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Pourquoi Le Projet De Budget De La Zone Euro A Du Plomb Dans L’Aile

Photo by Thierry Monasse/Getty Images

Un pas en avant. Un pas en arrière. Avec l’Europe, les promesses de décollage sont souvent déçues. Le projet de budget de la Zone euro, porté par Emmanuel Macron depuis plusieurs mois, pourra-t-il échapper à cette fatalité, et se jouer des pièges multiples qui entourent sa création ? Rien n’est moins sûr…

 Noces trompeuses à Meseberg

L’histoire était belle. Les sourires radieux. Paris et Berlin venaient alors de trouver un accord historique au sujet de l’avenir de la Zone euro. De nouvelles noces que l’Europe pouvait enfin célébrer ce 19 juin dernier, tant elles ressemblaient à s’y méprendre à la matérialisation d’une nouvelle ambition partagée, après plusieurs années de sur-place.

Un compromis franco-allemand d’autant plus appréciable qu’il était conclu dans un climat d’incertitude naissante : l’embellie conjoncturelle, qui avait fait les beaux jours de l’année 2017, se faisait déjà plus discrète. Entre une guerre commerciale fraîchement déclenchée par les Etats-Unis, des négociations tendues sur le Brexit, le défi des régimes autoritaires (Pologne, Hongrie), la question des migrants ou encore la crise institutionnelle qui avait paralysé l’Italie pendant de nombreuses semaines, rien ne pouvait alors pousser à l’optimisme sur le continent.

Face à une telle accumulation de nuages noircissant le ciel européen, les dix-neuf pays de la Zone euro avaient bien besoin d’un miracle et d’un projet providentiel pour sortir la tête de l’eau.

L’accord de Meseberg, de la Sorbonne (septembre 2017) à Aix-la-Chapelle en passant par Strasbourg, cela faisait des mois qu’Emmanuel Macron le préparait dans les coulisses, martelant haut et fort en direction de ses homologues européens : « n’attendons pas. Agissons maintenant ! ».

Une impatience salutaire. Car demain, il sera trop tard. A force de tergiverser au lieu d’opter résolument pour de nouveaux mécanismes de mutualisation des risques au sein de la Zone euro (construction d’un budget de la Zone euro, création d’un système européen d’assurance des dépôts bancaires, constitution d’un FMI européen pour lutter contre les crises de liquidité), les Européens ont jusqu’à présent pris le risque de laisser se creuser les inégalités entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres, se condamnant eux-mêmes à ne pas investir suffisamment dans l’avenir.

La perspective de création d’un budget pour la Zone euro d’ici 2021, ouverte par l’accord arraché par Emmanuel Macron à Angela Merkel, peut rebattre sensiblement les cartes.

Souvenons-nous que quand l’Europe a créé la monnaie unique, elle avait prévu de bâtir ensuite un budget commun. Un projet qui pendant longtemps s’est heurté à l’intransigeance allemande, Mme Merkel craignant qu’une telle capacité de financement propre soit mobilisée pour faire jouer la solidarité financière en faveur de pays moins vertueux.

Avec l’accord de Meseberg et les premières lueurs de l’été, on a d’abord voulu croire que l’inoxydable dirigeante avait enfin compris qu’un budget commun pour la Zone euro favoriserait la compétitivité et la convergence, à travers les investissements dans l’innovation et le capital humain qu’il permettrait. Que les Allemands étaient sur le point de rejoindre la France dans sa vision volontariste, en considérant enfin qu’un budget pour la Zone euro, c’est bien la promesse de repenser l’Europe sur des bases qu’elle n’aurait jamais dû perdre de vue : le retour à une fonction de solidarité et de coordination des politiques économiques entre les pays ayant adopté la monnaie unique.

Qu’un budget pour la Zone euro, c’est enfin la promesse d’un retour de l’Europe dans son affirmation économique et commerciale face aux Etats-Unis et la Chine. Car quand l’Union européenne parle d’une seule voix, elle est respectée. Un effet qu’on a observé en juillet, avec la décision ferme et incisive de la Commission d’appliquer des droits de douane de 25% sur une série de produits américains, à hauteur de 2,8 milliards d’euros de produits importés, en réponse aux taxes américaines équivalentes sur les importations d’acier et d’aluminium.

Macron face à l’alliance germano-nordique

Et puis ces espérances estivales ont laissé la place au doute. Aujourd’hui, chacun l’observe : Emmanuel Macron est seul. Il ne peut guère compter sur le moteur franco-allemand pour faire avancer son projet.

Certains vont même jusqu’à suggérer que l’Allemagne imposerait dans les Eurogroupes, que les discussions sur l’avenir de la Zone euro se déroulent à 27, le plus sûr moyen de faire échouer un projet qui a déjà du mal à rassembler au sein des pays ayant adopté la monnaie unique.

Car depuis la réunion des Ministres des Finances de juillet dernier, au cours de laquelle plusieurs d’entre eux, avaient fait savoir leurs réserves à l’égard de la position franco-allemande, le projet de budget de la Zone euro a du plomb dans l’aile.

Le président Macron a face à lui les huit pays du Nord de l’Union, rangés derrière le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, pour s’opposer farouchement à l’idée d’un budget propre à la Zone euro, sous prétexte que « chacun doit faire le ménage dans sa maison ». Un raisonnement franchement détestable de la part de ceux qui semblent avoir oublié le sens même du projet européen : préserver la paix, mais surtout venir en appui aux pays qui ne partent pas avec des chances identiques à d’autres, et préparer avec eux un avenir meilleur pour ce peuple européen de 512 millions d’âmes.

Une opposition qui a poussé Macron à s’envoler le 28 août dernier pour un voyage inédit vers le Danemark et la Finlande, dont les voix compteront pour gagner le bras de fer avec les opposants au budget de la Zone euro.

Personne ne connait encore les détails relatifs à ce futur budget unique des dix-neuf. Des propositions concrètes doivent, en principe, être présentées lors du Conseil européen de décembre prochain.

Mais, à l’évidence, son adoption sera un moyen précieux pour éviter à tout prix que se reproduisent dans les années qui viennent des situations aussi injustes que contre-productives, aboutissant aux dérives déjà soulignées par l’économiste Patrick Artus : des pays à excédent d’épargne (Allemagne, Pays-Bas, Danemark…) se refusent encore, depuis maintenant près de dix ans, à prêter aux autres pays de la Zone euro, quitte à préférer diriger leurs capitaux vers le reste du monde…

Un budget pour la Zone euro n’est évidemment pas une fin en soi. Mais c’est une étape indispensable vers un chemin plus ambitieux pour une Union européenne, qui devra être bien plus unie et ambitieuse à vingt-sept qu’elle n’a su l’être jusqu’à présent à vingt-huit.

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