Une tribune écrite par Sarah Lorier, Content & Customer Training Manager
Jusqu’à présent, la transparence salariale n’était pas inscrite dans la législation française, et malgré des mesures comme l’index d’égalité professionnelle, les écarts salariaux persistent. Les femmes cadres gagnant en moyenne 6,9% de moins que les hommes (source APEC). La directive européenne vise à réduire cet écart en imposant une plus grande visibilité sur les rémunérations.
Une directive qui change la donne
Concrètement, avec cette directive, les entreprises devront désormais indiquer une fourchette salariale pour chaque offre d’emploi ou lors du premier entretien. Elles devront mettre à disposition des salariés les critères d’évolution salariale ainsi que la rémunération moyenne sur chaque catégorie de poste. La directive rappelle également qu’il n’est plus possible d’interroger un candidat sur ses rémunérations passées. En bref, le salaire ne doit plus être un sujet lors des recrutements, et encore moins un levier de négociation.
Les structures de plus de 250 salariés devront publier chaque année leurs écarts de rémunération, tandis que celles de 100 à 249 salariés le feront tous les trois ans. Si un écart de rémunération injustifié supérieur à 5% est constaté, l’entreprise devra mener une évaluation conjointe avec les représentants du personnel et le corriger rapidement. Cette réforme place l’égalité salariale au centre des pratiques RH et pousse les ESN à repenser leurs politiques salariales, entraînant de profondes mutations internes.
Un choc pour le modèle économique des ESN
Le modèle économique des ESN repose historiquement sur un Tarif Journalier Moyen (TJM) négocié de manière individuelle et parfois opaque, tant pour les consultants que pour les clients. Avec l’arrivée de cette directive, cette mécanique est directement remise en question.
Pour corriger les écarts de rémunération, certaines ESN devront augmenter les salaires, mais ne pourront pas forcément ajuster leurs TJM, afin de rester compétitives dans un secteur très concurrentiel. Cela signifie mécaniquement une réduction des marges, un élément clé de leur rentabilité. D’autres pourraient, à l’inverse, décider de geler certaines augmentations pour lisser les ajustements, au risque de générer des tensions internes ou des départs.
Par ailleurs, la directive impose une refonte des processus RH : catégoriser précisément les postes, définir des critères d’évolution clairs et justifier chaque différence de salaire. Ces chantiers nécessitent des investissements en temps, en outils d’analyse et en accompagnement au changement. Autant de contraintes qui pèseront sur la structure financière des ESN, les obligeant à repenser en profondeur leur équilibre économique.
Une opportunité stratégique pour l’attractivité et la marque employeur
Si la directive impose une mise en conformité rigoureuse, elle offre aussi l’occasion de renforcer durablement l’image et l’attractivité des ESN. En adoptant une politique salariale transparente, les entreprises peuvent instaurer un climat de confiance et réduire le turnover, souvent lié aux négociations salariales. Une communication claire sur les salaires et les marges contribue à éviter les tensions internes, à renforcer la cohésion des équipes et à fidéliser les collaborateurs.
Sur le plan du recrutement, cette transparence est un atout majeur : aujourd’hui, près d’un candidat sur cinq[1] quitte un processus à l’étape de la négociation salariale. Rendre visible la rémunération dès l’annonce permet de mieux qualifier les candidatures et d’accélérer les processus de recrutement.
Certaines ESN ont déjà entamé cette transformation, en proposant des simulateurs de rémunération depuis leur page employeur, ou des systèmes de marges fixes redistribuées. Ces initiatives pourraient devenir demain la norme, offrant un avantage compétitif aux entreprises qui auront anticipé cette évolution.
Rendre la Tech (de nouveau) inclusive
Cette évolution peut également contribuer à une plus grande mixité alors que les femmes ne sont que 24%[2] à travailler dans la Tech en France, l’affichage d’une égalité salariale réelle est un signal fort pour attirer davantage de talents féminins.
En lisant les travaux d’Isabelle Collet[3] (Professeure en sciences de l’éducation), on constate que les tout débuts de la Tech dans les années 50 étaient bien plus inclusifs qu’aujourd’hui : d’un côté, la branche hardware, plutôt masculine, et de l’autre, la branche software, plus féminine, qui impliquait pour coder, de la rigueur et une frappe rapide. C’est dans les années 70-80 que le secteur explose, les salaires augmentent et les femmes sont progressivement exclues des fonctions techniques. Mais une Tech inclusive, c’est aussi une Tech plus innovante et compétitive : les équipes mixtes sont plus efficaces, plus créatives et réduisent les biais.
Cette directive ne résout pas à elle seule les enjeux d’inclusivité, mais elle est un levier parmi d’autres pour y répondre. En définitive, la directive marque un tournant pour les ESN françaises en imposant une révision de leur modèle économique et de leurs pratiques RH, mais ouvre aussi la voie à une culture d’entreprise plus équitable, plus attractive et plus en phase avec les attentes des nouvelles générations. Les ESN qui sauront saisir cette opportunité transformeront une contrainte réglementaire en un véritable avantage stratégique sur le marché du numérique européen.
Sources :
[1] Baromètre Recrutement BoondManager
[2] Les femmes dans la tech en 2025 : état des lieux en 6 chiffres
[3] Université de Genève – Genre – Rapports intersectionnels, Relation éducative.
À lire également : Transparence salariale : l’ère du bricolage est-elle (enfin) en phase terminale ?

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