L’été 2025 a sonné comme un électrochoc. Trois crises – au Proche-Orient, en Azerbaïdjan et en Ukraine – ont exposé au grand jour notre dépendance. L’Europe était présente… ou tout au plus reléguée au rang de figurante ou spectatrice. Nous découvrons brutalement que la souveraineté n’est pas une affaire sectorielle : économie, énergie, défense et numérique s’entremêlent désormais dans un même rapport de force.
Un article de Christophe Aulnette, ancien dirigeant de Microsoft France et auteur du livre « Le jour où j’ai quitté Bill Gates » (Éditions Novice, 2025).
Et dans le numérique, cette fragilité s’exprime avec une acuité particulière. Parce qu’il concentre à la fois les enjeux économiques, technologiques et de sécurité, devenant ainsi le miroir de nos dépendances. Parce que, dans un monde remodelé par Donald Trump, tout se négocie : tarifs douaniers contre garanties militaires, accès aux ressources contre contrôle du numérique. Ces “garanties” américaines relèvent moins d’une alliance que d’une vassalisation.
Les Big Tech, bras armé de Washington
En tant qu’ancien dirigeant de Microsoft en Europe et en Asie, je sais à quel point les géants américains du numérique ne sont pas de simples entreprises. Ce sont des instruments de puissance, intégrés à la politique étrangère des États-Unis. Les infrastructures de cloud sont devenues des piliers de leur sécurité nationale, l’intelligence artificielle un levier de supériorité militaire et économique, et la maîtrise des données un outil de domination mondiale.
Alors quand Donald Trump écrit que les Big Tech sont “la tirelire et le paillasson de l’Europe”, faut-il y voir une nième provocation ? Demandez aux administrations et aux entreprises européennes ce qu’elles pensent des tarifs et de la dépendance qu’on leur impose !
On pourrait s’en moquer. Mais Trump ajoute aussitôt une menace : de nouveaux droits de douane si l’Europe persiste à réguler les géants américains. Une fois encore, le président américain mélange les genres, traitant les champions technologiques comme des instruments diplomatiques. Et le message est limpide : renoncez au DMA (Digital Markets Act) et au DSA (Digital Services Act).
Le DMA et le DSA : les régulations européennes sous la menace de Trump
Le DMA est essentiel : il impose un minimum d’interopérabilité et d’ouverture, sans lequel aucune concurrence ni aucun nouvel acteur ne peut émerger. Aux États-Unis, ce débat commence seulement, à coups de procès fleuves contre Google, Microsoft, Amazon ou Apple. En Europe, nous avons choisi la régulation. Et ce choix dérange.
Plus sensible encore, le DSA définit un cadre de responsabilité et fixe les règles de l’espace numérique. Exemple : la liberté d’expression. En Europe, on ne peut pas tenir de propos racistes, antisémites ou homophobes quand c’est possible aux États-Unis. Ces divergences illustrent deux conceptions du monde. Accepter de céder sur ce point en abandonnant la responsabilisation des plateformes, c’est accepter que nos normes et même nos valeurs soient dictées depuis Washington.
De la dépendance à la soumission
Si nous reculons sur le DMA et le DSA, notre dépendance ne sera plus seulement militaire et économique. Elle deviendra culturelle et politique. Nous aurons renoncé à notre capacité à définir nos propres règles et donc à notre liberté de choix.
L’été 2025 nous l’a rappelé : l’Europe n’aura pas de souveraineté sans défendre fermement ses cadres réglementaires, reflets de ses valeurs. Faute de quoi, elle restera condamnée à n’être qu’une spectatrice de l’Histoire – quand elle devrait en être une actrice.
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