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L’Europe est-elle toujours dans la course en matière d’innovation ?

Face au dynamisme industriel américain et chinois, l’Europe, tête pensante de l’innovation, peine à industrialiser celle-ci. Dès 2028, un nouveau programme-cadre européen, FP10, sera mis en place pour mieux financer et booster l’innovation en Europe. Mais il est urgent d’agir dès maintenant, en privilégiant les notions de souveraineté, en facilitant les processus administratifs de soutien et en renforçant l’écosystème de financement.  

Une contribution de Caroline Leclert, Responsable Département Industries, F. Initiatives

 

Plus d’investissements pour plus d’indépendance technologique

Parmi les 2 000 plus gros investisseurs financiers mondiaux en R&D, seulement 322 entreprises sont basées en Europe (soit 18,7 % des investissements), contre 681 aux États-Unis (42,3 %) et 524 en Chine (17,1 %) (1). Ces chiffres illustrent bien le retard persistant de l’Europe dans le financement de l’innovation. Globalement, en matière de technologies innovantes, le continent reste dépendant du reste du monde. Par exemple, seulement moins de 10 % de la production mondiale de semi-conducteurs est réalisée en Europe, alors que l’objectif du Chips Act européen, doté de 43 milliards d’euros et destiné à renforcer la souveraineté technologique de la France, est d’amener cette part à 20 % d’ici 2030 (2).
 
 

Un environnement trop fragmenté

Avec un marché intérieur morcelé de 27 États et des réglementations nationales disparates, l’Europe souffre de fragmentation. De plus, son écosystème de startups est fragile : il n’est à l’origine que d’une faible part de licornes tech, et celles-ci sont souvent fragilisées avant de pouvoir atteindre une taille critique, insuffisamment soutenue par un capital-risque européen qui représente à peine 5 % du total mondial contre 52 % pour les États‑Unis (3). Autre écueil, l’Europe investit davantage dans la recherche fondamentale que les États-Unis ou la Chine, alors que les retombées industrielles de celle-ci sont plus lentes à venir (4).


 

Repenser l’écosystème d’innovation de bout en bout

Aujourd’hui, au travers du programme Horizon, l’ambition s’arrête souvent au lancement : les dossiers collaboratifs exigent à minima trois pays partenaires, ce qui ralentit mécaniquement les projets industriels. Certaines voix prônent la possibilité de projets mono‑partenaires plus adaptés aux PME et aux deeptechs. Autre frein, en France, le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), fer de lance de l’innovation industrielle, a perdu de son impact : les réformes récentes excluent désormais certaines dépenses comme les brevets ou le statut « jeune docteur », qui ont eu pour conséquences un affaiblissement des collaborations public/privé, une baisse des recrutements scientifiques et une fragilisation des stratégies de R&D, en particulier pour les startups (5). L’innovation industrielle ne peut plus dépendre uniquement d’un laboratoire brillant ou d’une startup isolée, elle doit s’ancrer dans la création d’usines.

 

Deux modèles d’efficacité industrielle

La stratégie chinoise, quant à elle, est bien plus claire. Via son programme Made in China 2025, Pékin a ciblé des secteurs clés comme les véhicules électriques, le quantique, les semi-conducteurs ou les drones. Pour ce faire, elle a mobilisé de vastes ressources publiques pour bâtir des champions nationaux. En 2023, la Chine investissait environ 200 milliards $ en R&D publique et universitaire, contre 180 Md $ pour l’UE et 175 Md $ pour les États-Unis (6).
Les Américains, eux, complètent ce volontarisme public par un capital-risque surdimensionné : en 2024, les investissements privés en IA ont atteint 67,2 milliards $, contre seulement 7,8 milliards pour la Chine. La politique industrielle américaine est incarnée dans des dispositifs comme le CHIPS and Science Act, avec 106 milliards $ d’aides pour relocaliser la production de semi-conducteurs et stimuler la technologie domestique. L’Europe, elle, finance certes la recherche, mais peine à traduire ces moyens en usines, chaînes d’approvisionnement, et capacités souveraines.
 
 

L’Europe se donne enfin les moyens de ses ambitions

Pour FP10, le prochain programme-cadre européen visant à booster l’innovation, la Commission investira 175 milliards  de dollars, presque le double du budget actuel du programme en cours, Horizon Europe. Cette enveloppe s’inscrira dans un vaste fonds, l’European Competitiveness Fund (ECF) de 409 milliards de dollars (7).  Le lancement des gigafactories IA, un programme de 20 Mds d’euros pour bâtir des data centers IA massifs, constitue une réponse à la hauteur de l’enjeu : trois à cinq sites sont prévus avec plus de 100 000 GPU, pour concurrencer la Chine et les États‑Unis dans la course aux modèles IA. Le Fonds EIC triple son budget et les activités du Conseil Européen de la Recherche se voient doublées au sein de FP10 (8). Par ailleurs, le Chips Act européen, avec ses mesures d’aides d’État et mesures de chaîne de valeur intégrée, peut relancer la production de semi-conducteurs et réduire notre dépendance aux fabricants asiatiques.

 

Investir dans des innovations de rupture malgré l’incertitude

L’Europe peut s’inspirer d’un fonds souverain type DARPA, (l’agence du département de la défense américaine), doté de 4 milliards de dollars par an. En comparaison, le CEI (Conseil Européen de l’Innovation) n’a financé que 1.6 milliard de projets innovants en 2023. Depuis sa création en 1958, la mission du DARPA reste inchangée : financer des projets technologiques à fort niveau d’incertitude qui peuvent aboutir à des innovations de rupture (avion vert, supercalcul, santé quantique), associant public, privé et start-ups industrielles.
 
 

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