Dans le monde des affaires d’aujourd’hui, la rapidité est un atout majeur, mais la friction en est la taxe invisible. Elle ne figure ni sur les bilans comptables ni dans les organigrammes, et pourtant, elle s’infiltre partout : dans les délais non tenus, la démotivation des équipes, les lenteurs décisionnelles, les tensions managériales ou encore des systèmes technologiques plus pesants que réellement utiles.
Une étude récente menée par Dayforce, auprès de plus de 6 000 employés et dirigeants dans six pays, met en lumière l’omniprésence de ces frictions dans le quotidien professionnel. 88 % des répondants déclarent en avoir expérimenté au moins une forme significative, et 78 % estiment que des processus trop lourds et complexes ralentissent considérablement leur travail.
Mais le point le plus saisissant, et peut-être le plus inattendu, reste que ce sont les cadres dirigeants qui déclarent subir le plus haut niveau de friction. En d’autres termes, ceux qui sont censés simplifier la complexité sont souvent les plus englués dedans. Ce constat souligne une réalité plus profonde : la friction n’est pas qu’un dysfonctionnement opérationnel, c’est un symptôme de leadership mal aligné.
Lorsqu’elle s’accumule au sommet, la friction devient le signe de déséquilibres structurels, de failles dans la communication et d’une surcharge stratégique. Et si elle n’est pas identifiée et traitée, elle peut saper à petit feu la réactivité, le moral des équipes et la dynamique de croissance.
Pour y voir plus clair, quatre grandes catégories de friction permettent de diagnostiquer l’état de santé du leadership au sein d’une organisation.
Les quatre types de friction et ce qu’ils révèlent sur le leadership
La friction ne naît presque jamais d’un seul point de défaillance. Comme beaucoup de dysfonctionnements en entreprise (et dans la vie), elle s’installe peu à peu, alimentée par des désalignements systémiques, stratégiques ou comportementaux.
Selon Dayforce, on peut la classer en quatre grandes catégories. Chacune d’elles met en lumière un schéma de leadership spécifique, souvent révélateur des failles plus profondes qui freinent l’organisation.
La friction liée au personnel
À première vue, les tensions liées au personnel pourraient laisser croire à un simple problème d’effectifs. En réalité, elles révèlent souvent un dysfonctionnement plus profond : un manque d’anticipation et de planification.
Ces frictions se traduisent par un cocktail bien connu : épuisement professionnel, absentéisme, trous dans les plannings et difficultés persistantes à gérer les talents. Mais le cœur du problème n’est pas toujours un effectif insuffisant : c’est bien souvent l’incapacité à prévoir et à structurer une organisation résiliente.
D’après le rapport de Dayforce, près de deux tiers des employés interrogés affirment qu’aucune solution de remplacement n’est prévue en cas d’absence. Plus de la moitié déclarent avoir connu un burn-out, 41 % n’arrivent pas à accomplir l’ensemble de leurs tâches, et 37 % estiment ne pas pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes.
Comme les équipes sportives performantes, les organisations ont besoin de renforts disponibles. L’absence de renforts révèle une fragilité opérationnelle inquiétante. Et si 93 % des cadres affirment avoir recours à des travailleurs occasionnels, beaucoup peinent encore à les intégrer efficacement.
Avoir les bons talents est essentiel, mais savoir absorber les aléas fait tout autant partie du leadership moderne.
La friction liée à l’agilité
Nombre d’organisations affirment valoriser l’adaptabilité, mais restent enfermées dans des systèmes rigides, des cultures figées et des structures de talents peu flexibles. Résultat : des frictions apparaissent lorsque les collaborateurs stagnent dans des rôles qu’ils ont dépassés ou qui ne correspondent plus à leurs compétences actuelles.
Selon les données de Dayforce, 85 % des dirigeants estiment que leurs efforts de développement professionnel sont utiles. Un optimisme qui n’est pas partagé par les salariés : seuls 54 % jugent ces initiatives réellement bénéfiques. Pire encore, moins de la moitié des entreprises (43 %) disposent d’un processus structuré pour faire évoluer ou requalifier leurs équipes. Ce décalage révèle une opportunité manquée.
Alors que les métiers évoluent plus vite que les intitulés de poste, les nouvelles générations attendent davantage : elles privilégient l’apprentissage, la progression continue et l’accès à des mentors. Pour favoriser une véritable agilité, les entreprises doivent non seulement changer d’état d’esprit, mais aussi renforcer leur infrastructure de mobilité interne. À défaut, elles s’exposent à l’immobilisme, à la perte de talents et à un ralentissement durable de leur croissance.
La friction liée au changement
Le changement est une constante, mais il ne doit pas forcément s’accompagner de frictions majeures. Pourtant, l’étude révèle que 61 % des cadres supérieurs perçoivent une résistance au changement chez leurs collaborateurs, un avis partagé par seulement 41 % des employés : un écart significatif.
Cette divergence souligne un malentendu fréquent : les dirigeants confondent souvent friction et résistance, alors qu’il s’agit bien souvent d’une réaction à une communication insuffisante ou à une mise en œuvre maladroite. À peine 39 % des répondants estiment que leur organisation gère efficacement le déploiement des changements, et moins de la moitié jugent la communication interne satisfaisante, notamment en période de transition.
Pour les dirigeants, la clé réside dans une orientation claire, une mise en œuvre soigneusement préparée et des boucles de rétroaction efficaces pour apaiser les tensions et faciliter l’adhésion au changement.
La friction technologique
Pensée pour améliorer la productivité et faciliter la vie au travail, la technologie est devenue, paradoxalement, un frein pour de nombreuses organisations. Plateformes obsolètes, systèmes cloisonnés, empilement d’outils : au lieu d’accélérer les processus, ces technologies les ralentissent.
Selon l’étude, 69 % des répondants estiment que leur entreprise utilise trop de plateformes différentes, et 66 % constatent que les nouvelles technologies diminuent souvent l’efficacité plutôt que de l’améliorer.
Ce phénomène illustre un enjeu majeur : l’adoption rapide de technologies sans intégration ni formation adéquates entraîne un gaspillage de ressources. Chaque outil ajouté sans une stratégie claire alourdit la complexité. Les dirigeants doivent donc auditer leur écosystème numérique, non seulement en termes de fonctionnalités, mais aussi de simplicité d’utilisation, de cohérence et de retour sur investissement réel.
Les frictions : une menace invisible pour le leadership
À l’instar de l’hypertension artérielle, les frictions peuvent rester invisibles longtemps avant de provoquer des dommages irréversibles. L’étude Dayforce révèle que les organisations affichant un faible niveau de friction partagent plusieurs traits clés : une planification des effectifs efficace, une mobilité interne dynamique et une communication transparente. Ces entreprises sont à la fois plus performantes et mieux alignées.
Dans un environnement marqué par des disruptions rapides, une concurrence intense et des distractions constantes, le rôle du leadership ne se limite plus à définir une vision. Il s’agit surtout de lever les obstacles en réduisant les frictions à tous les échelons. Quand les frictions sont trop élevées, même les meilleures stratégies peinent à avancer. Mais lorsqu’elles sont maîtrisées, l’élan devient inarrêtable.
Une contribution de Julian Hayes II pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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