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L’Europe face au défi de l’obsolescence des compétences

De plus en plus de jeunes diplômés découvrent que leurs connaissances sont déjà dépassées. L’obsolescence accélérée des compétences impose de repenser la formation continue et d’investir dans des dispositifs capables d’anticiper les besoins.

Une tribune écrite par Matthias De Bièvre, fondateur de VISIONS et Président de Prometheus-X

 

Le diplôme a longtemps représenté une garantie de carrière. Or aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La durée de vie moyenne d’une compétence technique ne dépasse plus trois à cinq ans. Des milliers de jeunes diplômés en font l’amère expérience : après plusieurs années d’études, ils se retrouvent face à un marché du travail bouché, qui ne correspond déjà plus aux savoirs qu’ils viennent d’acquérir.

Les chiffres confirment l’ampleur du phénomène : Le World Economic Forum (1) estime que 44 % des compétences de base des travailleurs seront dépassées d’ici 2027. En Europe, plus de 75 % des employeurs déclarent avoir du mal à recruter les profils adaptés (2). Et en France, l’OCDE estime que l’IA pourrait conduire à la disparition ou à la transformation de plus de 4 millions de postes en France d’ici 2030 (3). L’évolution des technologies couplée au décalage entre diplômes et besoins réels du marché nourrit un chômage structurel et fragilise la compétitivité européenne, en réduisant la productivité, en freinant l’innovation et en limitant les investissements.


 

Un enjeu de souveraineté européenne

La question des compétences ne concerne pas seulement l’emploi ou la formation : elle touche directement à la compétitivité et à l’indépendance stratégique de l’Europe. Un continent où les travailleurs perdent trop vite la maîtrise des technologies clés, prend le risque de dépendre d’acteurs étrangers mieux formés et plus réactifs. Et les États-Unis et la Chine l’ont bien compris. Ils investissent massivement dans le développement des talents et l’adaptation des savoirs. Si l’Union européenne n’emprunte pas la même voie, elle connaîtra non seulement un décrochage économique, mais aussi une perte de souveraineté face aux grandes puissances technologiques. Renforcer la capacité d’adaptation des travailleurs européens est donc une condition indispensable pour préserver notre autonomie et notre place dans l’économie mondiale.

 

Anticiper grâce à la donnée et à l’IA

Réformer les cursus académiques tous les dix ans ne suffit plus. Les évolutions technologiques exigent des ajustements beaucoup plus rapides. La donnée et l’intelligence artificielle offrent aujourd’hui les moyens de détecter les compétences qui émergent, celles qui déclinent et celles qui doivent être renforcées.

Mais pour que cette capacité d’anticipation devienne un véritable levier de compétitivité, elle doit s’appuyer sur des infrastructures solides, capables d’orchestrer les données et de connecter des services d’IA. Sans cela, l’IA reste une suite d’outils isolés, sans portée systémique. Cela signifie : identifier les compétences émergentes, prévoir les tendances sectorielles et géographiques, comparer les profils internes à la demande externe, et accéder à des données d’emploi et de formation unifiées à grande échelle. Autrement dit, passer d’une logique de réaction à une dynamique proactive, où la mise à jour des compétences devient systématique.

Le projet DS4Skills-Go, cofinancé par l’Union européenne et déployé dans huit États membres, illustre cette approche : il met en place un espace européen de données sur les compétences, où acteurs publics et privés partagent et exploitent leurs informations pour mieux aligner formations, emploi et besoins du marché. En rendant accessibles ces informations à grande échelle et dans un cadre de confiance, de tels data spaces permettent à l’Europe de dépasser le potentiel commun de l’IA, qui se limite trop souvent à la mise en avant d’outils isolés pour l’éducation ou l’emploi. Sans socle commun de données, ces initiatives restent des expérimentations fragmentées, sans réelle portée.

 

Une vision à long terme

Les entreprises doivent considérer la formation comme un investissement, et non plus comme une charge. Les pouvoirs publics, de leur côté, doivent faciliter les reconversions, garantir l’accès à la formation tout au long de la carrière et encourager les passerelles entre les filières. Mais ces efforts resteront limités s’ils ne s’appuient pas sur un socle commun : des infrastructures capables de relier les acteurs de l’éducation et de l’emploi.

L’Europe a déjà investi massivement dans ces data spaces. Il est temps de les interconnecter et de les exploiter pleinement pour transformer la masse de données éducatives et professionnelles en un véritable levier de souveraineté et de compétitivité. Le diplôme restera un jalon essentiel dans une carrière, mais il ne peut plus être perçu comme un aboutissement.

Dans un monde où les savoirs se périment plus vite que les titres académiques, seule une actualisation régulière des compétences — soutenue par des écosystèmes de données fiables et interopérables — permettra de sécuriser les parcours professionnels, de réduire le chômage et de renforcer la souveraineté économique européenne.

 

Sources : 

(1) World Economic Forum – Future of Jobs Report
(2) EuroNews – EU jobs crisis as employers say applicants don’t have the right skills
(3) OECD – The impact of AI on the workplace: Main findings from the OECD AI surveys of employers and workers

 


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