Qu’il s’agisse des rapports du Forum économique mondial ou des enquêtes menées directement auprès des dirigeants, une constante se dégage : la difficulté de piloter une organisation et ses équipes dans un climat d’incertitude et de volatilité permanente.
Cette instabilité est nourrie à la fois par les tensions politiques et économiques, par les bouleversements induits par l’intelligence artificielle et par les risques croissants liés à l’inaction face à la crise climatique. Sur le terrain, ces pressions se traduisent souvent par une augmentation du burn-out, un désengagement des collaborateurs et une érosion de la confiance.
Que doit donc faire un dirigeant aujourd’hui ? Parmi les nombreux conseils stratégiques, on retrouve des recommandations telles que : restaurer l’optimisme économique, former les employés à l’usage de l’intelligence artificielle, promouvoir l’inclusion et la flexibilité, et donner la priorité à la sécurité psychologique. Mais ces prescriptions comportementales risquent de passer à côté d’un élément fondamental : la résonance personnelle des dirigeants eux-mêmes. Ressentent-ils et incarnent-ils véritablement les qualités qu’ils souhaitent promouvoir — optimisme, curiosité, inclusion, flexibilité et sécurité ? Si ce n’est pas le cas, les collaborateurs le percevront immédiatement, et les comportements adoptés resteront superficiels et inefficaces.
À l’inverse, lorsque les dirigeants vivent et expriment ces valeurs de manière authentique, leurs paroles et leurs actions s’alignent sur ces comportements réparateurs, créant un signal cohérent et fiable pour leurs équipes. Ces dirigeants deviennent alors un point d’ancrage, capable d’apaiser le tumulte d’un environnement turbulent. La science de la résonance et le leadership zen proposent des pratiques immédiates et durables pour développer une telle présence.
La résonance — l’art de vibrer avec les autres — est au cœur de tout processus de transformation. Elle repose sur une spécificité essentielle : tout ne résonne pas avec tout. Lorsque des ondes d’énergie compatibles se rencontrent, elles peuvent s’annuler, interférer ou se renforcer, produisant alors un signal amplifié. Cette dernière possibilité, la cohérence, est cruciale, car elle permet à ces signaux puissants de se distinguer du bruit ambiant.
Dans le leadership, ces signaux se traduisent concrètement par des moments d’inspiration et de clarté, lorsque nous percevons des perspectives nouvelles et stimulantes. Ils se manifestent également par une présence exécutive renforcée, capable d’apporter calme et sécurité aux autres grâce à la co-régulation et à l’alignement intérieur.
La co-régulation : un pas vers la stabilité
La co-régulation — la capacité d’un système nerveux à s’ajuster ou à influencer celui d’un autre — n’est ni magique, ni accidentelle, ni purement consciente. Elle reflète plutôt la tendance naturelle des systèmes biologiques et physiques à évoluer vers l’état énergétique le plus stable possible. À titre d’illustration, si plusieurs horloges à pendule sont placées dans la même pièce, celle dont l’amplitude est la plus grande entraînera progressivement les autres. Pourquoi ? Parce que la friction générée par des oscillations légèrement désynchronisées est moins stable que l’état cohérent où les ondes s’additionnent harmonieusement. De même, deux nourrissons couchés côte à côte : celui qui respire le plus profondément influencera le rythme de l’autre. Sur le plan humain, lorsqu’un leader doté d’une présence calme et affirmée entre dans une pièce tendue, il induit naturellement un apaisement et un sentiment de sécurité chez son entourage.
L’optimisme au service de la cohérence
Les dirigeants qui incarnent ce type de présence — parfois appelés « leaders résonnants » — combinent une intelligence émotionnelle (IE) élevée avec la capacité de renforcer les performances, la résilience et le capital psychologique de leur organisation. L’IE repose sur la conscience de soi et l’autorégulation, et se manifeste par l’empathie, les compétences sociales et la positivité.
Le rôle de la positivité dans ces effets a été mis en évidence par les recherches de Rollin McCraty à l’Institut HeartMath. Il a montré que les émotions positives, même auto-induites consciemment, augmentent la cohérence cardiaque et favorisent l’alignement entre les ondes cérébrales et cardiaques. Le cœur génère principalement le champ électromagnétique autour d’une personne : un cœur heureux se traduit par une onde sinusoïdale régulière de variabilité de la fréquence cardiaque, qui renforce et organise le champ énergétique de l’individu et peut être perçue à distance.
Cette cohérence engendre davantage de cohérence. Un cœur harmonieux est plus apte à percevoir et à synchroniser ses ondes avec celles du cerveau et le rythme respiratoire, favorisant l’alignement corps-esprit. Une personne cohérente est ainsi capable de lire et refléter les autres, de se mettre sur la même longueur d’onde et de guider son entourage vers un état similaire, positif et aligné. Enfin, si la co-régulation peut se produire naturellement, la conscience de soi et l’autorégulation nécessaires pour maintenir un état cohérent demandent intentionnalité et pratique, en particulier dans des contextes difficiles.
La cohérence : une clarté bidirectionnelle entre perception et action
La cohérence ne se limite pas à faire des dirigeants des acteurs efficaces de co-régulation ou à améliorer leur compréhension des autres : elle affine également leur capacité à percevoir et interpréter les signaux de l’environnement. Elle confère à l’écoute une quiétude particulière, à la perception une clarté accrue, et aux actions une puissance gracieuse. Lorsque notre système est libéré du bruit interne — pensées parasites, émotions déclenchées, tensions corporelles — nous pouvons entrer en résonance avec les signaux qui correspondent le mieux à notre capacité d’action.
On peut comparer la cohérence au réglage d’une radio analogique : il faut passer par des zones de parasites avant de capter clairement la fréquence d’une station. Cette clarté se reflète non seulement dans nos perceptions, mais aussi dans nos actions et dans notre aptitude à influencer et guider les autres. Dans des situations d’incertitude ou de perturbation, où l’anxiété rampante peut dominer, une clarté bienveillante devient le signal le plus fiable et le plus puissant dans la pièce.
Comme le souligne Rollin McCraty : « Nous alimentons constamment le champ », que ce soit par notre simple présence ou par nos actions. Nous émettons en permanence un signal. Pour que ce signal soit fort, bienveillant et capable d’apaiser le bruit environnant, le zen propose deux voies complémentaires : l’une à long terme, fondamentale, et l’autre immédiate et praticable.
Renforcer sa cohérence grâce aux principes du zen
À sa source, le zen n’est ni une philosophie ni une religion, mais une pratique qui mobilise le corps pour libérer l’esprit. Ce dont il nous affranchit, c’est précisément de ce qui entrave la cohérence : un ego centré sur ses besoins et sa survie, que nous confondons trop souvent avec notre identité. La méditation zen conduit à un état de flux appelé samadhi, dans lequel nous faisons l’expérience de notre unité profonde — celle d’un être humain pleinement connecté. Dans cet état, nous apprenons à voir à travers l’ego et ses automatismes, qu’il s’agisse d’habitudes utiles ou de névroses héritées de traumatismes. Progressivement, nous cessons de nous identifier à l’ego comme totalité de ce que nous sommes et avançons vers un paradoxe fécond : un « moi » altruiste, pleinement relié, incarné dans l’ici et maintenant. Ce qui fut jadis un maître devient alors un outil, mis au service des autres et d’un monde meilleur.
La désidentification de l’ego favorise une cohérence particulière : elle transcende le dualisme vie/mort, intégrant les deux dans une perspective plus vaste où le sentiment de sécurité devient inconditionnel. Les dirigeants qui atteignent cet état deviennent intrépides, attentifs au bien commun et porteurs du signal résonnant qui rassure et inspire confiance.
Lorsque la sécurité intérieure est sans limites, les tensions se relâchent et la flexibilité s’élargit. L’inclusivité devient naturelle, car plus rien n’est perçu comme une menace. La curiosité prospère à mesure que la peur de l’échec s’estompe. Les hauts et les bas de l’existence sont accueillis avec sérénité, et l’optimisme l’emporte. Ces signaux incarnés, portés par la présence, résonnent sans effort chez les autres.
Entrez en cohérence grâce à une longue et lente expiration
La culture du samadhi se développe au fil des mois et des années, et s’approfondit au fil des décennies. Voici une pratique simple, réalisable ici et maintenant, inspirée du protocole HeartMath pour instaurer une cohérence tête-cœur, enrichie de principes issus de la formation zen afin d’ancrer l’état et d’harmoniser le centre de pouvoir — le hara — avec la tête et le cœur.
Pratique guidée :
- En position assise ou debout, écartez les pieds et sentez la connexion de vos gros orteils avec le sol.
- Placez une main sur le bas de l’abdomen (hara) et l’autre sur votre cœur.
- Concentrez-vous sur la main posée sur le hara : inspirez en dilatant doucement le bas-ventre. Pendant l’expiration, laissez l’air s’écouler lentement, comme à travers vos orteils, 4 à 5 fois plus longtemps que l’inspiration.
- Détendez vos orteils, sentez l’inspiration affluer naturellement et répétez la longue et lente expiration. Par exemple, si l’inspiration dure 2 secondes, expirez pendant 8 secondes ; si elle dure 4 secondes, expirez pendant 16 secondes. Cette pratique vous synchronise avec le cycle de cohérence tête-cœur, d’environ 10 secondes.
- Une fois la respiration maîtrisée, concentrez-vous sur la main posée sur le cœur et laissez-la se détendre, pleinement soutenue par le hara. Évoquez une émotion positive : appréciation, amour, gratitude ou émerveillement. Vous pouvez associer cette émotion à une personne chère ou à un élément de la nature qui suscite la gratitude ou l’émerveillement.
- Laissez cette émotion imprégner votre corps de haut en bas, portée par votre respiration lente et profonde.
Après 2 à 3 minutes, vous remarquerez probablement des signes de cohérence : quiétude, calme et réceptivité, comme si vous reflétiez la vie à l’image d’un étang immobile. Dans cet état, les dirigeants peuvent mieux lire l’environnement, clarifier leur orientation et devenir une force de co-régulation plus puissante pour une action collective harmonieuse.
Au-delà de restaurer l’optimisme économique ou de former les équipes à l’usage de l’IA, ces dirigeants incarnent pleinement la sagesse zen de Thich Nhat Hanh : « Le plus précieux cadeau que nous puissions offrir aux autres est notre présence. »
Une contribution de Ginny Whitelaw pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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