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Quand la créativité est le modèle économique, l’avenir est tout tracé

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Source : Getty Images

Comment une entreprise peut-elle rester pertinente pendant près de 150 ans, à travers les générations, les cycles économiques et des révolutions technologiques ?

 

Prenez n’importe quelle entreprise qui existe depuis des décennies, et vous constaterez que derrière sa longévité se cache sa capacité à insuffler un sentiment d’utilité et de sens à ses employés et aux personnes qu’ils servent.

Crayola illustre parfaitement cette voie vers la longévité grâce à un objectif qui, dans le cas de cette entreprise, remonte à une idée d’une simplicité trompeuse : la créativité est importante.


Pour comprendre à quel point un sentiment clairement défini et partagé peut être puissant, il suffit d’observer comment une entreprise traverse une tempête, telle que celle provoquée par la pandémie de covid-19.

Alors que de nombreuses entreprises se sont empressées de redéfinir leur raison d’être en 2020, les lumières de l’entrepôt Crayola à Easton, en Pennsylvanie, brillaient comme jamais.

Des palettes de crayons de couleur, des millions d’entre eux soigneusement rangés dans leurs teintes arc-en-ciel, se déplaçaient sur les chaînes de montage comme si le monde extérieur n’avait pas complètement cessé de tourner.

Lorsque le monde a été bouleversé par une pandémie sans précédent, les outils de coloriage de Crayola ont pris une nouvelle importance pour leurs clients, offrant un sentiment de normalité aux familles qui se sont soudainement retrouvées confinées et cherchaient des moyens d’occuper leurs enfants.

Ce qui permet aux entreprises de traverser les décennies, voire les siècles, et de surmonter les catastrophes, c’est le sentiment d’avoir une mission qui en vaut la peine. Pour Petter Ruggiero, PDG, et son équipe, il s’agissait de veiller à ce que l’imagination et la créativité continuent de fonctionner même en pleine pandémie, ce qui impliquait de rejoindre la chaîne de montage avec d’autres cadres.

« On ne peut pas voir les goulots d’étranglement depuis son bureau », a-t-il expliqué lors d’une interview. « Il faut ressentir le rythme du lieu pour vraiment savoir comment réparer ce qui ne fonctionne pas, et il n’y a pas d’autre solution que de mettre la main à la pâte et de faire le même travail que celui que l’on demande aux autres », note Petter Ruggiero.

Pour Crayola, une crise mondiale a déclenché une mobilisation générale dans les usines plutôt qu’une retraite des dirigeants pour réfléchir à la manière de maintenir l’engagement des employés. Cette réaction a été rendue possible par un sentiment d’unité autour d’un objectif commun, avec la créativité au cœur de celui-ci.

 

Soutenir la créativité est un modèle commercial puissant

L’histoire de Crayola remonte à 1885, lorsque les cousins Edwin Binney et C. Harold Smith ont fondé une société initialement connue sous le nom de Binney & Smith.

Au départ, ils se concentraient sur la production de pigments innovants et non toxiques et de craies sans poussière, qui ont révolutionné les salles de classe à l’époque. En 1903, ils ont lancé le premier paquet de huit crayons de cire, marquant un tournant décisif vers les fournitures artistiques pour enfants. Finalement, les crayons de cire étant devenus le produit phare de leur marque, Binney & Smith a changé de nom pour devenir Crayola, un nom désormais synonyme d’exploration créative et de nostalgie.

Pour Crayola, les crayons et les marqueurs ne représentent toutefois que les produits de l’entreprise. Au fond, celle-ci a toujours eu pour objectif de favoriser l’expression créative, une mission importante pour toute entreprise.

Cette importance accordée à la créativité en tant que valeur fondamentale trouve un écho chez Susan Leger Ferraro, autrice de SuperLoop et dont la carrière dans des entreprises axées sur la jeunesse et la réforme de l’éducation préscolaire l’a longtemps amené à défendre le développement de ce qu’elle appelle les « compétences intelligentes », à savoir la curiosité, l’expression et la résilience.

« Nous appelons “compétences non techniques” des qualités telles que l’empathie, l’écoute et la créativité », explique-t-elle, « mais ce sont les compétences les plus difficiles à acquérir. Si nous les pratiquions davantage, nous formerions non seulement de meilleurs enfants, mais aussi de meilleurs leaders. »

Susan Leger Ferraro, qui a créé plusieurs entreprises multimillionnaires dans le domaine de l’éducation préscolaire et du bien-être, estime que l’enseignement de la créativité est indissociable de l’enseignement de l’humanité. « Apprendre à nos enfants à embrasser la créativité n’est pas un simple complément », ajoute-t-elle. « Dans le monde d’aujourd’hui, la maîtrise de ces compétences est essentielle. »

Selon elle, les entreprises comme Crayola ont tout à gagner à s’associer à une mission aussi clairement définie. « Nous prenons enfin conscience de l’importance de l’éducation précoce, et les entreprises qui aident nos enfants à acquérir des compétences non techniques font quelque chose d’incroyablement important : elles contribuent à développer des mentalités à l’épreuve du temps. »

En outre, aider les enfants à exploiter leur imagination est un investissement neurologique important.

C’est également le point de vue du Dr Kyra Bobinet, médecin formée à Harvard et experte en changement de comportement, qui a passé des décennies à étudier comment notre cerveau développe sa résilience grâce à la créativité et à l’action autonome.

« L’obstacle universel est l’habenula », explique Kyra Bobinet. « C’est la partie du cerveau qui enregistre les échecs et nous dit de ne pas réessayer. Lorsque les enfants ont l’impression de ne pas réussir, ils abandonnent. C’est neurobiologique. »

Selon Kyra Bobinet, la créativité offre un moyen de modifier cette réponse. « La répétition, le fait d’essayer à nouveau de manière modeste et sans risque, est la clé pour développer un cerveau inébranlable. La créativité et les outils qui la favorisent chez les enfants leur donnent une raison d’essayer à nouveau. »

Elle met en garde contre le fait qu’une grande partie de l’instruction et de l’éducation parentale actuelles sont devenues performatives. « Nous récompensons les résultats plutôt que les processus, les cases cochées plutôt que la curiosité. Mais si vous apprenez à un enfant à expérimenter, à créer, vous lui apprenez aussi à se remettre d’un échec. C’est une formation au leadership pour la vie. »

La conclusion est simple, mais profonde : lorsque votre entreprise est fondée sur un besoin humain intemporel, comme la créativité, vous n’avez pas besoin de courir après l’avenir. Vous êtes en train de le construire.

 

La créativité est la stratégie même

Avec près de 150 ans d’histoire derrière elle, on pourrait penser que la vision de Crayola est toute tracée.

Cependant, Petter Ruggiero voit les choses différemment. Il souhaite développer la marque, aller au-delà des crayons de couleur et explorer de nouveaux horizons, des applications aux expériences de divertissement.

Outre l’élargissement de la gamme de produits, Petter Ruggiero envisage une transformation numérique. Il a fait appel à des consultants pour l’aider à mettre au point des modèles d’apprentissage automatique capables de prévoir la demande pour de nouvelles gammes de produits jusqu’à 18 mois à l’avance. L’objectif est simplement de rester en tête d’un marché de détail qui évolue chaque année plus rapidement. « Si l’IA peut nous aider à planifier nos stocks et à réduire le gaspillage », explique-t-il, « c’est bon pour l’entreprise, bon pour la planète et bon pour nos clients ».

« Nous pouvons faire tellement plus. Nous avons la confiance des parents et des enseignants du monde entier, alors pourquoi ne pas en tirer parti pour aider encore plus d’enfants à exploiter leur créativité », note Petter Ruggiero.

Petter Ruggiero considère l’engagement de l’entreprise envers sa mission comme faisant partie intégrante de la boussole morale de Crayola : « La marque est synonyme de quelque chose de sain. Nous ne pouvons pas trahir cela. »

Cependant, une question demeure : comment diriger une marque forte de plus d’un siècle et demi d’histoire pour réussir à l’ère des données, de l’automatisation et de la concurrence mondiale ?

Petter Ruggiero pense que la réponse réside dans la créativité que l’entreprise a toujours défendue. « Si vous n’êtes pas curieux, si vous n’êtes pas prêt à expérimenter, vous cessez de grandir », dit-il. « Pour nous, la créativité est une stratégie. »

Susan Leger Ferraro, qui aide depuis des décennies les entreprises à concevoir des cultures durables, partage cette conviction que la créativité n’est pas seulement une caractéristique du produit, mais un principe organisationnel. « Si les gens comprenaient ce qu’est réellement la créativité, davantage d’entreprises miseraient sur elle et nous en serions tous mieux lotis », affirme-t-elle. « La capacité à réimaginer la raison d’être des limites, en plus de colorier à l’intérieur et à l’extérieur de celles-ci, est une compétence de leadership. »

Susan Leger Ferraro, qui a travaillé dans les domaines de l’éducation préscolaire, des entreprises internationales et du développement du leadership, affirme que cette attention portée à un élément fondamental de l’être humain, la créativité, est l’un des rares facteurs qui peuvent permettre à une entreprise de perdurer pendant plus de 150 ans. « Les marques historiques perdurent parce qu’elles répondent à un besoin profondément ancré. Dans le cas de Crayola, c’est la créativité qui a rendu cela possible. »

« J’aime dire que nous continuons à colorier en dehors des lignes », remarque Petter Ruggiero avec un sourire. « C’est ainsi que nous perpétuons cet héritage. »

 

Une contribution d’Alexander Puutio pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


À lire également : Comment les dirigeants peuvent encourager la créativité au travail, selon une chercheuse de Yale

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