Dans les salles feutrées des conseils d’administration et lors des bilans trimestriels, les dirigeants scrutent avec ferveur les indicateurs clés de performance : croissance du chiffre d’affaires, marges bénéficiaires, taux de recommandation net, engagement des salariés… Pourtant, au cœur de cette profusion de tableaux de bord et d’indicateurs chiffrés, un paramètre pourtant fondamental demeure largement négligé : l’état de santé du dirigeant.
Le bien-être des dirigeants ne relève plus du seul domaine privé : il constitue un levier stratégique et un indicateur de performance à part entière, capable d’impulser (ou d’entraver) la dynamique de toute l’organisation, du sommet jusqu’aux équipes opérationnelles. Lorsqu’il est négligé, il devient un risque silencieux aux conséquences lourdes.
Une étude largement relayée par Deloitte révèle d’ailleurs que 75 % des dirigeants ont envisagé de quitter leur poste pour un environnement plus favorable à leur équilibre personnel. Car lorsque les ressources physiques, mentales ou émotionnelles d’un leader sont à bout, ses capacités décisionnelles s’émoussent, la culture d’entreprise se fragilise et la fidélité des équipes s’effrite. La santé du dirigeant est, en somme, cette infrastructure invisible sur laquelle reposent toutes les priorités stratégiques.
Prise de décision et perception de l’efficacité du leadership
La qualité du leadership est intimement liée à la qualité des décisions que prend un dirigeant. Pourtant, nombre de cadres évoluent dans un environnement qui érode peu à peu leur capital cognitif : stress chronique, sommeil morcelé, alimentation déséquilibrée, activité physique sporadique. Il y a une nette différence entre simplement fonctionner mentalement et véritablement s’épanouir sur le plan intellectuel.
Selon une étude publiée dans The Leadership Quarterly, une baisse d’un écart-type de la santé mentale d’un PDG est corrélée à une diminution de 6 % de la performance globale de l’entreprise. L’impact ne se limite pas à l’humeur : il se traduit par une exécution moins fluide, un jugement altéré et une présence affaiblie à la tête de l’organisation. Quand un dirigeant vacille, c’est toute la chaîne de valeur (résultats financiers, cohésion des équipes, confiance des actionnaires) qui encaisse le choc.
Le bien-être d’un dirigeant se perçoit aussi bien avant qu’il ne prenne la parole. Certains signaux, tels qu’un engagement régulier dans une activité physique intense (à l’image des PDG marathoniens) sont associés à une meilleure santé cardiovasculaire, à une plus grande résilience face au stress, mais aussi à de meilleures performances en matière de fusions-acquisitions, à une valorisation accrue de l’entreprise et à une stabilité boursière renforcée.
Connectivité et valorisation des talents
Les comportements d’un dirigeant façonnent la culture de l’entreprise bien plus durablement que n’importe quelle politique interne. Lorsqu’un leader affiche clairement qu’il accorde de l’importance à la récupération, à la mise en place de limites saines et à sa propre santé, il envoie un message puissant ; bien au-delà de ce qu’une note de service pourrait transmettre.
Une étude publiée dans le Transdisciplinary Journal of Management montre ainsi qu’un leadership attentif au bien-être améliore directement la performance globale, en favorisant la santé psychologique des collaborateurs. Des travaux relayés dans Frontiers in Psychology confirment ce lien : ce type de leadership réduit le risque d’épuisement professionnel et renforce l’engagement des équipes, en créant un climat propice à la performance durable.
Les dirigeants qui savent gérer leur énergie de façon stratégique (en intégrant des temps de récupération, en déléguant intelligemment ou en se déconnectant de manière intentionnelle) posent les bases d’équipes plus solides, plus loyales et plus productives. Dans un contexte où attirer et retenir les meilleurs talents représente un défi coûteux et chronophage, le bien-être managérial s’impose comme un véritable levier de performance organisationnelle.
Confiance des parties prenantes et image de l’entreprise
La communication d’un dirigeant commence bien avant l’expression verbale. Posture, langage corporel, niveau d’énergie, expression du visage, tonalité de la voix : autant de signaux subtils mais puissants qui façonnent la perception de son autorité, de sa stabilité et de sa crédibilité. Dans les situations à fort enjeu, c’est souvent la présence du leader qui parle en premier, son message ne fait que suivre.
Un dirigeant visiblement épuisé, tendu ou émotionnellement absent peut involontairement semer le doute. Or, les parties prenantes (qu’il s’agisse d’investisseurs, de collaborateurs ou d’analystes) formulent des jugements bien avant les publications de résultats. Dans un paysage médiatique en flux continu, ces impressions circulent à grande vitesse. L’histoire récente l’illustre clairement : la santé des dirigeants est scrutée de près par les marchés.
Lorsque Steve Jobs est apparu affaibli lors d’événements publics, l’action Apple a chuté. En 2020, après l’hospitalisation en urgence de Jamie Dimon pour une opération cardiaque, JPMorgan a perdu près de 8 % en Bourse. Si ces deux géants ont rapidement rebondi, la réaction initiale met en lumière une réalité plus large : les incertitudes liées à la santé des dirigeants génèrent des tensions, en interne comme à l’externe.
Et cette logique ne concerne pas que les marchés. Les collaborateurs aussi observent attentivement la façon dont les dirigeants réagissent sous pression. La confiance n’est pas le fruit d’une exécution parfaite, mais d’une posture authentique. Une étude récente, intitulée The Trust Dilemma, révèle d’ailleurs que les investisseurs accordent davantage de crédit aux dirigeants capables d’exprimer leur vulnérabilité de manière sincère et stratégique. Cette transparence, notamment en période de turbulence, agit comme un amortisseur émotionnel, renforçant la crédibilité du leadership. Car en matière de gouvernance, la perception fait loi.
La santé du PDG : l’indicateur de performance qui conditionne tous les autres
En matière de leadership, il ne s’agit pas seulement de ce qui est accompli, mais de comment cela est accompli, et surtout, combien de temps cela peut être soutenu. L’endurance, la clarté stratégique et la résilience d’un dirigeant reposent sur une base souvent négligée : sa santé.
Le bien-être du PDG ne relève pas uniquement d’une responsabilité individuelle. Il constitue un levier central de performance collective. Qualité des décisions, cohésion des équipes, solidité culturelle, capacité à porter une vision, crédibilité auprès des parties prenantes : tous ces piliers de la réussite organisationnelle découlent directement de l’état de forme du leader.
À la différence des aléas économiques ou des risques géopolitiques, la santé du dirigeant est une variable maîtrisable. Et parce qu’elle influence tous les autres indicateurs, elle mérite de figurer en tête des priorités stratégiques.
Une contribution de Julian Hayes II pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
À lire également : Level Hop : faire grandir les entreprises en faisant grandir leurs équipes

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits