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Quand les meilleures idées de votre équipe restent dans l’ombre

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Illustration du leadership. Getty Images

En tant que dirigeants, nous cherchons constamment des moyens d’optimiser les performances de l’équipe, de stimuler l’innovation et de favoriser un environnement où chaque voix compte. Pourtant, de nombreuses organisations passent à côté d’un avantage concurrentiel majeur : ces collaborateurs discrets qui n’osent pas toujours s’exprimer ou partager leurs idées.

 

Pour libérer ce potentiel inexploité, il est urgent de repenser en profondeur notre conception d’un environnement de travail réellement inclusif, fondé sur la sécurité psychologique et la neuroinclusion.

Les travaux de Pasha Marlowe, spécialiste de la neuroinclusion et autrice de Creating Cultures of Neuroinclusion, rappellent une réalité fondamentale : libérer tout le potentiel humain en entreprise ne se résume pas à inciter à la participation. Il s’agit de repenser en profondeur nos modes de fonctionnement pour permettre aux collaborateurs neurodivergents et plus discrets de contribuer pleinement, sans avoir à se dissimuler ou à se conformer à des normes préétablies.


 

La richesse insoupçonnée : révéler le plein potentiel des idées silencieuses

Pasha Marlowe rappelle une vérité essentielle à tout leader soucieux d’inclusion : « Chacun autour de nous porte des idées, des ressentis et des perspectives qui, s’ils étaient exprimés, pourraient nous faire progresser. Pourtant, la majorité d’entre eux restent tus. »

Alors, quelle richesse précieuse passe-t-on sous silence ? Mme Marlowe identifie quatre domaines clés où les dirigeants ignorent souvent des sources majeures de perspicacité et d’innovation :

  1. Les obstacles invisibles : nombreux sont les collaborateurs qui taisent leurs véritables difficultés. Sans un climat de sécurité psychologique, ils ne diront jamais ce qui freine leur engagement ou leur performance.
  2. Les motivations silencieuses : bien souvent, nous interprétons les comportements sans en comprendre les racines profondes : croyances, expériences de vie, besoins spécifiques. Il ne s’agit pas d’un simple malentendu – où un message serait mal compris – mais d’une incompréhension totale : le message n’a jamais été formulé. Par exemple, un manager peut voir une caméra éteinte sur Zoom et conclure à un manque d’implication. En réalité, l’employé est neurodivergent et submergé par une surcharge sensorielle. Personne n’a posé la question. La vérité est restée invisible.
  3. Un feedback non exprimé : beaucoup d’employés préfèrent taire leurs observations sur les processus internes, les relations d’équipe ou la qualité du leadership. Ils ne se sentent tout simplement pas en sécurité pour dire ce qu’ils pensent vraiment.
  4. Les idées restées sous silence : certaines des propositions les plus audacieuses ou innovantes ne voient jamais le jour. Pourquoi ? Parce que ceux qui les portent craignent le rejet, la moquerie ou l’incompréhension. Résultat : un potentiel créatif reste inexploité.

« En combinant ces quatre éléments, on découvre une véritable mine d’or : un trésor de connaissances dont la plupart des entreprises ignorent l’existence. Si elles savaient l’exploiter, imaginez l’innovation, la productivité et la motivation qu’elles pourraient libérer », souligne Pasha Marlowe.

 

Le pouvoir insidieux de la peur au travail

Si cette mine d’or existe, pourquoi tant d’employés restent-ils silencieux ? Parce que la peur les paralyse — peur d’être jugés, punis, incompris ou simplement ignorés. Mme Marlowe souligne que lorsque la peur s’installe, la capacité à s’exprimer s’éteint presque instantanément. Même les plus volontaires peuvent se retrouver physiquement incapables de prendre la parole. Cette peur se nourrit particulièrement dans des environnements qui valorisent la perfection, la rapidité et le conformisme, au détriment de la curiosité, de la réflexion et du questionnement authentique.

 

Au-delà de l’adaptation : une approche proactive de la neuroinclusion

Le leadership inclusif moderne ne consiste plus à attendre qu’un collaborateur demande un aménagement. Il part du principe que chacun a des besoins uniques en matière de soutien, d’accès et de sens, et conçoit l’environnement de travail en conséquence.

« Neuro ne désigne pas seulement le cerveau, mais l’ensemble du système nerveux », rappelle Mme Marlowe. « Nous sommes tous neurodivers. Être neurodivergent n’est pas un diagnostic, c’est une identité. »

Plutôt que d’attendre que les différences soient révélées, les leaders inclusifs intègrent dès aujourd’hui flexibilité et clarté dans leurs pratiques quotidiennes pour permettre à chacun de s’épanouir pleinement — c’est là toute la force de la neuroinclusion.

Et les résultats sont probants : selon des études de la Harvard Business Review et Deloitte, les talents neurodivergents renforcent la résolution de problèmes, stimulent l’innovation et augmentent la productivité. Bien plus que des atouts secondaires, ils sont de véritables leviers stratégiques pour les entreprises.

 

Repenser le rôle du dirigeant

La bonne nouvelle ? Il n’est pas nécessaire de connaître en détail chaque type de fonctionnement neurologique. En réalité, tenter de « réparer » les individus participe au problème. Le vrai rôle du dirigeant est de créer un environnement où chacun peut s’exprimer pleinement et en toute sécurité.

« Lorsqu’un leader partage ses propres besoins en matière d’accès, ou s’enquiert simplement de ceux des autres, il fait preuve de vulnérabilité », souligne Pasha Marlowe. « C’est cette ouverture qui instaure un climat de confiance et renforce la sécurité psychologique. »

Appuyée par les travaux d’Amy Edmondson et le projet Aristote de Google, la sécurité psychologique demeure le facteur clé des équipes performantes.

 

RESPECT : un guide concret pour favoriser la neuroinclusion

Pour concrétiser un véritable soutien, Pasha Marlowe a mis au point RESPECT, un outil pratique qui aide à comprendre comment chaque personne travaille au mieux, sans qu’elle ait besoin de révéler un diagnostic ou un handicap.

  • R – Reconnaissance: comment préfèrent-ils recevoir feedback et reconnaissance ?
  • E – Environnement: quelles conditions sensorielles ou physiques favorisent leur épanouissement ?
  • S – Soutien: quels dispositifs ou outils facilitent leur réussite ?
  • P – Productivité: quels rythmes, outils ou habitudes maximisent leur efficacité ?
  • E – Énergie: à quels moments sont-ils les plus dynamiques, et qu’est-ce qui les fatigue ?
  • C – Communication: quels modes (écrit, visuel, oral) fonctionnent le mieux pour eux ?
  • T – Temps: comment perçoivent-ils et gèrent-ils le temps : de manière linéaire ou plus flexible ?

Plutôt que de s’en remettre à l’intuition, les dirigeants disposent avec cette grille d’un cadre pour instaurer une compréhension claire et offrir un accompagnement adapté à chacun.

 

Concevoir des réunions et journées de travail neuroinclusives

La neuroinclusion repose sur une approche stratégique et concrète. Voici quelques actions immédiates que les dirigeants peuvent mettre en place :

  • Adopter un langage inclusif: évitez les expressions qui se réfèrent à des systèmes et non à des individus. Un vocabulaire respectueux et précis instaure la confiance.
  • Clarifier les réunions: Communiquez systématiquement les ordres du jour et les objectifs à l’avance. L’ambiguïté génère du stress, surtout chez les personnes neurodivergentes.
  • Autoriser la flexibilité sur l’utilisation des caméras: Exiger que tout le monde ait sa caméra allumée peut mettre certains employés mal à l’aise ou les exclure. Il est important de discuter ensemble pour définir des règles adaptées à tous.
  • Accepter le mouvement: les gestes d’agitation ne sont pas des distractions, mais une manière pour certains de se réguler ; il faut leur en laisser la possibilité.
  • Respecter le temps: démarrez et terminez les réunions ponctuellement. Prévoyez des « sorties anticipées » claires pour ceux qui doivent partir plus tôt.
  • Structurer la prise de parole: ttilisez des outils comme les émojis « main levée » ou des tours de parole pour garantir que les voix les plus discrètes soient entendues. Une organisation rigoureuse favorise la liberté d’expression.
  • Prévoir des synthèses: tout le monde ne retient pas les mêmes informations. Envoyez des résumés, des transcriptions et des suivis pour faciliter la compréhension et la mémorisation.

 

Ce qui forge et fragilise la confiance

Les normes collectives comptent, mais la confiance se construit surtout dans les échanges en tête-à-tête.

Les managers doivent savoir poser les bonnes questions :

« De quel accompagnement avez-vous besoin ? »

« Qu’est-ce qui vous aide à vous sentir soutenu ? »

Ce n’est pas une intrusion dans la vie privée, c’est un acte de leadership. Il ne s’agit pas de demander un diagnostic, mais d’inviter à la transparence.

Attention toutefois aux microagressions, ces remarques apparemment anodines comme « Ne sommes-nous pas tous un peu TDAH ? » ou « Ils sont juste différents » qui, en réalité, dénient l’identité et l’expérience de chacun.

Ces petites offenses sapent la confiance, nourrissent le stress, favorisent le désengagement et provoquent des départs. Une équipe performante ne peut exister sans une culture de confiance solide. Dès que les individus se sentent exclus, des barrières se dressent, la confiance s’effrite, et le désengagement s’installe.

 

Diriger pour un avenir neuro-inclusif

Ce n’est pas une question de mode ou de politiquement correct, mais de tirer le meilleur de vos collaborateurs. La science est formelle : les équipes qui se sentent en sécurité sont plus performantes.

Le leadership de demain est neuro-inclusif. Il est curieux, proactif, et part du principe que chaque employé possède une valeur unique. C’est au dirigeant de créer les conditions favorables à l’épanouissement de cette richesse.

Par où commencer ? Commencez par écouter, sans imposer de solutions ni de réponses toutes faites. Il suffit d’avoir le courage de rendre visible ce qui est invisible, et de libérer ainsi un potentiel souvent sous-estimé, juste devant nos yeux.

 

Une contribution de Alain Hunkins pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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