Une tribune écrite par Sophie Pupier, fondatrice de SOFIA-RH
Le concept d’identité plonge ses racines dans la philosophie et la psychologie. D’un point de vue philosophique, il désigne ce qui rend un individu unique et permanent dans le temps. Au fil des siècles, cette notion s’est enrichie, passant d’une définition abstraite de l’« être » à une reconnaissance sociale de la singularité. Avec l’essor des mouvements de reconnaissance et d’inclusion, l’identité est devenue un pilier central des débats contemporains. Elle dépasse désormais le simple « qui je suis » pour embrasser des dimensions multiples : origine, culture, genre, parcours, convictions. En entreprise, cette place croissante accordée à l’identité traduit une volonté d’accueillir la diversité et d’assurer un climat d’égalité, mais elle amène aussi un paradoxe : reconnaître l’identité d’un individu ne signifie pas forcément reconnaître ce qu’il accomplit. Or, cette confusion entre « être » et « faire » peut fragiliser les fondements mêmes de la reconnaissance professionnelle.
À l’opposé, l’effort et le mérite relèvent d’une logique d’accomplissement et de construction. L’effort, dans son essence, renvoie à la capacité humaine à dépasser ses limites, à progresser par l’apprentissage et la persévérance. Depuis l’Antiquité, il est associé à l’idée de vertu, comme chez Aristote, qui liait l’éthique à l’action et au développement des potentialités. Le mérite, lui, en découle : il incarne la juste reconnaissance du travail fourni, du talent exercé et des résultats obtenus. Dans les sociétés modernes, il est devenu l’un des fondements du contrat social et de la mobilité : chacun peut, en principe, prétendre à l’ascension grâce à ses efforts. En entreprise, valoriser le mérite revient donc à encourager la performance, mais aussi la justice : reconnaître équitablement ce que chacun apporte, au-delà de son identité, permet de motiver, fidéliser et renforcer la confiance dans l’organisation.
Le monde militaire illustre de manière exemplaire la primauté du mérite sur l’identité. Dans les armées, les grades et les responsabilités ne s’obtiennent pas en fonction de ce que l’on est, de ses origines sociales ou de ses appartenances, mais bien en fonction de ce que l’on accomplit. Chaque soldat est évalué à travers son engagement, sa discipline, sa capacité à supporter l’effort et à prendre des décisions dans des conditions parfois extrêmes. Le mérite s’y mesure de façon tangible : endurance physique, maîtrise technique, leadership, sens du collectif. Cette logique forge une hiérarchie où l’autorité ne découle pas d’un statut attribué a priori, mais d’une légitimité construite au fil des épreuves et des réussites.
Si l’identité et le mérite ne s’opposent pas par nature, leur déséquilibre croissant soulève des inquiétudes. L’entreprise semble de plus en plus valoriser « ce que l’on est » au détriment de « ce que l’on fait ». La vigilance est de mise car cette bascule comporte un double risque. D’un côté, réduire la reconnaissance à la seule identité favorise une logique de droits sans contrepartie, où la légitimité repose sur l’appartenance et non sur la contribution. De l’autre, cela déstabilise le principe même de justice organisationnelle. Si les efforts et les résultats ne sont plus la base de l’évaluation, comment garantir la motivation, l’équité et la confiance entre collaborateurs ? Ce phénomène, déjà observable dans certains environnements de travail, fragilise le pacte social qui repose sur l’idée que chacun peut évoluer par son travail et être reconnu pour ce qu’il apporte. À terme, c’est toute la cohésion collective qui se trouve menacée : une société qui valorise davantage l’identité que le mérite risque d’encourager le ressentiment, de creuser les divisions et de perdre l’un des moteurs essentiels du progrès humain, la capacité à se construire, à apprendre et à s’élever par l’effort.
Au cœur de cette réflexion se trouve la question cruciale du choix des collaborateurs. Recruter ne consiste pas uniquement à évaluer des compétences techniques ou à valider une identité, mais bien à discerner des valeurs. Une entreprise qui souhaite bâtir une culture solide et durable a tout à gagner à privilégier des profils animés par la volonté d’agir, de progresser et de contribuer au collectif. Les valeurs de l’effort constituent un socle invisible, mais fondamental : elles garantissent que, face aux défis, le collaborateur saura s’investir et mettre ses talents au service du projet commun. À l’inverse, un recrutement centré uniquement sur l’identité entraîne inévitablement le risque d’affaiblir la cohésion et la dynamique de performance. En adoptant une approche plus méritocratique, les entreprises peuvent réaffirmer un principe fondamental : c’est par l’effort, l’exemplarité et la volonté de se dépasser que se construit une reconnaissance authentique, capable de motiver durablement et de souder les équipes. En cela, rien de mieux que l’école militaire.
Face à la tendance actuelle qui privilégie de plus en plus la valorisation de l’identité au détriment de la reconnaissance du mérite, la vigilance est de mise pour les entreprises qui doivent veiller à ne pas rompre l’équilibre fragile entre singularité et contribution. Si l’identité a toute sa place dans la reconnaissance de la diversité, elle ne peut remplacer la valeur de l’action. Une organisation qui aspire à durer et à prospérer doit être en mesure de détecter, chez ses futurs collaborateurs, ces qualités essentielles : l’importance de l’effort, la volonté de se dépasser et la capacité à transformer ses compétences en résultats concrets. Car en fin de compte, c’est bien sur la reconnaissance du travail accompli, alliée à une juste considération de la personne, que repose la confiance mutuelle, et donc le succès collectif.
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