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L’échec des entreprises à retenir les talents en IA et les stratégies de leadership pour y remédier

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Concept d'intelligence artificielle. Getty Images

Trouver des talents en intelligence artificielle devient de plus en plus difficile, un défi majeur pour les conseils d’administration à travers le monde, alors que l’IA continue de se développer à un rythme effréné.

 

Malgré des offres d’emploi nombreuses, des salaires attractifs et des outils de pointe, les ingénieurs en apprentissage automatique et les scientifiques des données semblent se détourner de ces opportunités, voire ne jamais postuler. Et si cette situation n’était pas simplement une crise de recrutement ? Et si le véritable problème résidait dans un manque de leadership ?

Alors que l’attention s’est longtemps concentrée sur les salaires et les pénuries de compétences, certains experts soulignent qu’il ne s’agit pas uniquement de la difficulté à embaucher ces professionnels, mais aussi de leur facilité à partir. Selon eux, ce n’est pas l’absence d’engagement des travailleurs en IA qui pose problème, mais plutôt un environnement de travail mal adapté à la manière dont l’innovation en IA doit évoluer.


« L’expertise rare des professionnels de l’IA leur donne un pouvoir de négociation inédit sur le marché actuel », souligne Erika Glenn, cadre supérieure et conseillère d’entreprise. « Ils peuvent exiger une rémunération élevée tout en bénéficiant de la flexibilité de leur lieu de travail. Cependant, de nombreuses entreprises maintiennent des politiques rigides, sous une direction qui ne comprend pas toujours les spécificités de la culture de l’intelligence artificielle, ce qui pousse les experts à quitter ces environnements. »

Aujourd’hui, dans une grande partie du secteur, les talents en IA ne recherchent ni tables de ping-pong ni titres prestigieux. Ce qu’ils veulent, c’est du sens, de l’autonomie et une mission visionnaire. Lorsqu’ils ne trouvent pas cela, ils choisissent souvent de partir, soit pour créer leur propre entreprise, soit pour rejoindre des structures plus petites, dont la culture est plus flexible et adaptée.

 

Le coût des négligences en matière de leadership

Selon Michelle Machado, consultante en neurosciences appliquées à la gestion du changement et éducatrice internationale, le problème réside principalement dans des mentalités héritées du passé. « Trop de dirigeants continuent de fonctionner avec des logiques du 20e siècle tout en cherchant à être compétitifs dans la course à l’IA du 21e siècle », m’a-t-elle expliqué lors d’une interview. « C’est comme si l’on voyait les entreprises des années 2000 débattre encore de l’importance d’un site web. »

Mme Machado a souligné une statistique alarmante : près de 40 % des entreprises échouent à implémenter l’IA parce que leurs dirigeants n’en saisissent pas pleinement le potentiel. Cette incompréhension se traduit de manière évidente : considérer l’IA comme un projet secondaire, imposer des horaires de bureau pour un travail qui peut être réalisé à distance, ou appliquer des processus rigides à des systèmes qui devraient être expérimentaux.

Erika Glenn a ajouté : « Bon nombre de dirigeants traitent encore le développement de l’IA comme s’il s’agissait de l’ingénierie logicielle traditionnelle, en imposant des calendriers serrés et une microgestion qui freinent l’innovation ». Ce type d’approche axée sur le contrôle repousse les talents que les entreprises peinent à retenir.

Pire encore, cette situation génère du ressentiment. Lorsque la direction exige de l’agilité des équipes techniques tout en s’accrochant à la bureaucratie dans ses propres prises de décision, les experts en IA perçoivent un message clair : ce n’est pas un environnement favorable à l’innovation authentique.

 

La culture prime sur la rémunération

Une idée largement répandue est que les professionnels de l’IA sont principalement attirés par des salaires plus élevés. Pourtant, Michelle Machado remet cette idée en question. « Si les dirigeants ne cultivent pas une culture d’expérimentation, de collaboration et de vision à long terme, même les meilleurs talents en IA ne resteront pas », explique-t-elle. Selon elle, c’est la culture d’entreprise, bien plus que la rémunération, qui joue un rôle clé dans l’attraction et la fidélisation des talents.

Erika Glenn partage cette vision, soulignant que les grands leaders favorisent des environnements où le dialogue est ouvert, les points de vue divergents sont accueillis sans crainte de représailles, et où l’autonomie et la responsabilité sont équilibrées. Ces leaders protègent leurs équipes des conflits politiques et récompensent l’expérimentation, même lorsqu’elle échoue.

Un tel environnement, bien que rare, est essentiel pour retenir les talents. Les organisations capables de créer cette « gravité » qui attire et conserve les meilleurs cerveaux en IA sont celles qui bénéficient des modèles les plus innovants.

 

Transparence et confiance

Pour retenir les talents, Michelle Machado préconise la transparence, qui est le fondement de la confiance. « Les employés restent lorsqu’ils comprennent l’impact de leur travail et comment il se relie aux objectifs globaux de l’entreprise », explique-t-elle. Dans un domaine aussi complexe et dynamique que l’IA, où les modèles touchent à la fois les opérations, la conformité, les données clients et l’éthique, cette transparence doit être ancrée à tous les niveaux de la hiérarchie.

Cela implique également une certaine vulnérabilité : la capacité d’admettre ce que l’entreprise ne sait pas encore, et l’engagement de construire ensemble ce savoir. « Lorsqu’ils se sentent compris, écoutés et valorisés, les employés ne se contentent pas de contribuer, ils s’engagent pleinement », ajoute-t-elle.

Cela prend encore plus de sens dans les grandes entreprises, où les initiatives d’IA sont souvent freinées par des silos organisationnels. « Les silos ne ralentissent pas seulement l’innovation, ils freinent la transformation », précise-t-elle.

 

Le véritable coût de la perte de talents en IA

Perdre un ingénieur en IA de haut niveau ne se limite pas à la simple ouverture d’une nouvelle offre d’emploi. Cela entraîne une série d’effets en cascade : les projets ralentissent, le moral des équipes chute, et, surtout, un savoir précieux disparaît.

« Remplacer des professionnels techniques peut coûter entre la moitié et le double de leur salaire annuel », a déclaré Erika Glenn, citant une étude de Gallup. La Society for Human Resource Management (SHRM) confirme ces coûts dans tous les secteurs, mais ils sont particulièrement élevés dans des domaines exigeant des compétences pointues comme l’IA et la cybersécurité. Toutefois, l’impact n’est pas uniquement financier. « Le moral des équipes se détériore, des déséquilibres de compétences apparaissent, et le développement des produits en souffre », avertit-elle.

Michelle Machado exprime sans détour son point de vue : « L’incapacité à retenir les talents en IA a un prix lourd, non seulement en termes de revenus, mais aussi en termes de pertinence. » Elle cite l’exemple de Kodak et Blockbuster, deux entreprises qui n’ont pas échoué en raison d’un manque de talent, mais à cause d’une mauvaise préparation de leurs dirigeants. « Sur ce marché, l’évolution est une nécessité, l’immobilisme n’a pas sa place. »

L’argument de Machado est loin d’être exagéré, à en juger par les chiffres. Selon une étude menée par Bain & Company en 2024, 75 % des cadres avouent ne pas comprendre pleinement comment faire progresser l’IA au sein de leur entreprise. Cette incertitude au sommet génère des frictions, de la confusion, et au final, un exode des talents.

 

Ce que font réellement les grands leaders

Qu’est-ce qui pousse les talents de l’IA à rester ? Erika Glenn et Michelle Machado s’accordent à souligner qu’il ne s’agit pas uniquement de compétences techniques, mais aussi de la manière dont les dirigeants agissent. « Les meilleurs leaders favorisent des environnements où l’autonomie est authentique », explique Mme Glenn. « Ils sont profondément impliqués dans la résolution des problèmes, peu importe leur expertise technique, protègent leurs équipes des influences politiques, équilibrent responsabilité et autonomie, et considèrent l’échec comme une étape essentielle du processus. »

Pour Mme Machado, un leadership efficace commence par la confiance et la connexion humaine. « L’IA repose sur des données, mais des résultats exceptionnels se construisent sur la confiance », précise-t-elle. « Lorsque les dirigeants partagent un objectif commun, encouragent des perspectives diversifiées et célèbrent le progrès plutôt que la perfection, ils transforment la conformité en engagement. » Dans un tel environnement, les professionnels de l’IA ne se contentent pas d’améliorer des modèles : ils créent une dynamique, innovent et, surtout, choisissent de rester.

 

Ce qu’il faut retenir

L’essentiel est clair : il n’existe pas de stratégie d’IA sans une stratégie de gestion des talents, et pas de stratégie de talents sans un leadership efficace. Certes, la rémunération reste un facteur clé, et la pénurie de professionnels de l’IA est bien réelle. Cependant, injecter davantage d’argent dans ce problème ne résoudra pas une culture défaillante. Attirer et retenir les talents en IA ne repose pas uniquement sur les profils que l’on recrute, mais aussi sur la manière dont on dirige.

Pour Michelle Machado, la pénurie de talents en IA ne se résume pas à un défi de recrutement, mais relève d’un véritable problème de leadership. « Ce problème est avant tout une question de confiance : la confiance en vos équipes, en votre stratégie, et dans votre capacité à conduire le changement », explique-t-elle.

Si les entreprises spécialisées dans l’IA souhaitent rester compétitives, Erika Glenn et Michelle Machado soulignent qu’elles devront aller au-delà du simple développement de modèles de pointe. Elles auront besoin de dirigeants capables d’anticiper, d’agir avec empathie et de créer des environnements propices à l’épanouissement des talents en IA.

« L’innovation s’arrête lorsque le leadership échoue. En revanche, avec le bon leadership, l’IA devient un véritable catalyseur de croissance, plutôt qu’un frein à la rétention des talents », conclut Michelle Glenn.

 

Une contribution de Kolawole Samuel Adebayo pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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