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Un Nouveau Contrat Social Peut-Il Naître De L’Uberisation ?

En l’espace de trois semaines, les faits concernant l’Uberisation se sont multipliés : vote au parlement français d’une loi engageant la responsabilité sociale des plates-formes, contraintes durcies à New York sur l’entreprise Uber et notamment son nombre de VTC affiliés et leur revenu « décent », plainte en requalification de nombreux taxis G7 envers la centrale, et enfin disparition en France de Foodora, un des acteurs majeurs de la FoodTech (avec UberEats et Deliveroo).

Un nouveau contexte économique et social… bientôt à maturité

Pris séparément, ces faits pourraient n’avoir aucun lien entre eux… Mais il se trouve que le nouveau contexte économique et social créé par le phénomène de l’Uberisation (et de l’économie collaborative) les éclaire d’une manière particulièrement intéressante. En creux, l’intuition qui apparaît est celle d’un monde naissant dans lequel le non-salariat remplacerait petit à petit le salariat sur le marché de l’emploi. Même si cette préfiguration semble excessive, elle se rapproche d’un constat plus sérieux : le droit social à l’heure d’Uber évolue, et la protection sociale qui va avec également.

Parmi les constats partagés sans équivoque, il faut noter la forte recherche de flexibilité exprimée par les entreprises, la montée en puissance des non-salariés (en France particulièrement sur les quinze dernières années pour atteindre 2,85 millions d’actifs), et l’explosion du monde des plateformes numériques en tous genres (les VTC n’étant finalement que des précurseurs devant les artisans, restaurateurs, professions de soin, de beauté, d’autoécole, touristiques et même comptables ou juridiques).

Mais aujourd’hui, ce petit monde jadis émergent fête ses 10 ans : le régime autoentrepreneur le 4 août 2018, Airbnb le 11 août 2018 et Uber début 2019. Signe également d’une économie plus mûre qui atteint l’âge de l’adolescence…

Les deux questions qui se posent depuis 10 ans restent les mêmes, et sont préoccupantes : quid d’un modèle économique viable, et quid d’un nouveau contrat social emmené par ces acteurs ?

Le modèle économique n’est pas stabilisé

Une chose est certaine : le modèle économique des plateformes digitale n’est pas stabilisé, et, pire encore, n’a pas fait la démonstration de sa rentabilité à court terme. Uber par exemple continue d’accumuler les pertes (891 millions de dollars au second trimestre 2018 par exemple) et n’a jamais été rentable de son histoire. Les grandes plateformes sont logées à la même enseigne à l’exception d’AirBnb devenu rentable depuis la seconde moitié de 2016 (EBITDA de 100 millions de dollars en 2016).

Le corolaire de ce piètre constat concerne la croissance de l’activité, toujours très forte chez les plateformes.

Elles jouent au jeu bien connu du « Winner Takes All » : longtemps limité au monde du spectacle, ce phénomène de croissance exponentielle est en train de gagner l’économie de plateformes.

Les enseignes leaders seront mondiales et rafleront la mise dans tous les pays, ou ne seront pas ! Google, Facebook, Amazon, Youtube, Netflix, Microsoft, Booking en sont des exemples marquants. Le chiffre d’affaires d’Uber s’envole de 63 % sur Q2 2018, le niveau des réservations de 41 %, démontrant là que la course est lancée (y compris face au géant chinois Didi). Pour la gagner, il faut consentir des investissements très importants, d’où ces pertes abyssales…

Ce que Foodora a bien compris d’ailleurs en quittant la France, c’est qu’il ne saurait concurrencer Uber Eats et Deliveroo dans ces investissements. Jusque-là, tout va bien : après 10 ans de morcellement du marché, la consolidation va s’opérer.

Un nouveau contrat social peut-il naître ? Et une nouvelle protection sociale avec ?

La seconde question qui se pose est celle, tout à la fois polémique et sensible, du contrat social qui va émerger de toute cette économie.

Rappelons qu’elle repose sur des travailleurs indépendants (environ 200.000 en France en 2017 ont collaboré avec une plateforme), censés être leur propre patron, et donc affiliés à une protection sociale moindre que celle du salarié. Rappelons également que la France est l’un des pays occidentaux qui possède le moins d’indépendants. Ce constat est lié au fait que notre modèle social, depuis l’après-guerre, repose sur une acceptation générale du salariat, qui constitue le chemin tout tracé pour la génération née avant 1980, modèle financé par les cotisations salariales et patronales. Mais notre modèle fonctionne moins bien qu’avant ! Notre système social s’essouffle et, pire encore, nous ne pouvons garantir autant d’emplois stables, dont les cotisations finançaient lesdites protections.

Quant à ceux qui embrassent le travail indépendant, de gré ou de force, ils découvrent une protection sociale où les retraites sont moins élevées, les congés payés n’existent pas, la mutuelle n’est pas proposée, les allocations chômage sont inexistantes.

Ce personnage dérangeant qui surgit, ce travailleur activé au travers des plateformes, cet actif qui passe du jour au lendemain du statut de producteur à celui de consommateur, est un ovni dans notre système.

L’ironie de l’histoire veut que l’économie dite traditionnelle en fasse à son tour l’expérience. La très célèbre centrale G7, en tête de la fronde contre Uber durant ces dernières années, s’est retrouvée à son tour face à une bombe à retardement : ses chauffeurs veulent une requalification en CDI ! L’entreprise de taxis a d’ailleurs été condamnée à requalifier un contrat d’un de ses chauffeurs en CDI, une soixantaine de chauffeurs pourraient vraisemblablement lui emboîter le pas.

La cour d’appel de Versailles évoque « un lien de subordination entre l’entreprise et son chauffeur, qui ne maîtrise en réalité pas sa clientèle, et demeure contrôlé par la société », ce même lien qui était évoqué par les VTC contre Uber ou les cyclistes contre Deliveroo. Cette petite anecdote de l’arroseur arrosé n’est pas anodine : notre droit social est forcé de se remettre en cause, et c’est tant mieux.

Les critères de requalification sont tellement flous que la jurisprudence en perd son latin, requalifiant un VTC LeCab ou un taxi G7 mais refusant le même jugement pour un VTC Uber et un cycliste Deliveroo.

En outre, on impose aux plateformes de résoudre la quadrature du cercle : au prétexte qu’elles « embauchent » sans salaire des indépendants, on leur impose de mieux s’en occuper, mais dès qu’elles s’en occupent mieux, la loi utilise ces avantages sociaux consentis comme un faisceau d’indices de requalification.

La Loi « Choisir son avenir Pro » autorise désormais cette protection sociale améliorée (accidents du travail, maladie pro, mutuelle négociée, vae, formation), tout en éloignant le risque de requalification. Le chemin est subtile mais il existe : l’auto-entrepreneur à l’ère d’Uber va faire émerger un nouveau contrat social, et réconcilier les actifs autour de la valeur de leur parcours, plus que sur la dénomination de leur statut.

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