Alors que l’intelligence artificielle fait irruption dans le monde médical, nombreux sont ceux qui y voient une menace pour la relation humaine. Et si c’était l’inverse ? Le Dr Coester Denys, engagé dans la médecine de la longévité, défend une vision où l’IA, loin de remplacer le médecin, lui redonne sa place auprès du patient. En libérant du temps, en augmentant les capacités d’analyse, en soutenant l’autonomie du patient, elle pourrait bien réhumaniser le soin.
Depuis quelques années, l’intelligence artificielle (IA) s’immisce dans le quotidien médical. Elle promet d’analyser, de prédire, d’assister. Elle soulève aussi des peurs : celle d’un monde déshumanisé, de contrôle, de risque d’erreurs, et surtout un monde où le médecin serait remplacé par un algorithme froid, déconnecté, inhumain. Pourtant, la réalité que j’observe en tant que médecin passionné par la médecine de l’avenir et la longévité est tout autre. Ce n’est pas une disparition de la relation humaine que l’IA annonce, mais sa réinvention.
C’est peut-être là son rôle le plus méconnu : délester le médecin de ce qui l’éloigne de son patient. Tâches répétitives, paperasse chronophage, interprétation manuelle de bilans interminables : autant d’obstacles à la présence réelle, à l’écoute authentique, à la qualité de la relation. En un mot, revenir à la base : «guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours » comme disait Ambroise Paré.
L’IA, bien utilisée, ne déshumanise pas la médecine. Elle la recentre. Et dans les domaines exigeants comme la longévité, où les parcours sont complexes et profondément personnels, cela change tout. Non, l’IA ne remplacera pas le médecin, n’en déplaisent à certains. Elle peut, au contraire, lui permettre de redevenir pleinement humain paradoxalement.`
Une extension des sens du médecin
On a souvent dit du stéthoscope qu’il avait transformé la médecine en offrant au médecin une oreille plus fine. L’intelligence artificielle fait de même, mais à une échelle bien plus vaste. Elle étend les capacités cognitives, analytiques et diagnostiques du médecin, en lui permettant d’identifier ce que l’examen clinique et le cerveau humain, seuls, ne peuvent plus suivre.
Aujourd’hui, certaines IA savent détecter des anomalies rétiniennes avant qu’elles ne soient visibles à l’ophtalmologiste, ou reconnaître un mélanome sur la peau mieux que le clinicien le plus aguerri. Des modèles entraînés sur des milliers d’IRM ou de scanners apprennent à repérer des motifs subtils, des combinaisons de facteurs passées inaperçues, une somme d’informations difficiles à obtenir même pour un praticien aguérri.
En longévité, le défi est encore plus grand. Le médecin n’analyse pas un seul organe ou une seule pathologie, mais une constellation de données : bilans sanguins ultra-précis, profils inflammatoires, marqueurs métaboliques, scores de vieillissement biologique, habitudes de vie… Un flot d’informations ininterrompu et en perpétuelle évolution. Or, notre cerveau n’est pas conçu pour traiter tant d’informations simultanément, ni surtout pour relier des variables hétérogènes avec la même rigueur qu’un algorithme bien entraîné.
C’est précisément là que l’IA devient un allié. Dans le cadre de mes projets en cours, j’explore des outils qui analysent automatiquement les bilans longévité, priorisent les anomalies, détectent les signaux faibles et aident à formuler des hypothèses personnalisées. L’objectif n’est pas de déléguer la décision, mais de l’enrichir — d’élargir le champ des possibles, d’offrir un second avis, inépuisable et toujours attentif. Bien souvent le médecin a besoin de l’avis d’autres spécialistes réunis dans un staff pour réfléchir ensemble et unir les points de vue.
Ce que l’IA propose n’est pas une intelligence supérieure à celle du médecin, mais une intelligence complémentaire, capable de transformer l’intuition clinique en une démarche plus éclairée, plus rigoureuse, plus complète. Elle ne fait pas à la place. Elle fait avec.
Libérer le médecin pour retrouver la présence
Mais l’IA ne se limite pas à l’aide au diagnostic. Elle peut aussi jouer un rôle décisif dans un autre domaine : celui de l’allègement des tâches qui parasitent la relation soignant-soigné. Tous les médecins se plaignent du temps passé et même perdu dans des démarches répétitives, administratives, pesantes.
La médecine moderne a fait un curieux détour : plus elle s’est outillée, plus elle a éloigné le médecin de son patient. Une consultation sur deux est aujourd’hui dominée par l’écran, les cases à cocher, les comptes-rendus à rédiger, les protocoles à valider. Ce n’est pas une question de compétence, mais de surcharge. Le médecin passe plus de temps à documenter le soin qu’à le donner d’autant que la pression médico-légale augmente.
Des outils comme Glass AI, Nabla Copilot ou Hippocratic AI sont déjà capables d’écouter une consultation, de générer automatiquement une synthèse médicale, un plan d’action, voire de rédiger les ordonnances. Le médecin relit, corrige, valide. Mais il n’est plus esclave du clavier. Il peut regarder son patient dans les yeux au lieu de se fatiguer devant un écran froid d’ordinateur.
Dans les pratiques comme la médecine de la longévité, où les consultations sont riches en détails, où chaque mot compte, où l’on croise des données cliniques avec des aspirations de vie, cette automatisation est précieuse. Elle permet de conserver la complexité sans sacrifier la présence.
Plus loin encore, on peut imaginer, et je réfléchis à ce sujet avec des spécialistes de la tech, un assistant virtuel personnel, propre à chaque médecin, nourri par sa pratique, sa philosophie de soin, ses recommandations récurrentes. Ce « bot du médecin » pourrait répondre aux questions des patients entre deux rendez-vous, reformuler les explications données en consultation, rappeler un protocole ou un complément recommandé. Il ne s’agit pas de remplacer la relation, mais de la prolonger, de l’enrichir, de l’adapter au quotidien.
Et si ce que nous appelions autrefois « tâches administratives » devenait, demain, le domaine réservé des IA ? Cela libérerait un espace immense : celui de la vraie rencontre de deux êtres : le patient et le médecin.
Accompagner l’autonomie du patient
Mais l’autre révolution silencieuse est celle qui touche le patient lui-même. Car une IA bien conçue ne se contente pas d’épauler le médecin : elle peut rendre le patient plus libre, plus acteur, plus engagé.
En médecine de la longévité, le suivi ne s’arrête pas au cabinet. Le vrai travail commence souvent après : lorsque le patient doit changer ses habitudes, comprendre ses bilans, adopter de nouveaux rythmes de vie. Mais beaucoup repartent avec une ordonnance et des recommandations, sans accompagnement réel. Résultat : l’élan retombe, les questions s’accumulent, la motivation s’effrite. Il manque au patient un vrai accompagnement.
C’est ici que l’intelligence artificielle pourrait ouvrir un nouveau champ : celui du coach digital personnalisé. Des applications enrichies par l’IA peuvent aujourd’hui aider le patient à suivre ses constantes, comprendre ses résultats, recevoir des rappels intelligents, des conseils adaptés à ses données du jour, voire des encouragements au bon moment. Loin de l’assistance gadget, il s’agirait d’un compagnon de soin, capable d’ajuster son discours et son rôle en fonction de la situation.
Mieux encore, ces outils peuvent aider le patient à se poser les bonnes questions. Pourquoi mon énergie baisse alors que je dors 8 heures ? Mon alimentation est-elle vraiment adaptée à ma réponse glycémique ? Quels marqueurs devrais-je suivre de plus près ? quels sont les points à prioriser avec mon médecin ? C’est une éducation à la santé augmentée, qui transforme l’expérience thérapeutique en parcours de connaissance de soi.
Et si, grâce à l’IA, les patients arrivaient en consultation mieux préparés, plus conscients, plus actifs ? Mes patients utilisent déjà internet et des sites comme Doctissimo, depuis longtemps pour me poser des questions. J’observe un glissement de leurs recherches vers des IA comme Chat GPT. En étant mieux préparés à la consultation, le dialogue serait plus riche, les décisions plus partagées. Le rôle du médecin ne s’effacerait pas : il s’élèverait. Il deviendrait ce qu’il est censé être dans une médecine de l’avenir : un guide, un stratège, un interprète du vivant.
Un futur à co-construire
Il serait naïf de penser que les outils actuels suffisent. Certes, ils impressionnent : certains chatbots médicaux atteignent le niveau d’un étudiant en médecine, certaines IA d’imagerie surpassent les meilleurs radiologues dans des cas ciblés. Mais ces technologies restent souvent fragmentées, rigides, ou trop généralistes.
Aujourd’hui, peu de solutions intègrent vraiment la complexité d’une médecine préventive et personnalisée. Un outil peut bien prédire une anomalie, mais saura-t-il contextualiser un résultat dans une histoire de vie, dans un projet de longévité, dans une trajectoire humaine ? Peu de plateformes prennent en compte le style du praticien, ses préférences thérapeutiques, son expérience clinique propre. C’est la encore le domaine du médecin : seul un humain peut comprendre un humain.
C’est ici que réside l’opportunité majeure de notre époque. L’IA ne doit pas être seulement puissante, elle doit être pertinente. Elle doit se nourrir de la pratique du médecin, s’adapter à sa philosophie, comprendre le langage de ses patients. Les startups qui réussiront demain seront celles qui co-construiront avec les soignants, non celles qui tenteront de les contourner.
Je le vois dans mes propres réflexions et projets : l’outil idéal n’existe pas encore. Mais il peut exister. Et il est probable qu’il naisse d’un dialogue subtil entre ingénierie et médecine, entre code et clinique, entre technologie et quête de sens. C’est un nouveau paradigme à créer.
Conclusion : Revenir à l’essentiel
L’intelligence artificielle en médecine ne doit pas être vue comme une menace, mais comme une chance. Non pas parce qu’elle remplacerait le médecin — elle n’en a ni la vocation, ni la capacité — mais parce qu’elle peut lui redonner de l’espace, du souffle, du sens. Elle peut faire disparaître ce qui encombre la relation, pour remettre l’essentiel au centre : l’humain.
Dans le domaine exigeant et passionnant de la longévité, où chaque parcours est unique, chaque détail précieux, cette alliance entre IA et intuition humaine ouvre des perspectives inédites. Une médecine augmentée, oui — mais surtout une médecine ré-humanisée.
Demain, le médecin ne sera pas moins présent. Il sera plus libre, plus présent. Plus disponible. Plus à l’écoute. Et c’est peut-être cela, au fond, le vrai progrès : offrir à la science les moyens de renforcer le soin, sans jamais effacer ce qui le rend irremplaçable.
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