Les communiqués de presse sur l’IA générative dans les entreprises répètent comme un mantra qu’elle « libérera les employés pour qu’ils puissent se consacrer à des tâches plus créatives ».
Satya Nadella, PDG de Microsoft, a déclaré que « l’IA se chargera des tâches fastidieuses, nous libérant ainsi pour les tâches créatives dans lesquelles les humains excellent ». Néanmoins, Microsoft a également annoncé en mai la suppression de 6 000 emplois, en partie en raison de l’automatisation par l’IA.
Andy Jassy, PDG d’Amazon, a déclaré que « les agents nous permettront de démarrer presque tout à partir d’un point de départ plus avancé […], de moins nous concentrer sur le travail répétitif et de nous concentrer davantage sur la réflexion stratégique pour améliorer l’expérience client et en inventer de nouvelles ». Amazon a annoncé 27 000 licenciements depuis 2022, dont certains ont été explicitement justifiés par les gains d’efficacité liés à l’IA. D’autres entreprises technologiques, telles que Meta et Duolingo, ont suivi le même schéma.
Que se passe-t-il ? S’agit-il simplement d’un décalage entre les relations publiques et l’impératif d’efficacité ? Existe-t-il des preuves que les emplois sont repensés pour inclure davantage de contenu créatif, ou assistons-nous à un simple remplacement des humains par l’IA ? Peut-être n’est-ce ni l’un ni l’autre. Les messages contradictoires sont naturels alors que les dirigeants naviguent dans le brouillard de la transition vers une technologie radicalement nouvelle.
L’IA a certainement le potentiel de libérer les employés afin qu’ils puissent consacrer plus de temps à des tâches créatives. Elle peut créer du temps libre pour l’apprentissage, l’innovation ou la réflexion approfondie sur une conception. Elle peut également être utilisée pour créer des emplois avec des responsabilités plus larges ou un environnement de travail plus riche. Cependant, si tel est le cas, cela n’est pas discuté.
C’est dommage. Les entreprises pourraient passer à côté d’une opportunité qui va au-delà de l’automatisation des tâches pour repenser la conception du travail et de la technologie. Elles pourraient manquer l’occasion de tirer pleinement parti des capacités croissantes de l’IA générative. Une focalisation excessive sur l’efficacité peut détourner l’attention d’autres indicateurs importants, tels que la satisfaction des clients et l’engagement des employés.
L’ironie est qu’une mentalité axée sur l’efficacité pourrait ne pas maximiser l’efficacité, du moins à long terme. Dans une interview, Patricia Sachs, anthropologue du travail, explique que « l’automatisation mécanise la façon dont les choses sont censées se passer. Mais elles ne se passent presque jamais comme prévu ». La raison en est que dans le monde réel, une grande partie du travail est invisible et implique des solutions de contournement, des improvisations et des réseaux sociaux. Comme l’a fait remarquer Patricia Sachs, « rien de tout cela n’apparaît dans le diagramme des flux de travail ou l’organigramme ».
C’était le cas chez Klarna, un leader dans le déploiement de l’IA générative. L’entreprise a déclaré que l’IA traitait environ deux tiers des chats du service client, ce qui équivaut au travail de plus de 700 agents. Ses premiers résultats ont en outre montré une baisse des délais de résolution et une réduction des demandes répétées, tout en maintenant la satisfaction des clients.
Cependant, Klarna a recommencé à recruter des agents humains, reconnaissant que l’automatisation avait entraîné une baisse de la qualité du service, de la satisfaction des clients et de la confiance. Le PDG Sebastian Siemiatkowski a reconnu que « le coût semble malheureusement avoir été un facteur d’évaluation trop prédominant » dans l’initiative d’IA, ce qui a entraîné une baisse de la qualité, du moral et de la confiance. L’entreprise recrute désormais des agents humains et cherche à trouver un mélange plus productif entre l’efficacité de l’IA et l’empathie humaine.
D’autres parviennent à des conclusions similaires. Ravin Jesuthasan, associé principal chez Mercer, cite les enseignements qu’il a tirés d’une étude de cas à grande échelle sur la mise en œuvre de l’IA dans une société de services financiers. Les résultats étaient impressionnants, avec notamment une réduction de 50 % de la charge de travail du personnel actuel et une baisse de 18 % du taux de rotation des employés. Dans l’article Want AI-Driven Productivity? Redesign Work (Vous voulez une productivité axée sur l’IA ? Repensez le travail), il affirme que la clé d’un succès durable de l’IA est de commencer par le travail, et non par la technologie.
Ces premières expériences soulignent l’importance de se concentrer sur le travail complexe, humain et en constante évolution qui est au cœur de toute bonne application de l’IA. En commençant par la technologie, on risque de passer à côté d’éléments importants qui peuvent nuire aux avantages financiers.
Que doivent donc faire les dirigeants ?
- Posez des questions qui garantissent que les développeurs d’IA commencent par le travail, et non par la technologie. Patricia Sachs suggère de revenir aux principes de conception du travail qui remontent au mouvement des systèmes sociotechniques : définir l’ensemble des tâches, donner de l’autonomie aux travailleurs, impliquer les utilisateurs dans la conception du travail.
- Insistez pour que la technologie d’accompagnement soit conçue pour aider la personne qui effectue le travail, et non l’inverse. Posez des questions sur le travail qui sera effectué, et pas seulement sur la technologie ou les projections en matière d’efficacité.
- Allez lentement pour aller vite. Passer à grande échelle sans bien comprendre les effets du système peut entraîner des problèmes difficiles à résoudre.
Le succès dépend davantage d’un état d’esprit et d’une approche holistique que de la technologie. Dépasser une vision étroite axée sur l’efficacité permettra d’obtenir une technologie plus durable et plus conviviale, ainsi que des lieux de travail plus productifs.
Une contribution de Jim Euchner pour Forbes US, traduite par Flora Lucas
À lire également : Les quatre étapes de la transition à l’ère de l’IA

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits