux de trente ans qui interdisait la mise en valeur des engrais issus des effluents d’élevage au prétexte de pollutions par les nitrates alors que les agriculteurs dépendent d’engrais azotés de synthèse fabriqués avec du gaz importé de pays tiers, comme la Russie, et dont les risques de pollution sont identiques.

Beaucoup de recherches sont encore nécessaires pour améliorer la protection des sols, jouer avec les mécanismes de protection et de stimulation des plantes, ou développer encore mieux l’agriculture de précision. Ce sont là les pistes qui permettront à l’Europe de continuer d’améliorer les performances de son agriculture et son impact sur la santé et l’environnement.

 

Tribune rédigée par Michel de Rougemont, Ingénieur chimiste et Docteur en science et technologie.

 

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