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Trump, l’anti-stratège face à Xi Jinping, maître de la guerre prolongée

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Trump, l’anti-stratège, face à Xi Jinping, maître de la guerre prolongée

Malgré ce qu’il est possible de dire sur la « stratégie douanière » de Trump, le 47ᵉ président des États-Unis n’est pas un stratège, ni n’opère en stratège. Il en est le versant opposé. Face à lui, Xi Jinping, un adversaire rompu à « De la Guerre prolongée », héritier de Mao Zedong. D’un côté, une hypertrophie de l’agir, de l’autre, une culture de l’efficience.

Une contribution d’Yves Richez, anthropologue et docteur en sémiologie

 

L’Amérique de Trump est une enfant face à la Chine mâture de Xi Jinping

 

L’anti-stratège Trump ne peut être appréhendé que si l’on passe à l’examen son fond d’entente. L’Amérique est une enfant au regard de l’Histoire, en particulier celle de la Chine. L’Amérique se raconte en siècles, du début du 17ᵉ siècle avec la fondation de Jamestown, puis son indépendance en 1776. L’Amérique se forge, se structure, se théorise et se déploie pendant plus de soixante ans au travers, entre autres, de la célèbre Ecole de Chicago et son non moins célèbre « Paysan Polonais ». C’est une culture diurne : le bien, le mal, le héros, les ennemis. Un modèle linéaire sans gradation, à l’instar du vocabulaire de son dirigeant.

Dans son en face, la Chine a une existence plurimillénaire qui se pense en termes de « permanence ». Elle est nocturne. Elle s’amorce avec les Cinq Empereurs légendaires (env. 2600-2100 av. J.C.) et l’instauration d’un modèle combinatoire propre au changement. Cet aspect est essentiel. Les USA, eux, restent les héritiers de la Grèce et de sa « Vérité ». La Chine pense le réel en termes de polarités, elle suit les traces. L’Amérique pense le monde en termes de géométrie, de territoires à conquérir pour établir/maintenir la Liberté, elle suit un modèle.

 

Trump, héritier d’une « vertu d’égoïsme », face à un héritier d’une « vertu rurale »

 

Trump est l’héritier d’une culture du territoire et d’un héroïsme viril qui confrontent l’humanisme et l’égoïsme. D’un côté, William James, ambassadeur d’une philosophe pragmatique, et de l’autre, Ana Rand, née Alissa Zinovievna Rosenbaum qui revendique un idéal radical valorisant l’EGO et l’individualisme. Tiré de son livre de 1938, Anthem (Hymne en français), celle pour qui l’altruisme est « affreux, monstrueux, maléfique et immoral », attaque toute idée selon laquelle l’humain peut considérer l’autre et s’y ajuster.

Il n’existe selon elle, « aucune raison valable qui justifierait que l’homme doive protéger son semblable ». Le comportement viril-agressif de Trump contraste avec la vision altruiste et communautaire de James.

Dans son en-face, Jin Xinping incarne, en silence, ce qui fonde la pensée chinoise, qu’elle soit stratégique, politique, poétique, économique : le Wen (文), à la fois fondement moral et représentation culturelle de ce qui fonde la Chine. Ainsi, ne pas être éloquent, opérer en silence afin de faire et ne plus faire, mais de sorte que rien ne soit pas fait.

 

Trump impose au « terrain », Xi Jinping l’a expérimenté

 

Pendant la révolution culturelle, entre 1969 et 1975, Xi Jinping fut envoyé dans le village de Liangjiahe, un village reculé du Shaanxi. Il y séjourne de ses quinze ans jusqu’à ses vingt-deux ans. Il est ce que l’on nomme un « jeune instruit » et occupe le rôle de « chef d’équipe ». Il expérimente la dureté du terrain. Il dit : « souffrance intime, labeur physique, ventre affamé, corps épuisé » (苦其心志、劳其筋骨、饿其体肤、空乏其身).

Trump, lui, connaît une jeunesse « dorée ». Diplômé d’une licence en économie à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, il intègre l’entreprise familiale et son potentiel immédiat. Il ne connaît ni l’isolement, ni la faim, ni le labeur. Il vit dans un univers de luxe. Xi Jinping vit dans un logement troglodytique… D’un côté le « brillant », de l’autre, l’insipide.

Dans son autobiographie parue en 2012, le président chinois dit : « En 1969, j’ai quitté Pékin pour m’installer dans le village de Liangjiahe, commune de Wen’anyi, comté de Yanchuan, dans le nord du Shaanxi, en tant que jeune instruit envoyé à la campagne. Les sept années de vie difficile passées dans les montagnes et les campagnes ont été une grande école pour moi ».

Jin Xinpin connaît le terrain, les gens qui y vivent. Il a manipulé les outils et travaillé la terre, il a discuté autant qu’il a appris à connaître ces gens du terrain.

 

Trump agit en force, Xi Jinping opère en stratège : il dissout.

 

Trump est prévisible sous son apparente imprédictibilité. Dans sa manière d’agir, résident trois idées fondatrices : la vertu d’égoïsme, la propriété et la puissance. Son vocabulaire en témoigne. Identifier ce qui se réfère à ces trois items permet de prédire et d’anticiper ses réactions. Trump agit, il ne fait, ni n’opère. Le mot « agir » (lat. agere) signifie : procède d’une manière pratique, sans effet durable, alors que le mot « faire » (lat. facere) signifie : produit quelque chose qui reste et qui dure.

Xi Jinping n’est pas prédictible, mais l’on peut anticiper non ce qu’il va faire, mais la modalité par laquelle il le fait.
Trump, à l’instar des échecs, agit comme la Reine. Il se déplace dans tous les sens avec une capacité d’action étendue, mais déterminable.

Xi Jinping opère en stratège selon quatre aptitudes qui visent à évaluer le réel, apprécier sa dynamique, analyser l’action possible, et connaître pour conduire sans rompre le flux. Il connaît autant qu’il maîtrise, c’est à supposer, les principes de l’ouvrage de Mao Zedong, De la Guerre prolongée :

Extrait 1 : « A une certaine étape, des changements décisifs se produiront tant dans le rapport de force que dans la situation relative de supériorité de l’ennemi et notre infériorité » ;

Extrait 2 : « En ce qui concerne les facteurs qui nous sont favorables, ils jouent bien déjà un rôle actif, mais il nous faut encore déployer de grands efforts pour qu’ils atteignent un degré de développement tel qu’ils nous permettent de stopper l’offensive ennemie »

Le principe qui en découle est simple, dissoudre, comme l’on dissout un morceau de sucre dans le café. La Chine de Xi Jinping ne « combat » ni ne « riposte » frontalement. Elle évalue, elle étudie, elle opère, non du point de vue grec, mais du point de vue chinois. Elle prend le temps d’évaluer et de connaître la situation, puis, elle opère avec discrétion, de cette efficience (non-agir, 無為 / wuwei) que le « fameux » wuwei er wubu wei – inconnu à Trump – rend décisif : Faire et ne plus faire, mais, de sorte que rien ne soit pas fait.

 

Ainsi, le président Trump se montre bruyant, vulgaire, brutal, agissant, arrogant, efficace, égoïste, puissant. Dans son en face le plus éloigné, le président Xi Jinping, discret, enseigné, non-agissant, patient, efficient, potentialisant. Les tactiques de Trump sont certainement efficaces dans un espace fermé, prédictible et sans variable. Dans le réel, seuls les stratèges l’emportent, tôt ou tard.

 


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