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Salon du Bourget 2025 : une démonstration de force pour la souveraineté européenne

Patrouille de France fumigènes vendredi 20 juin / © Rémy Michelin
Patrouille de France fumigènes vendredi 20 juin / © Rémy Michelin

Du 16 au 22 juin 2025, la 55ᵉ édition du Salon du Bourget s’est tenue dans un contexte international tendu, et a plus que jamais placé la souveraineté européenne au cœur des priorités politiques, industrielles et militaires. Une journée entière a été dédiée à cette thématique, traduisant un virage assumé vers l’autonomie stratégique, sur fond de tensions croissantes aux portes de l’Europe et au Moyen-Orient.

Dès l’ouverture du salon, le ton était donné : sur les 2 400 exposants venus de 48 pays, près de 1 000 étaient issus du secteur de la défense. Trois des six grandes thématiques du salon — cybersécurité, drones, espace — étaient directement liées aux enjeux de souveraineté technologique.

« L’environnement géostratégique nous amène à consolider la partie consacrée à la défense, point qui était en second plan les années précédentes », a reconnu Frédéric Parisot, délégué général du GIFAS.

La démonstration était claire : l’Europe veut se doter des moyens de protéger ses intérêts sans dépendre d’alliés incertains.


Des projets comme des radars anti-drones, de l’intelligence artificielle embarquée ou encore des satellites à usage dual ont illustré cette volonté de reprendre la main sur des infrastructures critiques. « 2025 est l’année du spatial », a affirmé Guillaume Faury, PDG d’Airbus, soulignant l’ambition de « structurer une filière spatiale française et européenne cohérente et compétitive ».

Des annonces concrètes au service de l’autonomie

L’ambition souveraine ne s’est pas limitée aux discours. Plusieurs annonces industrielles fortes ont marqué cette édition. Safran et Saft ont présenté leur partenariat pour développer des batteries aéronautiques destinées à répondre à un double objectif : verdir le secteur et réduire la dépendance énergétique.

Côté armement, MBDA a dévoilé le projet de drone armé “One Way Effector”, produit à 1 000 exemplaires mensuels dès 2027, à un coût unitaire bien inférieur à celui d’un missile. « L’objectif est de produire en masse à très bas coûts », a précisé Stéphane Reb, directeur général de MBDA France.

Ces projets s’inscrivent dans une logique d’économie de guerre, selon les mots du ministre des Armées Sébastien Lecornu : « Plutôt que de combler un retard de 15 à 20 ans, nous visons un saut technologique d’une génération d’ici 2029-2030 ».

Eutelsat et l’espace : vers une souveraineté orbitale

Symbole fort de ce virage stratégique : l’annonce de l’investissement de 717 millions d’euros de l’État français dans Eutelsat, désormais fusionnée avec OneWeb. Avec plus de 600 satellites en orbite basse, la nouvelle entité se positionne comme l’alternative européenne crédible à Starlink.

« Sinon, l’ensemble du marché sera pris, et l’Europe dépendra demain de puissances extra-européennes », a prévenu l’Élysée. Un accord-cadre de dix ans entre Eutelsat et le ministère des Armées, portant jusqu’à un milliard d’euros, a été signé pour sécuriser les communications militaires. Ce soutien vient renforcer le programme européen Iris², constellation souveraine de 290 satellites prévue pour 2030.

Un contexte géopolitique sous haute tension

Les initiatives présentées au Bourget s’inscrivent dans un contexte géopolitique marqué par une intensification des menaces. La guerre en Ukraine se poursuit avec une nouvelle offensive russe dans l’est du pays. L’OTAN, lors de son sommet à La Haye le 24 juin, a annoncé un objectif inédit de 5 % du PIB consacré à la défense pour ses membres.

Dans le même temps, les tensions entre l’Iran et Israël s’exacerbent. Des frappes américaines récentes dans le Golfe, ainsi que les menaces sur le détroit d’Hormuz, ont relancé les craintes sur la sécurité énergétique européenne. À cela s’ajoute l’incertitude persistante sur l’engagement des États-Unis dans la défense européenne, accentuée par les positions ambivalentes de Donald Trump sur l’article 5 du traité de l’OTAN.

Dans ce climat, la volonté de certains États membres de renforcer leur autonomie stratégique prend tout son sens. En mars, l’Union européenne a adopté un plan de réarmement de 150 milliards d’euros, dédié notamment à la cybersécurité et à l’industrie aérospatiale.

Mais la souveraineté européenne ne signifie pas repli ou autarcie. Le partenariat entre l’américain Anduril et l’allemand Rheinmetall pour la fabrication de drones de combat le rappelle : l’intégration de technologies alliées dans un cadre européen reste une réalité.

« Ensemble, nous construisons des systèmes adaptés aux missions de l’OTAN, produits rapidement et à grande échelle », a expliqué Brian Schimpf, PDG d’Anduril.

Pour Armin Papperger, patron de Rheinmetall, ce modèle hybride permet de renforcer l’Europe sans renoncer à son ancrage transatlantique : « Il s’agit de produire européen avec des briques technologiques partagées ».

Entre ambition et réalisme

Malgré ces avancées, certains signaux faibles inquiètent. Aucune commande ferme n’a été passée par le ministère des Armées au cours du premier semestre 2025, mettant en difficulté certains industriels. Le sénateur Cédric Perrin alerte : « Les entreprises risquent de disparaître si rien n’est signé », évoquant plus d’un milliard d’euros de contrats sans concrétisation.

Le rapport de la commission des finances du Sénat pointe une déconnexion persistante entre les annonces stratégiques et les engagements budgétaires effectifs, fragilisant la viabilité d’une souveraineté opérationnelle.

Le Salon du Bourget 2025 aura été un tournant : discours assumé, innovations concrètes, volonté politique renouvelée. Face à des menaces multiples et à une dépendance technologique encore marquée, l’Europe avance — prudemment mais résolument — vers une souveraineté choisie. Reste à transformer cette démonstration de force en actes durables et financés.

 


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