Les sanctions américaines ont toujours semé la peur sur les marchés mondiaux. Les entreprises et les pays du monde entier se sont empressés d’éviter de se retrouver dans le collimateur de Washington. Pourtant, malgré des mesures sans précédent contre la Russie, des centaines de milliards de dollars continuent de circuler dans le commerce transfrontalier.
Pourquoi ? Alors que les canaux bancaires traditionnels ont été coupés, la finance numérique, les innovations en matière de paiement et les voies alternatives ont remodelé la façon dont l’argent circule. L’exemple de la Russie met en évidence à la fois la résilience des réseaux financiers et les limites des sanctions dans une économie numérisée.
Les réseaux financiers sont difficiles à démêler
Lorsque les sanctions ont frappé les plus grandes banques russes en 2022, l’objectif était clair : couper Moscou du système mondial et provoquer une paralysie financière. Cependant, en quelques mois, cette stratégie n’a pas eu l’effet escompté.
La Russie a réorienté ses exportations de pétrole vers l’Asie, souvent libellées dans des devises autres que le dollar. Des « flottes fantômes » de pétroliers ont contourné les assurances occidentales et créé des chaînes d’approvisionnement parallèles. Dans le même temps, des solutions fintech telles que les portefeuilles numériques et les systèmes de paiement régionaux ont permis de contourner les banques sanctionnées. La croissance du réseau CIPS chinois, des systèmes de règlement libellés en roupies indiennes et des alternatives fintech russes locales a illustré une leçon essentielle : les sanctions sont puissantes, mais pas infaillibles.
Pour les investisseurs et les opérateurs du secteur fintech, cette réalité est importante. L’application des sanctions s’étend de plus en plus aux plateformes d’actifs numériques, aux prestataires de paiement et aux start-up fintech transfrontalières. Le risque de non-conformité ne se limite plus aux banques. Les amendes réglementaires mondiales ont atteint un niveau record de 19,3 milliards de dollars en 2024, et environ 90 % des fintechs déclarent qu’il est difficile de satisfaire aux exigences adéquates.
Les entreprises fintech qui se développent sur les marchés émergents ont besoin d’outils de contrôle robustes, non seulement pour éviter les sanctions réglementaires, mais aussi pour maintenir leur crédibilité auprès de leurs partenaires institutionnels.
L’adaptation russe atténue les conséquences des sanctions
En Russie, l’histoire est celle de l’adaptation. Les marques occidentales ont disparu des centres commerciaux, mais elles ont été remplacées en quelques mois. Les entreprises technologiques russes ont reproduit les applications de restauration rapide, les plateformes de covoiturage et la logistique du commerce électronique. La substitution des importations s’est rapidement développée.
Dans ce contexte, la fintech a joué un double rôle. Au niveau national, les processeurs de paiement russes et les banques numériques soutenues par l’État ont comblé le vide laissé par Visa et Mastercard. Les consommateurs se sont adaptés sans difficulté, continuant à utiliser leurs cartes ou leurs portefeuilles mobiles arborant de nouveaux logos. À l’échelle internationale, les plateformes de cryptomonnaies ont offert un autre canal, même si les volumes étaient faibles par rapport aux exportations de pétrole et de gaz.
La leçon à en tirer ? Les sanctions peuvent limiter les options, mais elles les suppriment rarement complètement. Pour les leaders de la finance numérique, cela souligne l’importance de la planification de scénarios.
Si les régulateurs étendent les régimes de sanctions à des secteurs plus récents comme l’IA et la blockchain, les entreprises doivent disposer de stratégies pour pivoter, s’adapter et réorganiser leurs processus de conformité. Les investisseurs qui évaluent des start-up dans les domaines des paiements transfrontaliers, des transferts de fonds ou de la finance intégrée doivent évaluer la résilience de ces plateformes face aux chocs réglementaires.
Le pouvoir mondial des sanctions est en train de changer
Les sanctions restent un levier essentiel du pouvoir américain. Cependant, leur efficacité dépend désormais moins des décisions unilatérales de Washington que de la formation de coalitions mondiales. Les pays qui ne souhaitent pas s’aligner créent des échappatoires qui atténuent leur impact : le commerce bilatéral entre la Chine et la Russie a atteint un niveau record de 234 milliards de dollars en 2024.
Pour le secteur de la fintech, cette nouvelle dynamique de pouvoir ouvre à la fois des risques et des opportunités. D’une part, les entreprises qui permettent des transactions dans la zone grise font l’objet d’une surveillance accrue. D’autre part, la demande en matière de technologies de conformité, de surveillance des risques en temps réel et de filtrage des sanctions basé sur l’IA est en hausse. Les start-up capables d’automatiser les processus KYC et AML sont bien placées pour attirer des entreprises clientes qui doivent naviguer dans des régimes réglementaires de plus en plus fragmentés.
Concrètement, les fondateurs de fintech qui vantaient autrefois les paiements transfrontaliers sans friction doivent désormais présenter la conformité comme une fonctionnalité et non comme un bug. Les investisseurs doivent également évaluer si les entreprises de leur portefeuille sont préparées à faire face aux répercussions des sanctions, non seulement sur les marchés sensibles sur le plan géopolitique comme la Russie, mais aussi dans les secteurs qui pourraient être visés par la politique américaine, tels que les semi-conducteurs, les minéraux liés à la transition énergétique ou les infrastructures d’IA.
Quel rôle joue la fintech dans les sanctions futures ?
Le cas de la Russie montre clairement une chose : les sanctions ne vont pas disparaître. Au contraire, elles sont en train de devenir une caractéristique permanente du paysage financier mondial. Pour la fintech, cela représente à la fois une contrainte et un catalyseur.
Les contraintes sont évidentes. Elles comprennent des coûts de conformité plus élevés, un ralentissement de l’expansion mondiale et une surveillance réglementaire accrue. Cependant, le catalyseur est tout aussi puissant. La demande de solutions de conformité plus intelligentes et axées sur la technologie ainsi que la possibilité de mettre en place les infrastructures financières d’un monde multipolaire sont une lueur d’espoir au bout d’un tunnel sinueux.
Alors que les sanctions remodèlent le commerce mondial, la fintech se trouve en première ligne. Les gagnants seront ceux qui miseront non seulement sur la rapidité et l’échelle, mais aussi sur la résilience et l’adaptabilité. Dans la lutte entre la géopolitique et l’innovation, la question n’est plus de savoir si les sanctions fonctionnent, mais comment la fintech transforme le champ de bataille.
Une contribution d’Ilona Limonta-Volkova pour Forbes UA, traduite par Flora Lucas
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