logo_blanc
Rechercher

Innovation managériale, comment évoluer dans un monde V.U.C.A. ?

Si la crise Covid-19 a malmené l’ordre établi, elle a également eu pour effet de révéler l’émergence d’un nouveau monde, que l’on qualifie de V.U.C.A.

Cet acronyme, proposé par l’U.S. Army War College en 1998, a pour mérite de clarifier les particularités de la société actuelle. S’y référer permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles ce nouvel environnement malmène de nombreuses organisations et surtout ce qu’il convient de changer, notamment en matière de management, pour permettre aux entreprises de continuer de se développer.

La crise Covid-19, une situation V.U.C.A

V.U.C.A. est avant tout une grille de lecture qui présente les principales caractéristiques du monde actuel, à savoir qu’il est :

  • V, pour volatile. La vitesse et la magnitude des changements s’accélère et s’amplifie. Les situations peuvent évoluer de manière imprévisible et extrêmement rapide, sans qu’il ait été possible de les anticiper.
  • U, pour incertain (Uncertainty). Il est de plus en plus difficile de prévoir les évènements à venir avant d’y être confronté. L’apprentissage se fait à présent a posteriori.
  • C, pour complexe : L’analyse des situations est devenue difficile, du fait de l’augmentation des informations et de leur interdépendance, et l’expérience acquise est devenue insuffisante pour pouvoir les comprendre. Un changement minime peut avoir d’importantes conséquences qui n’ont pas pu être identifiées.
  • A, pour Ambigu : Il n’y a plus de rapport évident entre les causes et leurs effets. Tout et son contraire peuvent arriver au même moment, générant des paradoxes et des contradictions qui créent de la confusion et remettent en cause ce que l’on croyait savoir.

L’utiliser peut s’avérer particulièrement pertinent pour décrire une situation inédite, comme, par exemple, la crise Covid-19. Le virus s’est propagé au niveau planétaire à une vitesse impressionnante (vélocité). Nous sommes incapables de savoir quand cette pandémie s’arrêtera, si d’ailleurs elle s’arrêtera un jour (incertitude). Les meilleurs experts de la planète ont été en désaccord sur la solution à apporter (complexité) et la concomitance des enjeux sanitaires, économiques et sociétaux ont abouti à des décisions paradoxales, telles que le port obligatoire du masque dans les transports, sauf lorsque l’on se restaure (ambiguïté), comme si le virus se mettait en « stand-by » pendant que l’on mange.

 

Impacts du V.U.C.A. sur les personnalités et les organisations

S’adapter au monde V.U.C.A. n’est pas évident pour tout le monde. Cela risque même de coûter C.H.E.R. à beaucoup d’entre nous, même si ce n’est pas d’argent dont il s’agit.

Évoluer sereinement dans cet environnement nécessite de reconsidérer certaines de nos Croyances, remettre en cause nos Habitudes, composer avec nos Émotions et mettre à l’épreuve de nombreux Raisonnements acquis dans un écosystème, jusqu’alors assez linéaire et prévisible.

Se référer à ce modèle permet de mieux comprendre ce qui est remis en question et ce qu’il est opportun de changer, aussi bien au niveau des individus que des organisations.

 

Impact du monde V.U.C.A. sur les individus

L’émergence du monde V.U.C.A. n’étant ni initié, ni désiré par les individus, il semble naturel qu’il malmène dans un premier temps les personnes qui ne sont pas à l’aise avec le changement permanent, l’incertitude, la complexité et les paradoxes.

Par exemple, les personnes perfectionnistes, attachées au principe de conformité, risquent fort de mal vivre les changements permanents qui rendront difficiles le respect des prescriptions. Elles devront apprendre à modifier leur rapport aux erreurs qui risquent d’être plus fréquentes et les considérer comme une opportunité d’apprentissage.

De même, certains experts, dont la crédibilité repose sur l’expérience acquise, se trouveront bien démunis face à la complexité des situations nouvelles où leur vécu leur est de peu d’utilité. Il leur faudra apprendre à devenir plus humbles, ouverts à la nouveauté et composer avec les autres pour trouver de nouvelles solutions.

   Présentation du rapport au monde V.U.C.A. selon les personnalités (cf. modèle D.I.S.C.)

Le tableau ci-dessus aide à prendre conscience des difficultés qui peuvent être vécues selon les différentes personnalités pour chaque lettre de l’acronyme.

Impacts du monde V.U.C.A. sur les organisations

Il en est de même au niveau collectif. Les entreprises marquées par la bureaucratie seront perturbées par les situations paradoxales (ambiguïté) et les leaders devront apprendre à imaginer de nouveaux modèles sans avoir de garantie de leur efficience (incertitude).

Rapport des différentes cultures managériales au monde V.U.C.A.

L’illustration ci-dessus présente les principales difficultés que rencontrent les entreprises en fonction de leur culture managériale.

Excepté la culture coresponsable qui est née dans le monde V.U.C.A. (adoptées par des entreprises telles que Netflix, Spotify…), la majorité des modèles managériaux sont malmenés par ce nouvel écosystème. Mais qui dit crise, dit aussi opportunité.

 

Les opportunités de changement qu’offre le monde V.U.C.A.

Cette pandémie s’avère être une occasion sans précédent de mettre à l’épreuve un siècle d’histoire du management basé sur le principe de « Command & Control » et surtout de légitimer un projet d’innovation managériale dont l’adhésion s’avérait souvent difficile avant cette crise.

Opportunités qu’offre le monde V.U.C.A. pour les individus

« Sega, c’est plus fort que toi ! ». N’en déplaise à certains, le monde V.U.C.A. n’est pas prêt de changer. Aussi, plutôt que de lutter contre lui, mieux vaut s’y adapter, voire en faire une opportunité de développement et d’amélioration.

Si cet écosystème peut être source de stress, comme celui provoqué par le fait de se sentir en insécurité du fait des changements permanents (vélocité) ou d’avoir la sensation de perdre le contrôle et devenir vulnérable (incertitude), il est aussi un révélateur de ce qu’il serait opportun de changer en nous comme apprendre à devenir plus souple (vélocité) ou à lâcher prise (incertitude).

Opportunités de développement personnel qu’offre le V.U.C.A. par type de personnalité D.I.S.C.

Appréhendé positivement, l’environnement V.U.C.A. peut être une réelle opportunité de développement individuel professionnel mais aussi personnel, comme l’illustre la figure ci-dessus.

 

Les opportunités qu’offre le monde V.U.C.A. pour les individus

Partir du V.U.C.A. permet de démontrer la nécessité de penser autrement, de devenir plus agile, de miser davantage sur l’intelligence collective, de soutenir l’innovation et d’ancrer la culture de l’expérimentation.

Face à ce nouvel environnement, les entreprises ont deux possibilités :

– Ne rien changer, probablement dans l’attente d’un « retour à la normale ». Non seulement, cela ne se produira pas (le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas au monde d’hier et le monde de demain ne sera pas comme le monde d’aujourd’hui) mais surtout cela aurait pour effet de provoquer un désalignement progressif de l’entreprise vis-à-vis de son écosystème, ce qui altérera son développement, voire remettra en cause sa pérennité. Rappelons-nous ce qu’ont vécu Kodak ou Nokia.

– S’adapter et tirer parti de ce nouvel écosystème. Pour se faire, les entreprises devront comprendre ce que cet environnement remet en question afin d’identifier les changements à opérer au niveau relationnel et organisationnel.

C’est pourquoi nous vous présentons, pour chaque lettre de cet acronyme, son impact sur les individus, sur l’entreprise, ce qui est remis en cause et ce qu’il convient de modifier pour être mieux aligné et évoluer avec davantage de sérénité dans ce nouveau monde.

 

Composer avec la volatilité

“ Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements » – C. Darwin.

Ce que les changements permanents malmènent :

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les êtres humains sont à l’aise avec les changements. Nous sommes d’ailleurs dotés d’une exceptionnelle faculté d’adaptation et d’évolution. Ce que nous n’apprécions pas en revanche c’est qu’ils nous soient imposés ou qu’ils soient trop fréquents.

En effet, les changements permanents malmènent les habitudes, ce qui peut faire naître un sentiment d’insécurité et s’avérer particulièrement stressant pour les personnes qui aspirent à évoluer dans un environnement stable, confortable et sécurisant.

Au niveau de l’entreprise, la volatilité bouscule l’ordre établi, peut rendre certaines règles rapidement caduques, chambouler les plannings et les priorités, remettre en cause la pertinence de modèles autrefois gages de réussite, tel que le S.W.O.T. qui, rappelons-le, a été développé en 1965. Difficile d’identifier les menaces et les opportunités de situations que l’on ne peut pas prévoir.

 

Les opportunités qu’offre la volatilité :

Si la volatilité perturbe l’équilibre, elle nous invite à devenir plus souple et adaptable, ce qui suppose d’adopter un nouvel état d’esprit, basé sur l’ouverture et la réactivité.

Pour l’entreprise, l’enjeu consiste donc à renforcer son agilité, ce qui nécessite, entre autres :

  • D’assouplir les règles, voire d’en supprimer certaines qui constitueraient un frein à l’adaptation
  • De privilégier la culture du résultat à celle du respect des procédés, ce qui suppose d’offrir plus d’autonomie
  • De décentraliser au plus proche du terrain certaines décisions (principe de subsidiarité) car qui mieux que ceux qui sont en contact direct avec les clients et le marché savent ce qu’il convient de changer ?
  • D’encourager et de soutenir les prises d’initiatives
  • D’adopter des « cycles courts » de production, pour avoir un feed-back régulier de ce qu’il convient d’ajuster ou de modifier avant que cela ne soit trop tard.

Bonnes pratiques :

Cette évolution sera facilitée par l’adoption des principes d’agilité et de concepts tels que le « Management situationnel », qui vise à mieux s’adapter à la diversité des situations, ou d’outils comme les « retours d’expérience », dans le but d’apprendre de ce qui a été vécu et le « Visual management », pour recueillir rapidement et régulièrement de l’information sur l’atteinte des résultats, la réalisation des activités mais aussi les difficultés rencontrées par les collaborateurs ou les suggestions d’évolution.

 

Composer avec l’incertitude

“ Au lieu de planifier l’imprévisible, rêvons ensemble du futur » – J-M Descarpentries.

Ce que l’inconnu malmène :

Être dans l’incapacité de prévoir ce qui va arriver malmène notre besoin de contrôle, ce qui nous met dans un état d’insécurité qui peut souvent être source d’anxiété, voire d’angoisse pour certaines personnes.

Au niveau de l’entreprise, la difficulté à prévoir le futur chahute de nombreux modèles économiques, les approches prévisionnistes et rendent plus ardus les choix stratégiques et organisationnels.

L’incapacité à pouvoir maîtriser la situation, compte tenu du caractère souvent inédit des évènements, peut perturber certaines personnes dont la légitimité et la valeur repose sur la capacité à « tout savoir », « tout prévoir » ou « tout contrôler ».

 

Les opportunités qu’offre l’incertitude :

Ne pas savoir ce qui va arriver n’est pas un problème en soi. D’ailleurs qui peut prétendre, à son réveil, savoir ce qu’il va vivre dans la journée ? Ce qui l’est est la représentation que nous nous faisons des conséquences.

Face à l’inconnu, les personnes ont deux principales réactions.

  • La première consiste à se concentrer sur le négatif. Si cette tendance, désignée sous le terme de «biais de négativité », a pour but de nous protéger d’un éventuel danger, elle est aussi à l’origine de nos peurs. Se concentrer sur les aspects négatifs d’une situation peut être salvateur mais cela nous empêche souvent d’analyser les situations avec neutralité, nous freine dans notre évolution et nous conduit bien souvent à l’immobilisme et au mal être.
  • La seconde consiste à se focaliser sur ce qu’il pourrait apporter de positif et identifier les opportunités à saisir.

Aborder l’inconnu avec positivisme est indispensable pour rester serein face à l’inconnu mais ignorer le négatif peut aussi être dangereux car cela peut nous empêcher de voir la réalité avec la clarté nécessaire. C’est pourquoi l’appropriation de la « pensée positive » doit être associée à la « pensée stoïcienne », indispensable pour nous permettre de prendre du recul et faire preuve de discernement.

Évoluer avec sérénité dans un monde incertain nécessite d’adopter de nouvelles postures basées sur la confiance (en soi, aux autres, en l’avenir), le relativisme, le positivisme mais aussi l’audace et le goût de l’aventure.

Au niveau de l’entreprise, l’appréhension de l’incertitude nécessite dans un premier temps d’accepter de ne pas pouvoir tout contrôler et subséquemment de lâcher prise afin de se concentrer sur les « zones de pouvoir d’action ».

A ce titre, l’appropriation du sermon de Reinhold Niebuhr, théologien américain, « Seigneur, donne-nous la grâce d’accepter avec sérénité les choses qui ne peuvent pas être changées, le courage de changer celles qui peuvent l’être et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre » permet de ne pas subir les évènements et se concentrer sur ce qu’il est possible de faire.

Si la vélocité nous invite à la réactivité, l’incertitude nous encourage à la proactivité.

 

Bonnes pratiques :

Mieux vivre l’incertitude en entreprise suppose, dans un premier temps de rasséréner les équipes. A ce titre, elles peuvent adopter des rituels de déclaration des humeurs et des préoccupations pour pouvoir mieux les prendre en considération, comme le font certaines entreprises qui réunissent périodiquement leurs équipes pour faire la « météo de l’humeur ». Autoriser les collaborateurs qui le souhaitent à déclarer publiquement leurs ressentis permet à l’entreprise d’en avoir connaissance et de les prendre en considération.

Pour développer leur proactivité, elles peuvent instaurer des démarches d’idéation basées sur les signaux faibles et les tendances émergentes comme l’a initié la société Tata Consultancy Services avec sa plateforme « Ultimatix », encourager et soutenir les initiatives à tous les niveaux, tel que le fait Konica Minolta France avec sa carte « Le pouvoir de transformer ».

 

Composer avec la complexité

“ Le premier savoir est le savoir de mon ignorance : c’est le début de l’intelligence » – Socrate

Ce que la complexité malmène :

Qu’entend-on par complexité ? Aborder la différence entre ce qui est simple, compliqué et complexe, sous l’angle de la résolution d’un problème peut s’avérer très éclairant. Une situation est qualifiée de simple lorsqu’il existe une solution connue à un problème, compliquée lorsqu’il existe plusieurs solutions connues à un problème et complexe lorsque qu’aucune solution n’est connue.

Le fait de ne pas savoir et d’être dans l’incapacité d’expliquer une situation peut altérer l’estime et la confiance en soi, notamment dans une société qui valorise les « sachants » et montre du doigt les « ignorants ».

Au niveau de l’entreprise, la complexité remet en cause de nombreux modèles de résolution de problèmes mais surtout le principe de centralisation du pouvoir décisionnel au niveau de l’autorité hiérarchique ou des « sachants », compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent à résoudre, seuls, les problèmes inédits.

 

Les opportunités qu’offre la difficulté à comprendre ce qui arrive :

Comme l’a si justement souligné Euripide, « Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous ensemble ». Le fait d’accepter que l’expérience et le savoir peuvent être insuffisants pour comprendre une situation ou résoudre un problème légitime d’ouvrir la réflexion au plus grand nombre.

Composer avec la diversité nécessite, non seulement de renforcer l’esprit d’équipe, mais aussi d’assouplir son ego, de s’ouvrir à la diversité, de faire preuve d’empathie et d’humilité.

Pour l’entreprise, l’enjeu consiste donc à s’émanciper partiellement des principes de centralisation du pouvoir et de la division du travail afin de mobiliser « L’intelligence collective ».

Ce concept, proposé par David Wechsler en 1971, incite à associer le plus grand nombre de personnes aux réflexions car c’est de l’interaction des visions, ressentis et points de vue de personnes aux profils variés qu’il devient possible, selon l’auteur, d’appréhender un sujet sous différents angles et de trouver des solutions qui n’auraient pas être identifiées individuellement.

Cette approche est corroborée en 2004 par James Surowiecki, avec son concept de « Sagesse des foules », qui s’appuie sur le principe des marchés prédictifs pour démontrer que la résolution d’une situation complexe par le plus grand nombre s’avère souvent plus efficace que l’avis des experts.

Associer le plus grand nombre de personnes est d’ailleurs l’élément fondateur de la plateforme de crowd sourcing « Innocentive » sur laquelle les entreprises soumettent des problèmes à une foule de plus de 390.000 « solutionneurs » qui sont plébiscités sur des problématiques sur lesquelles ils n’ont pas ou peu de connaissances. Selon les fondateurs de cette plateforme ces « solutionneurs » ont trouvé des solutions là où beaucoup d’experts achoppaient.

 

Bonnes pratiques :

Pour gérer la complexité, certaines entreprises ont instauré des communautés a-hiérarchiques constituées de membres volontaires animés par l’envie de contribuer à la résolution d’un problème inédit ou « sans solution connue ».

D’autres ont pris le parti, pour certaines situations complexes, d’inviter dans leurs réunions d’experts des néophytes ou d’associer des acteurs extérieurs à l’entreprise (open innovation), Certaines ont décidé d’appréhender la complexité via des challenges internes ou des séances de Hackathon (période pendant laquelle des équipes sont mises en compétition pour résoudre un problème).

Quelle que soit la démarche retenue, l’appréhension de la complexité suppose de la part des entreprises qu’elles facilitent l’accès aux informations, encouragent les interactions et soutiennent la controverse.

 

Composer avec l’ambiguïté

“ Ce qui est aujourd’hui un paradoxe pour nous, sera pour la postérité une vérité démontrée » – D. Diderot

Ce que les paradoxes malmènent :

Dans les années 70, les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont découvert que, lorsque nous sommes confrontés à une pression temporelle, à une situation qui ne fait pas sens ou à un volume d’informations trop important à prendre en compte, notre cerveau nous joue des tours et nous amène à adopter des attitudes et à prendre des décisions irrationnelles.

C’est ainsi que nos choix peuvent être conditionnés à notre humeur du moment (biais attentionnel) ou que nous pouvons avoir tendance à privilégier des informations qui confirment notre hypothèse de départ, sans prendre le temps d’analyser la situation dans sa globalité (biais de confirmation).

Quoi de plus compréhensible que ces « biais cognitifs » soient amplifiés dans un monde où l’on doit agir vite (vélocité), où les interprétations peuvent être multiples (complexité), sans que l’on puisse s’appuyer sur l’expérience, compte tenu du caractère inédit des situations (incertitude).

Le rationnel rassure. C’est pourquoi nous sommes perturbés lorsque nous devons faire face à des situations paradoxales. Et pourtant, la vie est faite d’une multitude de situations contradictoires comme, par exemple, vendre des cigarettes et condamner leur consommation ou fabriquer des véhicules qui vont à 280 km/h sur des routes limitées à 130 km/h.

Les contradictions sont également légion en entreprise, telles que promouvoir l’audace et l’initiative tout en valorisant la conformité aux règles ou prôner la cohésion d’équipe tout en récompensant la performance individuelle.

Alors, en quoi est-ce un problème ?

L’une des principales raisons pour lesquelles nous avons du mal à appréhender l’ambiguïté provient de notre culture. En effet, notre société est principalement fondée sur un système social basé sur le principe de conformité à des normes sociétales essentiellement manichéennes (vrai/faux ; correct/incorrect ; bien/mal). Or, aborder le monde via cette « dualité » de perception et de jugement ne permet pas d’intégrer la pluralité et de composer avec les contradictions.

Une autre raison provient du fait que nous accordons de la valeur et du crédit principalement à ce qui est scientifiquement démontré, rationnel et logique et avons tendance à remettre en cause, voire à dénigrer, tout ce qui ne l’est pas ou que nous ne parvenons pas encore à expliquer.

Par exemple, nous accordons davantage de crédit à la médecine « moderne », qui s’appuie sur des traitements qui ont obtenu une validation scientifique, qu’à la médecine « non conventionnelle » (la phytothérapie, l’acupuncture, la pharmacopée, le « cupping »…) parce qu’elle est empirique et non validée par la communauté d’experts scientifiques occidentaux, même si certains résultats sont incontestables.

Et pourtant, il existe une multitude de situations que la science ne peut encore expliquer, comme le caractère inné de notre personnalité ou notre sixième sens.

Ces deux facteurs expliquent notre malaise face à l’ambiguïté et les raisons pour lesquelles nous ressentons de la surprise, du doute et pouvons aller jusqu’à remettre en question nos compétences ou celles des autres.

Concernant le monde l’entreprise, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’ambiguïté soit mal vécue puisqu’elle vient se confronter aux principes fondateurs de la pensée managériale traditionnelle que sont la « maîtrise des risques » et la « qualité totale ».

C’est la raison pour laquelle les paradoxes sont perçus comme des anomalies, des erreurs ou des échecs et qu’en réaction les entreprises les condamnent et ne dépassent pas ce constat alors qu’ils sont riches en informations.

 

Les opportunités qu’offre l’ambiguïté :

Les décisions paradoxales sont souvent considérées comme absurdes alors que notre histoire en est remplie. En réponse à un turn-over colossal de ses ouvriers, compte tenu des mauvaises conditions de travail (il fallait embaucher mille salariés pour garder cent nouveaux ouvriers), Henri Ford a décidé, en 1914, d’annoncer publiquement et ouvertement que la journée de travail sera payée cinq dollars au lieu de deux dollars et réduit la journée de travail de neuf à huit heures. Beaucoup jugèrent cette décision totalement illogique et dangereuse pour la survie financière de l’entreprise. Ils ont eu tort. Dix mille personnes se sont présentées aux portes de l’entreprise et Ford n’a plus jamais eu de souci de turn-over !

Si le doute est souvent mal vécu, il peut être aussi être une force, comme le souligne Miguel Ruiz lorsqu’il présente le 5ème accord Toltèque « Soyez sceptique, mais apprenez à écouter ».  

Selon lui, apprendre à douter permet de remettre en cause certaines croyances, certitudes et vérités couramment admises pour s’ouvrir à la critique et découvrir de nouvelles perspectives. Et c’est exactement ce qu’il convient de faire face à l’ambiguïté.

L’appropriation de cet état d’esprit suppose dans un premier temps de s’émanciper d’injonctions sociétales autour desquelles nous nous sommes construits, à savoir que la valeur d’une personne repose sur sa capacité à « être parfait », « être fort », « être le meilleur » et à « avoir raison ». C’est à cette condition qu’il sera possible d’accueillir positivement les incohérences, les antagonismes et les situations irrationnelles.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que conclue Socrate quand il nous dit, avec humilité, « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » ?

Faire face à l’ambiguïté nécessite également de changer son rapport à l’échec. Plutôt que de mal se juger, mieux vaut considérer les échecs comme des opportunités d’apprentissage. Nombreuses sont les personnes qui abandonnent face à un échec alors qu’elles peuvent avoir deux autres options : persévérer ou ajuster leur action.

Ainsi, plutôt que de se remettre en cause ou de remettre en question leurs compétences, les personnes auraient tout intérêt dans un premier à reconnaitre l’ambiguïté, se dissocier de la situation (nous ne sommes pas nos comportements) et comprendre son message positif, ce qu’elle les invite à faire.

Une fois ce principe intégré, il convient de modifier la manière d’appréhender la situation. Les situations paradoxales, antagonistes ou incohérentes révèlent de nombreuses informations pour celui qui sait les analyser.

Lorsque la médecine moderne, dont le principe est de se concentrer uniquement sur le rétablissement d’un dysfonctionnement précis, ne permet pas de comprendre ou de résoudre un problème de santé, il est assez fréquent que certaines personnes se tournent vers la médecine non conventionnelle, notamment orientale, qui s’attache à traiter l’ensemble du corps pour rétablir l’équilibre.

Il en est de même en entreprise. Puisque l’analyse logique et rationnelle permet difficilement de comprendre l’origine des situations paradoxales, il est opportun de les appréhender d’un point de vue holistique.

Par exemple, il arrive que des dirigeants s’étonnent de comportements « infantiles » de certains de leurs collaborateurs qui se contentent d’attendre les ordres et ne se sentent pas du tout responsables de ce qu’ils font. La pensée rationnelle nous amènerait à penser qu’ils ne sont tout simplement pas motivés. Mais si l’on aborde ce type de situation de manière plus globale, on comprendra qu’il est fort probable que cette absence d’engagement est la conséquence d’un système social qui positionne le manager dans une posture de « parent » (qui prescrit et contrôle) ce qui a pour effet de positionner le collaborateur dans une posture « d’enfant » (qui attend les instructions, puisqu’il n’a pas son mot à dire).

Comme le précisent les psychologues Deci & Ryan, cela ne sert à rien de motiver une personne car les êtres humains sont, par nature, automotivés. Il s’agit donc, selon eux, de comprendre en quoi le système dans lequel ces personnes évoluent peut être source de démotivation.

D’après Stanley Milgram, psychologue social américain, le simple fait d’imposer un acte à un individu le déresponsabilise. Ce phénomène, intitulé « État agentique », a mis en exergue le fait que beaucoup de personnes ne se reconnaissent pas comme auteurs de leurs comportements mais comme de simples exécutants d’actes qui ne relèvent pas de leur propre choix mais de l’imposition d’une décision de l’autorité.

Quel beau paradoxe que celui d’attendre des salariés qu’ils se comportent de manière responsable alors que le code du travail, avec son principe de « subordination unilatérale hiérarchique » induit l’inverse.

C’est pourquoi certaines entreprises ont décidé de remplacer les objectifs (imposés de manière unilatérale par la hiérarchie) par des engagements réciproques (négociés entre les différentes parties prenantes).

 

Bonnes pratiques :

Puisqu’il est devenu difficile de savoir si les décisions prises dans un environnement ambigu seront couronnées de succès, la meilleure des choses à faire est de poser des actions en mode « Test & Learn », d’effectuer rapidement des retours d’expérience afin d’identifier ce qu’il convient de modifier.

Pour composer avec les paradoxes, il convient tout d’abord de les accepter. Cette condition est indispensable pour pouvoir les comprendre et identifier les causes profondes, en s’aidant d’outils de résolution de problèmes tel que « Les 5 pourquoi ? ».

 

Synthèse des impacts du monde V.U.C.A. et des opportunités de changement qu’il induit

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC