Quand l’économie devient diplomatie : le rôle géopolitique des entreprises

Une tribune écrite par Laurent Gasiglia, Président de Wearth Group

L’entreprise, une personne morale aux prises avec la géopolitique

On l’oublie trop souvent : l’entreprise n’est pas qu’un acteur économique, elle est une véritable personne morale. Elle évolue au sein d’un écosystème qui, désormais, dépasse largement les frontières nationales. Dans un monde interdépendant, chaque décision se répercute à l’échelle mondiale.

Ainsi, la moindre crise internationale fragilise son activité, son développement, voire sa pérennité. Les chiffres en attestent : en 2025, 61 % des dirigeants français déclaraient avoir été affectés par des événements géopolitiques majeurs au cours des deux dernières années (1). Plus encore, 97 % reconnaissent que leur entreprise a déjà subi les conséquences d’un choc géopolitique, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, des tensions sino-américaines ou de la crise énergétique européenne (2) .

La géopolitique n’est donc plus un arrière-plan lointain. Elle est devenue une donnée centrale du pilotage stratégique, que nul dirigeant ne peut ignorer.

Quand les choix des entreprises façonnent les équilibres mondiaux

Mais cette influence est réciproque : les entreprises ne subissent pas seulement les aléas géopolitiques, elles les influencent. Par leurs flux commerciaux, leurs choix de fournisseurs, leurs investissements directs à l’étranger, elles conditionnent la souveraineté et la performance des États.

Implanter une usine en France, réorienter une chaîne d’approvisionnement hors d’Asie, développer des filières de batteries ou d’énergies renouvelables : ce sont autant de décisions industrielles qui deviennent des choix géopolitiques. Elles impliquent des coopérations internationales, des créations d’emploi, des transferts de compétences…

Dans un contexte de tensions et d’instabilités, les entreprises peuvent jouer un rôle stabilisateur. Elles créent de la continuité là où les politiques échouent. Elles bâtissent aussi des ponts : les coopérations économiques ouvrent la voie à des alliances diplomatiques, souvent plus solides et durables que des accords formels entre gouvernements.

C’est une responsabilité immense. Mais la réalité est que trop peu d’acteurs se préparent activement à cet enjeu : à peine 11 % des grandes entreprises françaises ont mis en place une structure interne spécialisée dans le suivi des risques géopolitiques (3) .

Le G20 des Entrepreneurs : la preuve par l’action

L’existence même du G20 des Entrepreneurs illustre ce rôle géopolitique grandissant. Cette organisation réunit chaque année, dans le pays hôte du G20, près de 400 entrepreneurs venus du monde entier. Ensemble, ils travaillent à formuler des propositions concrètes qui seront transmises aux chefs d’État. Une occasion unique de contribuer à une réflexion mondiale sur la croissance, l’emploi, l’innovation et la durabilité.

Les entreprises ne doivent pas se substituer aux États, mais elles doivent apporter par l’action économique des solutions concrètes, inclusives et durables. Dans un monde où les replis identitaires progressent, nous pouvons démontrer qu’il est possible de dépasser les frontières.

En tant que dirigeants, nous avons le devoir d’assumer cette dimension géopolitique de l’entreprise, avec ouverture et humilité. Car au fond, l’international ne nous enseigne qu’une seule chose : au-delà des différences culturelles, c’est notre humanité commune qui demeure le socle universel sur lequel bâtir l’avenir.

Sources : 

(1) Risques géopolitiques : l’urgence d’une politique étrangère des entreprises – Fondation Jean Jaurès – Janvier 2025
(2) Baromètre Géopolitique & Business de l’ESSEC, L’Express et OpinionWay, publié en été 2025
(3) Deloitte – CFO Survey – Edition printemps 2025

À lire également : La vérité en débat : BIG 2025, quand l’économie française se confronte aux faux-semblants