Une tribune écrite par Mathilde Godard
Vaca Muerta, au cœur de la stratégie énergétique
Le mix énergétique argentin reste dominé par les combustibles fossiles : le gaz naturel (55 %) et le pétrole (33 %) (2). Mais avec la deuxième plus grande réserve mondiale de gaz de schiste (après la Chine) et la quatrième de pétrole de schiste, le pays dispose d’atouts considérables. Le bassin de Vaca Muerta, dans la province de Neuquén, concentre à lui seul l’essentiel de ce potentiel.
Après une décennie de déclin, la production énergétique a renoué avec la croissance en 2015, progressant de 2 % par an en moyenne jusqu’en 2022 — une reprise largement portée par le gaz naturel, qui représente plus de 60 % de cette expansion.
De nouveaux investissements massifs redessinent aujourd’hui le paysage pétrolier argentin, renforçant la capacité d’exportation et l’interconnexion régionale. Parmi eux : l’oléoduc Vaca Muerta Norte, achevé en 2023 ; la remise en service du pipeline Trasandino après 17 ans d’arrêt, qui reconnecte l’Argentine au Chili ; et l’extension du réseau Oldelval, clé du transport intérieur de pétrole. À cela s’ajoute un projet majeur : ExxonMobil investit 191 millions de dollars dans le pipeline Bajo del Choique Nordeste, long de 43 km, qui pourra transporter l’équivalent de 60 000 barils par jour de capacité. Ces projets soutiennent la projection ambitieuse d’une production pétrolière de 830 000 barils/jour d’ici 2025, un niveau inédit depuis le record de 1998.
« Depuis la guerre en Ukraine, les gazoducs fonctionnent jour et nuit. Treize puits sont fracturés chaque jour, en moyenne », explique Martín Álvarez, coordinateur de l’ONG Observatorio Petrolero Sur (source : La Presse Canada).
Du gaz au GNL : un pays tourné vers l’export
Le gisement de Vaca Muerta reste aussi le moteur de la production de gaz, en hausse de 30 % en vingt ans. L’activité s’étend désormais en mer : TotalEnergies a lancé en 2024 la production du champ Fénix, qui fournit 353 millions de pieds cubes de gaz par jour, soit 70 000 barils équivalent pétrole (3).
L’Argentine exploite aujourd’hui deux terminaux de regazéification — Bahía Blanca et Escobar — essentiels pour équilibrer la demande saisonnière. En parallèle, YPF et Shell ont signé un accord de développement de 10 milliards de dollars (4) pour un projet d’exportation de GNL à Sierra Grande (province de Río Negro), visant une capacité de 10 millions de tonnes par an.
Cette dynamique s’inscrit dans une vision plus large : l’Argentine, avec le Chili et la Bolivie, forme le cœur du « Triangle du lithium », qui concentre plus de la moitié des réserves mondiales. Quatrième producteur mondial en 2023, le pays compte sur cette ressource stratégique pour faire le lien entre hydrocarbures et minerais critiques, et ainsi s’imposer comme un acteur clé de la transition énergétique mondiale.
Réformer pour attirer le capital
Au centre de la stratégie de Milei : déréglementer pour libérer l’investissement. La loi Bases, récemment adoptée, introduit le Régime d’incitation pour les grands investissements (RIGI), garantissant 30 ans de stabilité réglementaire en matière fiscale, douanière et de taux de change — un signal fort à destination des investisseurs internationaux. Dans le même esprit, le gouvernement a annoncé en septembre 2025 la privatisation partielle de Nucleoelectrica Argentina S.A. (NA-SA), avec 44 % des parts mises en vente via un appel d’offres international (5).
Et le soutien extérieur se renforce avec l’annonce du président Donald Trump le 23 septembre, que les États-Unis allaient accorder jusqu’à 20 milliards de dollars pour stabiliser la monnaie argentine. De son côté, le Groupe de la Banque mondiale a confirmé l’accélération de son programme d’aide de 12 milliards de dollars au pays.
Vers une nouvelle ère énergétique
La combinaison d’une libéralisation économique, de l’essor rapide de Vaca Muerta et du retour des capitaux étrangers, positionne aujourd’hui l’Argentine comme une nouvelle terre d’investissement pour les projets pétroliers et gaziers.
Si les défis demeurent — en particulier le manque de stabilité politique et monétaire — 2025 marque un tournant stratégique : celui d’un pays en quête d’autosuffisance et d’un leadership politique régional, voire international.
(1) Argentina reduces energy subsidies, calls for fresh investment
(2) IEA – Argentina
(3) Argentina: Production Start-up at Fenix Offshore Gas Field
(4) Argentina’s YPF signs agreement with Shell to develop Argentina LNG project
(5) El Gobierno avanza en la privatización parcial de Nucleoeléctrica Argentina S.A.
À lire aussi : La méthode Milei passée au crible

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits