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Emploi expérimenté : un pas en avant, deux pas en arrière

En quelques semaines, la France a adopté deux décisions qui illustrent toute l’ambivalence de notre rapport au travail expérimenté. D’un côté, la création du CDI Senior, pensé pour faciliter l’emploi des plus de 60 ans. De l’autre, la possible remise en cause du cumul emploi-retraite, aujourd’hui sur la sellette dans les arbitrages du gouvernement Lecornu 2. Un pas en avant, deux pas en arrière.

Une tribune écrite par Blandine Mercier, cofondatrice de Hello Masters

 

Le CDI Senior : une avancée bienvenue

Le CDI Senior est un contrat de travail de droit commun, ouvert aux demandeurs d’emploi de plus de 60 ans. Il vise à lever les freins à l’embauche en offrant une stabilité aux salariés et un allègement de charges aux employeurs.

Reconnaître la valeur de l’expérience n’est pas un luxe démographique : c’est une urgence économique. Selon la Dares, le taux d’emploi des 60–64 ans a atteint 42 % en 2024, un record pour la France, mais encore loin de la moyenne européenne (48,9 %).


Dans ce contexte, le CDI Senior envoie un signal positif. Il réhabilite la continuité de carrière, redonne de la visibilité à des talents souvent écartés par réflexe d’âge, et ouvre la voie à des parcours plus fluides en seconde partie de vie professionnelle.

La mesure reste fragile — moins de 5 000 contrats signés fin T2 2025 selon la Dares — mais son principe est juste : permettre à celles et ceux qui souhaitent continuer à contribuer, transmettre et innover, de le faire dans un cadre stable. Autrement dit, transformer l’expérience en levier de performance.

 

Le cumul emploi-retraite : une fausse bonne idée de “rationalisation”

Le cumul emploi-retraite permet à un retraité de reprendre ou poursuivre une activité rémunérée tout en percevant sa pension. C’est un outil de souplesse qui favorise la transition entre activité et retraite, notamment à temps partiel.

En octobre 2025, plusieurs arbitrages gouvernementaux ont remis ce dispositif sur la table, dans une logique de “rationalisation” des dépenses sociales. Pourtant, les chiffres institutionnels sont clairs : selon la Cour des comptes (2025), il concerne environ 710 000 retraités actifs, soit 3,6 % des retraités de 55 ans et plus, pour un coût inférieur à 0,2 % du PIB. La DREES rappelle que plus de 70 % des personnes concernées travaillent à temps partiel — souvent moins d’un mi-temps.

Le cumul n’est donc ni un gouffre budgétaire ni une niche. C’est un outil de cohésion sociale et d’équilibre économique, qui permet de maintenir une activité choisie, un revenu complémentaire et une transmission de compétences précieuse dans des secteurs en tension. Le restreindre reviendrait à pénaliser une minorité active sans gain macroéconomique mesurable. Car en matière d’emploi, réduire une incitation n’est jamais une économie : c’est une dépense différée.

 

L’apprentissage : la même courbe, les mêmes leçons

Lorsque l’on supprime une incitation à travailler, les effets se font vite sentir. Le Portail officiel des statistiques de l’emploi et de la formation (POEM) indique qu’à fin juillet 2025141 600 contrats d’apprentissage avaient été signés depuis le début de l’année, soit –2,7 % sur un an, après la réforme du 1er juillet 2025 augmentant la contribution des employeurs. Un an plus tôt, 878 900 nouveaux contrats avaient été conclus (+3,2 % selon l’Insee).

 

 

Expérience et transition : construire la continuité

D’ici 2030, un actif sur trois aura plus de 50 ans (Insee). Ce basculement démographique impose une réponse systémique :

  • une retraite conçue comme une transition progressiveet non un couperet ;
  • des passerelles entre activité, transmission et accompagnement;
  • une valorisation de l’expériencecomme actif collectif, au même titre que l’innovation ou la formation initiale.

Chaque professionnel expérimenté qui continue à travailler, former ou conseiller représente une économie réelle : des recettes maintenues, des savoir-faire transmis, des tensions allégées dans les secteurs critiques. À l’inverse, chaque réforme qui décourage cette contribution fragilise un peu plus l’équilibre productif.

 

Ne pas confondre coût et valeur

Le CDI Senior est une avancée à saluer, un pas dans la bonne direction. Mais si la remise en cause du cumul emploi-retraite se confirme, ce pas risque d’être annulé par une méfiance comptable. Car on ne construit pas une politique de l’emploi sur la peur du coût. On la construit sur la confiance dans la valeur du travail — à tout âge, à toute étape, dans tous les parcours.

 

Sources :

  • Dares, Emploi et chômage des seniors, 2024
  • Dares, Suivi du CDI senior – point T2 2025
  • Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2025
  • DREES, Le profil des assurés cumulant emploi et retraite, juin 2023
  • Insee, Formations et emploi – édition 2025
  • Ministère du Travail (POEM), Contrats d’apprentissage – synthèse mensuelle, juillet 2025

 


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