Un article écrit par Benoît Meyronin et Jean-Christophe FOUCRIT
Quand gérer notre temps relève de l’exemplarité
Celle-ci s’exprime d’abord via la considération, via notre présence réelle ou… fictive auprès de notre équipe. Être exemplaire, en ce sens, c’est manifester une curiosité de tous les instants : c’est aller au-devant d’autrui, se montrer disponible, tout entier dans l’instant présent. Mais plusieurs obstacles semblent faire front face à nous.
D’abord, il y a l’omniprésence des outils digitaux, pourtant censés nous faire gagner du temps. Ils ont définitivement bouleversé notre rapport aux autres, comme l’exprime très justement le sociologue David Le Breton (1). Rester curieux de ce qui se passe autour de nous, lors d’une réunion par exemple, impose de ne pas traiter ses courriels – un exemple basique qui parlera à beaucoup. En ce sens, le multitâche est un trompe-l’œil, car il nous détourne non seulement de l’instant présent, mais il vient puiser de surcroît dans nos ressources attentionnelles…
Comme le souligne Tessa Melkonian, professeure à l’Ecole de Management de Lyon (2), « rester maître de son agenda est pourtant un enjeu et une responsabilité du leader qui souhaite rester exemplaire. (…) Le leader qui perd le contrôle sur son agenda se retrouve totalement à la merci des sollicitations extérieures. »
Ajoutons à cela le fait qu’une équipe aura tendance à calquer sa propre gestion du temps sur celle de son manager : sans réelle prise de distance, sans gestion quotidienne des vraies priorités, sans discernement dans l’usage des outils digitaux (répondre à un mail dans l’instant, alors qu’il s’agit d’un mode de communication asynchrone), etc., si tel est le cas.
Mais vouloir répondre dans l’instant, qu’est-ce que cela dit plutôt de soi ? Que voulons-nous montrer à soi et aux autres à agir de la sorte ? Qu’il n’y a pas de temps pour la germination ? Que nous sommes présents pour répondre à tout, quand tant de questions peuvent se résoudre sans l’intervention du manager ? Notre rapport au temps dit beaucoup de notre rapport à des choses essentielles.
Montrer l’exemple en la matière, c’est donc une discipline de tous les instants et un agenda partagé qui guide, structure, priorise. C’est une posture tout en nuance : de la disponibilité, certes, mais sans l’être de façon obsessionnelle ; de l’arbitrage, nous y reviendrons, afin de montrer ce qui est réellement important pour nous ; une démarche collective, quand nous en faisons un sujet partagé au sein de l’équipe ; un usage raisonné des outils digitaux. Etc.
Accepter de lâcher prise : ne pas avoir réponse à tout, tout de suite
Ne pas être dans l’attente immédiate de la réponse que l’on a besoin / envie d’entendre de la part de l’autre ; ne pas présager, présumer, mais simplement écouter. Mettre sa curiosité en mouvement, c’est prendre le temps dont l’autre, et nous-même, avons besoin. Tout, en effet, n’appelle pas de notre part une réponse évidente, immédiate.
Réciproquement, n’attendons pas des réponses sans délais en tant que manager, mais sachons laisser le temps à notre équipe. Ce juste temps de la germination est un luxe réel dont il faut se parer, si l’on veut décider avec justesse et laisser à nos collaborateurs ce même temps. Et parfois (souvent ?), tout peut se résoudre sans qu’il ne soit nécessaire d’y prendre part.
Soyons conscients que le concept de temps peut avoir plusieurs dimensions. Les Grecs anciens identifiaient trois temps différents : Chronos, le temps linéaire ou continu, Kairos, le temps du moment opportun, et Aiôn, le temps cyclique ou immanent. Dans le domaine du management, le Kairos devrait nous inspirer : est-il opportun de réagir maintenant ? Nos grands-mères ne disaient-elles pas : « Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. » Sagesse antique, sagesse populaire, sagesse managériale !
Oser suspendre le temps pour favoriser l’empowerment de son équipe
La question du temps nous ramène vers la notion de pouvoir d’agir : se (re)donner du pouvoir, en redonner aux autres, c’est ne surtout pas avoir des scénarios pour tout et pour tous, c’est travailler l’autonomie au sens où l’entendent Eric Berne et l’analyse transactionnelle : ne pas faire de suppositions, mais à l’inverse accueillir notre collaborateur sans présumer de ce qu’il va dire ; être simplement dans l’écoute et la curiosité de l’instant, l’ouverture ; ne pas l’assister, mais bien l’aider à retrouver du pouvoir, de l’autonomie, dans son cheminement vers une solution. Il s’agit bien d’adopter la posture de l’accompagnant, comme le décrit très bien le sociologue Tanguy Châtel dans un tout autre registre – celui de la fin de vie.
Comme l’a écrit si justement Théodore Roosevelt : « Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses, et qui sait aussi refreiner son envie de s’en mêler pendant qu’ils les font ».
L’art subtil de la délégation : gestion de la présence versus de l’absence
Il y a aussi cette croyance selon laquelle « nous n’avons jamais le temps de… », et qui se fonde notamment sur notre besoin « d’en être » : je DOIS absolument être présent à toutes les réunions. Eh bien non ! En fait, j’ai le POUVOIR d’arbitrer, le DEVOIR même en tant que manager, avec cette double question clé : à qui je délègue la responsabilité de nous représenter ? À quel moment dois-je à l’inverse être présent sans délégation possible ?
En effet, qu’est-ce que c’est qu’être partout ? Qu’est-ce que c’est qu’être présent pour son équipe ? Voici un exemple de ce que l’on devrait aimer s’entendre dire : « Toi, tu ne me colles pas les baskets, mais tu es là quand j’ai besoin de toi. Quand j’ai besoin de te joindre, tu réponds ou tu rappelles ». En somme, c’est être présent « dans l’esprit », ce qui n’est pas la coprésence au sens physique du terme : on peut se croiser tous les jours, sans nécessairement ressentir cette présence dans l’esprit.
In fine, les choses ont l’importance qu’on leur accorde : où ma présence est-elle, au fond, la plus essentielle ? De fait, plus on s’absente, et plus notre présence revêt un poids symbolique. Être dirigeant, ce n’est pas être partout, tout le temps, en s’intéressant au moindre sujet, au moindre détail. Cela se nomme « micro-management ». C’est inefficace, et, qui plus est, c’est éreintant ! Savoir gérer sa présence, c’est à l’inverse un marqueur de la confiance que l’on accorde aux autres.
Cette gestion alternative de notre absence – présence doit donc être savamment calculée. Et elle doit être implicite autant qu’explicite, lorsqu’il le faut : « Si je ne suis pas là, c’est que j’ai toute confiance en Y pour nous représenter » ; « je suis là aujourd’hui avec vous parce que c’est important, j’ai fait bouger mon agenda, je vous ai demandé aussi de décaler un peu la réunion et je vous en remercie. »
Je décide, donc je suis…
Il y a, enfin, cette autre croyance selon laquelle le manager se vit comme tel parce qu’il décide. Or, on peut privilégier l’idée selon laquelle il doit arbitrer en dernier ressort. Mathieu Detchessahar, professeur à l’Université de Nantes, l’exprime très justement lorsqu’il parle du principe de subsidiarité, qui renvoie « à la question de l’exercice de l’autorité » : cette dernière ne doit, si l’on suit ce principe, ne « s’exercer que pour pallier les insuffisances d’une autorité plus petite » (3).
Si cette autorité décide bien, voire décide mieux que nous dans nombre de situations, pourquoi vouloir s’en mêler ? Question d’ego, question de positionnement au sein d’une chaîne de valeur dont le manager ne serait que le maillon décisionnaire ? Il est sans doute rassurant de se croire indispensable, mais le sommes-nous vraiment ? Mieux gérer son temps, c’est aussi se résoudre à travailler son ego, ses croyances… et celles de nos équipes.
Concluons cet article par cette citation de Lao-Tseu : « Celui qui se conduit vraiment en chef ne prend pas part à l’action. » Mais il guide, il oriente, il encourage, bref, il accompagne.
Sources :
(1) : La Fin de la conversation, David Le Breton
(2) : Pourquoi un leader doit être exemplaire, Tessa Melkonian
(3) : Penser le travail pour repenser le management Réflexions à partir de l’enseignement social-chrétien, Mathieu Detchessahar
À lire également : Managers : comment bâtir des équipes inclusives dans un environnement de travail hybride

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