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Visite événement du président Emmanuel Macron en Algérie | Interview exclusive de Monseigneur Jean-Paul Vesco, Archevêque d’Alger : « Le temps est venu de faire preuve de courage politique et de laisser son empreinte dans l’Histoire »

© Getty Images

Ouvrir une nouvelle page d’avenir, renforcer la relation bilatérale dans un monde en prise à d’immenses défis géopolitiques, telle est la volonté affichée par le président de la République en voyage officiel en Algérie du 25 au 27 août. Pour répondre à cet agenda ambitieux, le chef de l’Etat a choisi de s’entourer d’une délégation aussi prestigieuse que symbolique : de l’entrepreneur Xavier Niel au Grand-rabbin de France Haïm Korsia en passant par l’historien Benjamin Stora, Emmanuel Macron entend bien traduire ses différentes priorités par un cap dans l’axe Paris-Alger. Le choix, aussi, de réserver son premier déplacement à l’Algérie, première puissance régionale, atteste que l’an II élyséen sera franco-algérien ou ne sera pas. Pour l’archevêque d’Alger, Monseigneur Jean-Paul Vesco, « c’est l’occasion d’écrire l’Histoire et de sortir du poison mémoriel ». Pour Forbes, l’éminent religieux a accepté de revenir sur le caractère solennel de cette visite événement.

 

Comment accueillez-vous la visite présidentielle d’Emmanuel Macron en Algérie ? Une visite très ambitieuse par son format et sa durée. 

Monseigneur Jean-Paul Vesco : J’ai beaucoup d’attentes vis-à-vis de cette visite présidentielle. Pour moi, la relation bilatérale entre la France et l’Algérie est essentielle, car nous avons une histoire partagée et tellement d’imbrications humaines. Combien de familles reliées de part et d’autre de la rive ? Le divorce est impossible. Notre lien viscéral s’inscrit d’ailleurs dans le temps à mesure que se succèdent les générations de Français d’origine algérienne. Des Français qui contribuent à la bonne marche du pays et représentés à tous les niveaux, jusqu’à des postes ministériels. Je me souviens d’un épisode dans ma vie révélateur de cette accointance : lorsque je suis rentré de mes deux années d’études bibliques à Jérusalem, où j’avais côtoyé des Arabes palestiniens, j’ai rencontré sur le bateau un jeune Algérien. Cette rencontre a mis en évidence le fait que je partageais une même sphère culturelle, de mêmes références musicales, un même horizon… contrairement à mes amis palestiniens avec lesquels nos différences n’étaient pas seulement linguistiques, mais se situaient aussi au niveau de l’histoire, de la culture. 

En quoi cette visite pourrait-elle acter d’une nouvelle ère dans la relation passionnelle franco-algérienne ?  

La venue du président Emmanuel Macron est une chance de relancer le dialogue, de prendre une direction commune. Soyons réalistes : au final, c’est le politique qui donne le ton et impulse le changement. Le « couple » franco-allemand existe aujourd’hui parce qu’il a été précédé d’une volonté politique, laquelle s’est caractérisée par des gestes forts, éminemment symboliques. Cette audace des grands Hommes de se dire qu’on a rendez-vous avec l’Histoire…

Dans notre devise républicaine, il y a des lois pour réguler la notion de Liberté et d’Egalité ; quant à la Fraternité, il n’y a aucune loi pour l’interpréter dans nos vies courantes. Cela apparaît comme secondaire alors même que ce principe fonde notre devise républicaine. J’appelle de tout mon cœur à cette fraternisation entre les deux peuples. Finalement, la fraternité se vit surtout à titre individuel. Il est donc nécessaire de passer d’une expérience de fraternité individuelle à une expérience collective. Je reste néanmoins conscient qu’il doit y avoir un travail du politique pour la traduire.

Monseigneur Jean-Paul Vesco, Archevêque d’Alger ©

 

La choix du président de la République de réserver son premier déplacement en Afrique du Nord à l’Algérie intervient dans un contexte international très tendu avec des blocs reconfigurant l’ordre mondial. Au-delà de la symbolique de ce voyage officiel, comment un axe Paris-Alger peut-il travailler à relever les nombreux défis (choc énergétique, instabilité au Sahel, défis environnementaux, crise des migrants….) ? 

En tant que première puissance économique et militaire d’Afrique du Nord, l’Algérie a un rôle clef. Et en tant que puissance politique à l’échelon continental, c’est un acteur incontournable. Des poids lourds, et pas des moindres : Italie, Allemagne, Turquie, Qatar ou Chine… viennent fréquemment dans le pays. Il n’est donc pas concevable, ni cohérent, qu’Alger et Paris s’éloignent. Particulièrement à un moment où le monde fait face à autant de défis. Depuis mon diocèse à Oran, vous savez, je me tiens informé et je lis notamment la presse française. De fait, je sais combien cette visite est scrutée ! L’inscription prioritaire de cette visite à l’agenda présidentiel d’Emmanuel Macron et d’Abdelmadjid Tebboune me fait croire qu’il y a une volonté de rapprocher leurs vues sur ces différents sujets. Bien qu’il y aura certainement d’autres points abordés, dont ni vous ni moi n’auront jamais connaissance. Ce qui importe à l’homme d’Eglise que je suis est de cheminer l’un vers l’autre. Et au Français de naissance – Algérien d’adoption que je suis – de voir l’Algérie plutôt s’arrimer à la France qu’à un lointain pays. Un axe Paris-Alger coule de source. Cela dans un respect mutuel.

Monseigneur Jean-Paul Vesco : « Le « couple » franco-allemand existe aujourd’hui parce qu’il a été précédé d’une volonté politique, laquelle s’est caractérisée par des gestes forts, éminemment symboliques. Cet audace des grands Hommes de se dire qu’on a rendez-vous avec l’Histoire… « 

 

Quelle peut être la marge de manœuvre des deux présidents, à un moment où l’extrême-droite est au plus haut en France et que des groupuscules très actifs dans le débat public manifestent bruyamment leur opposition à opérer un tel rapprochement ?

Il n’y a pas d’autres solutions aujourd’hui que de faire preuve de courage politique. Je suis conscient du pouvoir de nuisance des promoteurs de la théorie du « grand remplacement » ciblant l’Islam, qui se retrouve amplifiée par les réseaux sociaux. Si on veut désarmer toute cette droite dure à la droite extrême, il faut multiplier les rencontres, rompre avec les aigreurs, les hésitations et, je le redis, faire le pari de la fraternité en la traduisant sur le terrain par le vivre ensemble. Nous sommes tous héritiers de cette Histoire franco-algérienne et certains l’instillent comme un poison dans la mémoire. Il nous faut regarder en face, avec un infini respect, cette blessure dans l’âme algérienne qui gangrène la France et l’Algérie. Regarder en face notre responsabilité historique et collective, c’est la raison d’être d’une commémoration.

Monseigneur, vous avez souvent invoqué la nécessité de faire preuve de « courage politique ». Cela m’inspire ce que nous avons vécu en France durant la gestion de la pandémie, lorsque le chef de l’Etat a assumé des décisions très clivantes dans l’opinion publique, au nom du combat à mener contre la crise sanitaire. Force est de constater que le président Emmanuel Macron a su résister aux nombreuses protestations sans mettre en péril sa réélection.

C’est un parallèle très intéressant qui l’illustre. Pour ma part, je vous citerai ce dont nous avons fait l’expérience dans l’Eglise catholique où il a fallu le choc du rapport sur la Commission indépendante sur les abus sexuels (Ciase) et, plus encore, la rencontre avec la libéralisation de la parole des victimes, pour prendre la mesure de l’ampleur des traumatismes causés par les abus sexuels et accepter d’endosser une responsabilité collective. Il nous faut éprouver la nécessité de demander pardon au nom de cette responsabilité collective qui a causé une blessure collective que n’éteindra pas la succession des générations. Sinon, tous les gestes symboliques d’apaisement, aussi fort soient-ils, continueront à sonner creux, et la France et l’Algérie continueront à se déchirer quand elles ont tout pour s’aimer.

Bio express : 

Avant d’être appelé par Dieu, Monseigneur Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger et administrateur apostolique du diocèse d’Oran, était à la tête d’un important cabinet d’avocats qu’il a fondé sur la place de Paris. Cet ancien de HEC a rejoint l’ordre des Dominicains le 15 août 1994 à l’âge de 33 ans.

 

<<< À lire également : « Coup d’envoi des 19ème Jeux Méditerranéens à Oran en Algérie »>>>

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