Un nouvel accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis vient d’être annoncé. À l’avenir, la majorité des échanges transatlantiques en provenance de l’UE vers les États-Unis sera soumise à un tarif douanier de 15 %. En outre, un tarif de 50 % s’appliquera à l’acier, et des droits de douane potentiellement plus élevés concerneront également les produits pharmaceutiques, à la discrétion du président Trump.
Une contribution du professeur Peter Debaere, Darden School of Business, Université de Virginie
Ce taux de 15 % est supérieur aux 10 % actuellement appliqués aux exportations européennes vers les États-Unis, mais inférieur aux 20 % de tarifs réciproques que les États-Unis avaient menacés d’imposer en avril, et aux 25 % auxquels les voitures étaient déjà soumises. Inutile de rappeler que ce nouveau taux est plus de trois fois supérieur aux droits de douane en vigueur avant l’arrivée de Trump au pouvoir. À titre de comparaison, les tarifs moyens de l’UE sur les importations américaines se situaient autour de 5 %.
Ce nouvel accord devrait clore le débat, y compris pour ceux qui doutaient encore après la précédente série de menaces tarifaires, survenue il y a à peine plus d’une semaine : 30 % sur les importations européennes et mexicaines, 35 % pour le Canada, 25 % pour la Corée du Sud, et des droits similaires en préparation pour de nombreuses économies émergentes. Le Brésil pourrait même faire face à un tarif de 50 %, apparemment en raison de son traitement jugé défavorable à l’égard d’un allié politique de Trump, le président sortant Bolsonaro.
Les économistes ont commis une erreur. Jusqu’à présent, nous avons tenté d’analyser les politiques commerciales de Trump d’un point de vue économique. Nous les avons étudiées à travers ce prisme, en examinant et en décortiquant les multiples justifications avancées par l’administration. Nous avons conclu qu’elles étaient incohérentes, contradictoires, et néfastes, et nous en sommes restés là.
Si l’administration américaine était véritablement préoccupée par le déséquilibre commercial des États-Unis, ce qu’ont fait valoir les économistes, elle ne creuserait pas davantage les déficits budgétaires futurs avec ses “grands et beaux projets”, qui ne feraient qu’aggraver les déséquilibres. Nous avons noté que les droits réciproques annoncés lors du « Jour de la libération » (NDLR : le discours de libération de Trump du mercredi 2 avril 2025) étaient, d’un point de vue économique, absurdes. La méthode de calcul des droits de douane exposait l’incompétence de l’administration au grand jour.
Les droits de douane peuvent réajuster les déséquilibres bilatéraux, mais ils sont largement inefficaces pour réduire le déficit commercial global d’un pays ; sauf, bien sûr, si l’objectif est un monde sans commerce. Nous avons soutenu que les griefs légitimes envers la Chine devaient être abordés par des coalitions de pays exerçant leur influence au sein de l’OMC, plutôt que par des guerres commerciales bilatérales.
Les économistes ont pris Trump au mot, convaincus qu’il entendait réellement rebâtir l’industrie américaine en s’appuyant sur les droits de douane. Nous avons souligné que ces droits ignoraient la complexité des chaînes d’approvisionnement mondiales. Même les entreprises qui produisent sur le sol américain doivent importer. Il est illusoire de croire qu’Apple peut fabriquer tous les composants de l’iPhone aux États-Unis, ou que l’industrie textile à bas coût pourrait quitter un pays comme le Bangladesh et se réimplanter dans une économie à hauts salaires et centrée sur les services.
Pour encourager l’investissement industriel local, les entreprises ont besoin de prévisibilité en matière de droits de douane. Or, cette administration change les règles dès que cela l’arrange. Et même si l’on voulait protéger les producteurs locaux derrière un mur de droits de douane, malgré les bienfaits reconnus de la concurrence pour l’industrie, encore faudrait-il que la politique industrielle soit cohérente, globale et tournée vers l’avenir. Ce que ne propose pas l’administration Trump.
Avec ce nouvel accord entre l’UE et les États-Unis, ainsi que les menaces tarifaires qui l’ont précédé, il est temps de dépasser l’analyse économique et de qualifier ces politiques incohérentes pour ce qu’elles sont réellement, une affirmation arbitraire du pouvoir économique. Le président Trump les met en œuvre simplement parce qu’il le peut, même lorsqu’elles sont incohérentes, contraires à l’intérêt national, et nuisibles aux autres pays. Il en est capable, car ni le Congrès ni la Cour suprême ne s’y opposent, et parce que les conséquences concrètes de ces mesures mettent du temps à se révéler. En tant que président d’une grande puissance, Trump dispose du levier nécessaire pour nuire à autrui. Le message est clair et les pays visés sont avertis. On attend d’eux qu’ils se plient à la volonté du plus fort, selon son humeur du moment.
Dans une perspective de prospérité économique à long terme pour les États-Unis, on aurait pu espérer que le reste du monde se regroupe pour formuler une réponse commune à ces offensives tarifaires arbitraires. Cela semble de plus en plus illusoire. Les pays ont poursuivi leurs propres intérêts immédiats et étroits, pensant pouvoir amadouer ou déjouer Trump, et obtenir un meilleur accord que les autres. Le Royaume-Uni a ouvert la voie en optant pour une démarche individuelle, en dehors de l’UE. Le Japon a emboîté le pas en menant ses propres négociations. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Union européenne de s’engager dans cette voie.
L’UE n’a imposé ni mesures de rétorsion sur les services, ni réclamé des droits de douane équivalents à ceux qu’elle applique aux produits américains. Peut-être redoute-t-elle qu’une réaction plus ferme n’incite Trump, fin négociateur à l’approche résolument transactionnelle, à revoir son soutien militaire à l’Ukraine. Un exemple frappant où les intérêts commerciaux cèdent le pas au poids militaire ?
Il revient désormais aux citoyens américains de prendre pleinement conscience de la nature réelle de ces politiques : une prise de pouvoir et une menace directe. En attendant, le président Trump continuera à remporter ses batailles, au détriment des États-Unis et de leurs intérêts économiques.
À lire également : Exportations, inflation, fracture européenne… les 5 conséquences d’une paix tarifaire sous pression

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits